CONTRIBUTION
Il y a cinq ans nous avions publié une tribune intitulée «Je refuse» pour exprimer notre pessimisme face à certains actes posés par le nouveau régime issu de la seconde alternance politique au Sénégal. Les points soulevés à l’époque dans cette critique ne nous semblent pas être tombés dans l’oreille d’un sourd, car le gouvernement, à titre d’exemple, s’est engagé dans la construction tous azimuts de logements sociaux, la poursuite des grands chantiers initiés par l’ancien régime libéral (autoroutes, aéroport, universités, pistes de production rurales etc….).et bon nombre de détenus ont été jugés et élargis. Cette critique, fut un élément de dialogue politique car comme l’enseigne Beaumarchais «sans liberté de critiquer, il n’y a point d’éloge flatteur». La réception qui en a été faite, nous encourage à retremper notre plume pour dire notre part de vérité sur le dialogue politique, qui aujourd’hui soulève tant de passion, et d’incompréhensions.
Tout d’abord, un questionnement sur le dialogue politique nous semble nécessaire. Le dialogue est une communication avec plusieurs définitions. Mais, considéré à l’échelle des sociétés politiques, le dialogue est une discussion, une négociation, des échanges d’idées, avec la volonté commune d’aboutir à une solution acceptable par les parties en présence.
Déjà, depuis Socrate, c’est à dire 500 avant JC, la maïeutique appelée dialectique permit d’installer la compréhension entre Socrate lui-même et ses disciples Platon, Xénophon, Phédon et la société grecque d’alors. Cette maïeutique a permis de propager des valeurs éthiques et morales telles que la bonté, la vérité et l’utilité, valeurs fondamentales pour une société qui veut prospérer. Ce fut le début de la Morale et la Sagesse. Le dialogue socratique a été perpétué par Platon et les autres disciples jusqu’à sa propagation dans la société hellénique et occidentale moderne. Avec Jean Paul Sartre ainsi que Albert Camus qui en sont l’incarnation contemporaine ; le dernier nommé pensera plus tard, dans son œuvre Carnets II (1939) : «Et si nous choisissons de servir cette communauté, nous choisissons le dialogue jusqu’à l’absurde, contre toute politique du mensonge ou du silence. C’est comme cela qu’on est libre avec les autres.»
Libres, responsables et armés de cette conviction camusienne, nous avons décidé de participer au Dialogue.
Le Sénégal, notre pays, a une forte tradition démocratique et le dialogue entre les forces politiques en est sans conteste, le mécanisme de régulation, de prévention et même de règlement des contradictions, qui nous vaut aujourd’hui d’être cite parmi les pays les plus stables au monde. Dans un passé récent, cette capacité d’échanger et de s’entendre sur l’essentiel démocratique nous a permis de trouver un fort consensus autour du code électoral en 1992, consolidant ainsi l’Etat de droit, avec à la clé, la réalisation de la première alternance démocratique.
Exigence démocratique
Plus qu’une nécessité sociale, le Dialogue politique est une exigence dans une Démocratie, non pas pour faire de l’entrisme ou «dialoguer pour partager un gâteau», mais plutôt, dialoguer autour des questions qui interpellent et menacent notre stabilité, notre sécurité, notre cohésion nationale et développement durable. La Démocratie trouve ses origines dans le Dialogue contrairement aux autres formes violentes de gouvernance que furent la Monarchie et l’Aristocratie ; c’est pour cela que Karl Popper qui nous enseigne que «gouverner c’est discuter» et toute la théorie sociale de John Locke repose sur une régulation de la société par le consentement qui est une résultante du Dialogue
Donc, le Dialogue cet impératif social est aussi une tradition et une culture bien sénégalaise. L’ancien président Léopold Senghor ne ratait jamais une occasion pour nous rappeler que le Sénégal est un pays de dialogue :
Dialogue entre nos ethnies (sous formes de cousinages à plaisanteries)
Dialogue entre nos confréries (sous forme de complémentarité parentale lointaine)
Dialogue entre les hommes politiques et leur parti, dialogue avec le colonisateur, jusqu’à accéder à l’indépendance sans effusion de sang, et construire une nation pluriethnique unie, dans une entente et une fraternité adorable, et surtout dialogue jusqu’à bâtir un Etat démocratique avec des élections et des alternances démocratiques régulières. Le Sénégal a, de tout temps, été gouverné par le Dialogue, de l’époque des Royautés jusqu’à l’avènement de la République. Tous les présidents qui se sont succédé à la tête de notre si charmant pays, en ont appelé, à un moment où un autre, au dialogue national, politique et même inter-religieux, selon les contextes. L’appel du président de la République à un dialogue s’inscrit dans ce cadre d’une tradition républicaine. Aussi, nous paraît-il absurde de refuser cette offre politique et démocratique sous quelque prétexte que ce soit. Toutes les grandes nations du monde ont bâti leur développement socio-économique, sur les fondements d’une philosophie politique telle que le communisme, le socialisme, le conservatisme, le libéralisme et l’«écologisme» bien entendu, avec leurs forces et leurs faiblesses.
Nous devons alors dialoguer, par ailleurs, pour les raisons suivantes :
Notre pays est à la croisée des chemins ; une nouvelle génération née après les indépendances a été portée à sa tête pour le faire émerger. Mais, la grande ouverture démocratique des années 90 nous a conduit à nous retrouver avec près de 300 partis politiques alors que les différents courants philosophiques qui ont engendré les idéologies politiques au sortir du 17e siècle ne nous ont légué que les quatre courants évoqués ci haut ; ces différentes idéologies se sont confrontées tout au long des trois derniers siècles dans presque tous les pays du monde. Ainsi toutes les grandes nations démocratiques du monde ont bâti leur développement socio-économique, sur les fondements d’une de ces philosophies politiques, bien entendu, avec leurs forces et leurs faiblesses. Alors comment nous sommes nous retrouvés avec plus de 300 partis ? Sur la base de quelles idéologies et quels projets de société ces partis ont-ils été fondés ?
Le Dialogue comme Institution Démocratique
Nous voyons déjà que ce nombre exorbitant de partis politiques est un thème de dialogue politique en vue de leur regroupement/réduction afin que l’Etat puisse continuer d’encadrer notre développement démocratique.
Nous devons dialoguer parce que l’émergence et la croissance tant souhaitées sont entrain de montrer leurs premiers résultats avec cette jeunesse sénégalaise dynamique, de mieux en mieux formée, ces nouvelles infrastructures de dernière génération, ces nouvelles richesses minières (gaz, pétrole, zircon etc..) qu’il nous faut impérativement valoriser et redistribuer équitablement.
Nous devons dialoguer parce que nous sommes un grand pays de croyants avec des clergés musulmans, chrétiens et animistes qui vivent en symbiose avec l’Etat, mais symbiose qui pourrait être perturbée par la poussée terroristes et djihadistes
Nous devons dialoguer pour reconfigurer les relations de plus en plus ambigües entre les pouvoirs législatif, judiciaire et Exécutif sur la base du modèle universel de leur séparation tel que théorisée par Montesquieu pour transcender ces contentieux judicaires qui minent la vie politique de notre pays.
Nous devons dialoguer pour promouvoir le pardon à l’image des grandes nations telles que : l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Allemagne et même la proche France qui ont su transcender des guerres fratricides, des trahisons nationales historiques, qui ont su se pardonner et réconcilier leur fils et filles.
Nous devons dialoguer et de manière inclusive car le Sénégal n’est pas la propriété des partis politiques et de leur leader quand l’on sait que la société politique avec l’ensemble de ces partis et militants compte moins de 2 millions de sénégalais devant une population de près de 15 millions.
C’est un impératif républicain, dans la bonne marche d’une démocratie qui se veut fortifiée et consolidée, dans un Etat de droit.
Nous devons dialoguer pour qu’un jour nos concitoyens aient le choix comme les Américains, les Allemands où les Français entre un régime libéral, socialiste, conservateur où une coalition de certaines de ces idéologies.
Nous devons dialoguer parce que le dialogue est un des piliers de la Démocratie qui s’impose aux acteurs politiques ayant de fortes convictions et de pertinents arguments à faire prévaloir
Nous devons dialoguer pour l’intérêt du peuple, surtout que Touba, Tivaouane, Yoff, Médina Baye, Popenguine et tous les autres foyers religieux (musulmans et chrétiens) en ont exprimé le souhait publiquement. Dialoguer n’est pas signe de faiblesse politique, mais plutôt un état d’esprit libéral et responsable pour conduire notre Nation vers des lendemains meilleurs.
Aussi le Dialogue politique doit être une Plateforme permanente qui permet aux acteurs de débattre aux fins de trouver des solutions nationales, au lieu de s’abattre par presse interposée pour des intérêts crypto personnels
Il incombe au Gouvernement de travailler à améliorer les conditions d’existences des populations, et à l’opposition d’être une sentinelle, un lanceur d’alerte, une force de proposition alternative. Dès lors le Dialogue ne doit évidemment pas signifier partage de gâteau ou compromission des intérêts des Sénégalais. Mais plutôt devenir un Organe institutionnel permanent avec un Comité de pilotage permanent et une Plénière trimestrielle régulière
Réduire le nombre de Partis politiques
Le Dialogue entre les différentes forces politiques de notre pays ne devrait désormais plus être seulement événementiel et ponctuel mais devrait plutôt faire partie de notre Adn politique et compléter l’architecture institutionnelle de la République à l’image de l’Iran avec son fameux du Conseil Suprême de discernement des Intérêts de la Nation.
Pour qu’enfin les hommes politiques aient une claire conscience de leurs responsabilités devant les Sénégalais. Dialoguer, oui, mais de manière sincère, inclusive et permanente sur les questions majeures qui interpellent notre vaillante Nation, avec l’ensemble des acteurs politiques.
Nous devons dialoguer pour trouver un cadre consensuel pour la refonte du fichier électoral et l’amélioration de son caractère démocratique et transparent mais également nous devons dialoguer pour la refonte du fichier des partis politiques; à ce sujet nous proposons un verrouillage constitutionnel du nombre actuel de partis politiques : Faire en sorte que désormais personne n’ait plus le droit de créer un nouveau parti politique, et que l’Etat encadre et soutienne le regroupement de Partis politiques d’une même obédience.
Pour notre part, notre appartenance à la grande famille libérale internationale et nationale exige que nous promouvions notre regroupement. Nous devons dialoguer pour que ces près de 300 partis issus de l’atomisation des prétendus grands partis aient l’occasion de se parler et tenter de se regrouper en grands ensembles pour une démocratie apaisée.
Nous croyons que les oiseaux de même plumage doivent aller ensemble pour faciliter aux Sénégalais le choix de leurs élus et leur projet de développement ; le syncrétisme politique n’est pas propice au développement économique, à moins de signer un accord de gouvernement, dans lequel chacun apporte ce qu’il a de meilleur en lui.
Aujourd’hui, le Sénégal à travers ce Comité doit travailler à l’assainissement du champ politique en réduisant de manière drastique le nombre de partis politiques par un encadrement et un appui au regroupement de ces partis ou mouvements politiques de même obédience. Même s’il est vrai que la liberté d’association est un droit constitutionnel, il est aussi important de comprendre que la prolifération de partis politiques n’est plus synonyme de liberté mais d’irresponsabilité et d’anarchie et devrait faire l’objet d’un verrouillage constitutionnel : une introspection s’impose. Toutes les grandes Nations du monde ont bâti leur développement socio-économique, sur les fondements d’une philosophie politique telle que le communisme, le socialisme, le conservatisme et le libéralisme, bien entendu, avec leurs forces et leurs faiblesses. Le manque de dialogue cause la prolifération des partis politiques, menace l’eutaxie (le bon ordre). Il fragilise le lien social déjà si ténu en attisant la haine et les ressentiments.
Le PLC/DJ, notre parti est prêt à intégrer toute Union de forces libérales crédible exclusivement mue par les intérêts supérieurs de notre pays qui mérite tous nos sacrifices. Nous invitons les autres partis à penser cette attitude. Nous avons l’heur de ne pas être démagogues et d’être libérés du gout vulgaire de chercher vaille que vaille à plaire. Cette singularité, nous permet d’affirmer, à rebours de la pensée régnante au sein d’une certaine «opposition dite significative» que refuser le Dialogue ressemblerait plutôt à une fuite en avant, un manque de considération à l’endroit des recommandations des guides religieux, de la Société civile et peut-être de ce souhait de la majorité de nos concitoyens.
Refuser de dialoguer est certainement aussi du pain béni pour certaines franges du «monde politicien» qui seraient prêtes à brûler notre pays pour leurs intérêts personnels et leurs desseins inavoués.
Oui, pour le Sénégal, nous opposition responsable, dialoguons.
Dr Mamadou Lamine Ba
(Ancien ministre) Président du PLC/DJ