Dans un peu moins de deux mois, nous entrerons dans la cinquante-huitième année de notre accession à la souveraineté internationale.
Quatre présidents se sont succédé à la tête du pays. Nous avons connu deux alternances démocratiques saluées par la communauté internationale, même si aucune des deux n’a répondu à nos attentes. Nous sommes malgré tout considérés comme une démocratie, une démocratie avec ses hauts et ses bas. Or, il convient de le rappeler, l’une des voies respiratoires de la démocratie et non des moindres, c’est la liberté d’expression, c’est le droit d’avoir son opinion sur la manière dont le pays est gouverné et de l’exprimer s’il y a lieu. C’est ce droit inaliénable, non négociable, que je fais prévaloir dans mes écrits (livres, contributions, quelques interventions aux médias) depuis quarante (40) ans.
Notre pays traverse, avec cette gouvernance du président-politicien, des moments d’incertitudes que tentent vainement de masquer des apparences bavardes et trompeuses. Notre peuple, indifférent à tout, ne s’en aperçoit malheureusement pas le moins du monde. Me revient cet adage wolof selon lequel «Bukki wiiri-wiiri jaari Ndaari». Cela signifie, en français, que l’hyène a beau faire de grands détours, elle passera forcément par Ndaari ou, peut-être encore, les grands détours que fait l’hyène ne le dispenseront pas de passer par Ndaari. En d’autres termes, le temps est venu, pour votre serviteur, d’entrer dans le vif de son sujet.
Le vendredi 12 mars 2017, un chef religieux, khalife de son état aujourd’hui décédé (Dieu l’accueille au Paradis !), lançait ces propos rapportés par L’As du lendemain : «Tout bon musulman qui croit en Dieu doit voter pour le président.» Il ajoutait, pour rassurer encore plus le président-politicien : «Je sais que les talibés vont suivre ma recommandation. Donc, vous pouvez être tranquille, Monsieur le Président !» Le chef religieux lui renvoyait ainsi l’ascenseur, pour avoir achevé les travaux de la mosquée de sa localité. C’était son droit et il en a usé. Un peu plus tard, le vendredi 24 mars 2017, je fis publier une contribution dans plusieurs quotidiens de la place, notamment dans Wal Fadjri et Sud quotidien. J’avais choisi pour titre, et pour cause : «Le 30 juillet 2017 et le dernier dimanche de février 2019, je serai un mauvais musulman».
Ce khalife avait aussi des relations privilégiées, du moins en apparence, avec l’ancien vieux président qui savait, à l’occasion, se montrer particulièrement généreux avec lui. On se rappelle encore sa célèbre formule : «Wade boxe na ma, boxaat na ma». En d’autres termes, «Wade m’a boxé et m’a encore boxé». Le vieux président avait donné une première somme d’argent dont le montant ne répondait certainement pas aux attentes du vieux khalife qui n’avait pas manqué de le faire savoir publiquement. Le vieux président-politicien revint à la charge un peu plus tard, avec en bandoulière sa légendaire «générosité». Il avait donc «donné et redonné», «boxé et à nouveau boxé».
Aujourd’hui, dans la même famille, alors qu’il était venu présenter ses condoléances suite au décès de l’ancien khalife, on l’a menacé publiquement de «lui servir mille plaintes, s’il en portait une seule contre le président du moment (bi xew)». Dans sa longue déclaration, il s’était attardé sur l’intention supposée de son successeur de donner son nom à l’Aéroport international de Diass. Et le vieux politicien de menacer de le traîner devant la justice, s’il s’obstinait à réaliser son intention. On résiste difficilement à la tentation de se poser un certain nombre de questions : mille plaintes, n’est-ce quand même pas trop contre une seule personne, fût-elle le célèbre vieux président ? A quel titre seront-elles servies au vieux président qui ne sert pratiquement plus à rien, il est vrai ? Auront-elles la moindre chance d’être recevables et, si par extraordinaire c’était le cas, où les garderait-on en attendant le jugement ? Enfin, si le vieux président-politicien était encore au pouvoir et avait fait les pires dérapages, les relèverait-on ? Ces questions méritaient quand même d’être posées, dans ce pays où l’on ne sait plus où donner de la tête.
Le mercredi 22 novembre dernier, une cité religieuse a reçu en grande pompe le président-politicien. Deux jours auparavant, le porte-parole avait invité, au nom du khalife général, «les fidèles à l’accueillir chaleureusement à travers une grande mobilisation». Ce porte-parole a tenu à se montrer très clair. «C’est par conviction que Tivaouane a choisi d’accompagner la philosophie de Macky Sall. Nous y croyons.» Il ne croit surtout pas à la neutralité «qui est une absence de courage». Sa ville s’assume, «elle n’est pas du genre à lâcher prise au gré des humeurs et des soubresauts. C’est par conviction qu’elle s’engage». Il se fait plus précis encore, afin que nul n’en ignore : «Il ne s’agit pas d’accueillir à bras ouverts un hôte de marque mais de dérouler les tapis de son cœur à un illustre fils, un de nous, le président Macky Sall.» C’est moi qui souligne cette expression, en attendant d’y revenir.
Cette ville sainte est libre de son choix, celui d’accompagner sans équivoque le président-politicien jusqu’à sa réélection qui ne fait pas l’ombre d’un doute, selon son khalife. Le nouveau champion de cette cité religieuse a, à son compte, la réalisation dans la ville sainte de l’aménagement de l’esplanade des mosquées avec l’auditorium, la maison des hôtes, la grande salle de réception, la résidence des hôtes qui porte le nom prestigieux du saint homme à qui on doit la propagation de la confrérie au Sénégal et peut-être au-delà de ses frontières. Le président-politicien n’y est donc pas allé vraiment de main morte. Il a mis le paquet dans la modernisation de cette cité et sent déjà le retour de l’ascenseur, son seul objectif. La déclaration du porte-parole du khalife est sans équivoque à cet égard. Cependant, un passage retient particulièrement notre attention. C’est celui-ci : «Il s’agit de (…) dérouler les tapis de son cœur à un illustre fils, à un de nous (…).»
«Un illustre fils !», «Un de nous !» Ces expressions, la seconde en particulier, pourrait bien renvoyer à «un parmi nous», à «un membre de la famille, de la confrérie». Et, si on a besoin de le rappeler, de rappeler qu’il est d’eux, c’est peut-être qu’il y a un doute. C’est, peut-être, parce qu’on commence à se disputer l’illustre «talibé», dont le comportement ambigu n’arrange rien. Une autre confrérie, du moins des membres de cette confrérie font état publiquement de la même prétention. Et ils n’ont pas tout à fait tort, le président-politicien ne faisant pas mystère, en maintes occasions, de son allégeance à ladite confrérie. On l’a vu, à plusieurs reprises, enlever ses chaussures, sa coiffure, et se prosterner devant son marabout ou celui qui est considéré comme tel. S’il était d’une autre confrérie, surtout de l’autre bien connue, il ne ferait pas le «sujóot». On a entendu le vieux président-politicien, dans l’autre ville sainte, exprimer publiquement le souhait que le prochain président de la République soit un mouride.
Ce qu’il faut retenir et craindre ici, c’est que nos deux plus grandes confréries se disputent le président de la République. Ce n’est peut-être certainement pas encore le cas, mais il faut l’envisager et le craindre. Sait-on jamais, avec ce Sénégal de 2017 ? Sait-on surtout jamais, avec notre président-politicien qui peut jouer le jeu et entretenir le flou, pour continuer de tirer profit de la rivalité – Dieu nous en garde – entre les deux confréries ? Dieu nous en garde et nous engage sur le chemin de la lucidité, de la clairvoyance et surtout de la conscience de la primauté de l’intérêt supérieur de la Nation sur tous les autres. Nous devons rester intransigeants sur cette forte conviction que l’appartenance religieuse, confrérique, ethnique ou autre, ne fait pas un bon président de la République. Un bon président tidiane est de loin préférable à un mauvais président mouride et inversement, comme est préférable un bon président catholique à un mauvais président laayèène et inversement. L’élection d’un président de la République devrait dépendre, en priorité, de ses qualités intrinsèques (intellectuelles, humaines, morales), ainsi que de la pertinence de son programme, et sa réélection du niveau de mise en œuvre de ses engagements, dans le sens attendu des électeurs. Personne, quel que soit son statut, ne devrait pouvoir décréter ni l’une ni l’autre.
C’est le lieu de s’arrêter un peu sur cette «modernisation des cités religieuses». On se rappelle que, à une question sur les chefs religieux, il avait répondu sans ambages que «ce sont des citoyens ordinaires», soulevant ainsi un concert de protestations. Depuis lors, il cherche à se rattraper et ladite modernisation est une de ses trouvailles, même si elle ne figurait nulle part dans son fameux «Yoonu yokute». Ce choix du président-politicien soulève aussi des questions, beaucoup de questions. Sur quelle base choisit-il les cités à moderniser ? Est-il en mesure de moderniser toutes les cités religieuses du Sénégal ? La moitié du budget y suffirait-elle ? Aura-t-il fait l’essentiel s’il modernise à coût de milliards de francs Cfa telle ou telle autre grande cité religieuse ? Sera-t-il du coup satisfait ? La famille religieuse bénéficiaire le sera-t-elle, si les nombreux quartiers périphériques ou villages environnants manquent de tout ? Comment le financement se fait-il ? A l’image de celui de la réalisation du Monument de la Renaissance africaine ?
Il convient de dissiper une impression savamment entretenue, celle que c’est Macky Sall qui modernise les lesdites cités. Non, il utilise l’argent du contribuable, les deniers publics, qui doivent être soumis à contrôle en toutes circonstances. Or, un épais nuage enveloppe les milliards utilisés dans la modernisation des cités religieuses. C’est à partir du cabinet d’architecture de la présidence de la République que tout est géré avec, à sa tête, une architecte secondée par son époux, ami personnel du président-politicien. On imagine, dans ce pays à l’heure de l’Apr, tous les dérapages qui peuvent se passer à ce niveau. Il faut espérer qu’un jour, un audit profond fasse le point des centaines de milliards qui sont engloutis ou en voie de l’être, dans la modernisation desdites cités. Les chefs religieux bénéficiaires devraient être les premiers à y appeler, eux de qui on attend d’abord l’attachement à la transparence et au caractère licite de toutes opérations, surtout de celles les concernant directement. Ils ne devraient pas accepter qu’on prenne pour prétexte la modernisation de leurs cités, pour s’enrichir indûment sur le dos du peuple.
Il convient de rappeler, pour conclure, que ces chefs religieux sont appelés régulateurs sociaux. Comment peuvent-ils jouer objectivement ce rôle, s’ils sont publiquement engagés au profit d’un camp ou d’un autre ? Nous ne sommes pas de taille à donner quelque leçon que ce soit à qui que ce soit. Cependant, nous pouvons nous demander comment, à un certain niveau de responsabilités sociales, on peut fermer hermétiquement les yeux sur les plaies béantes de la gouvernance du président-politicien ! La parole de cet homme ne vaut plus un copeck, ayant trahi tous ses engagements y compris les plus solennels. Il a béni sans état d’âme la détestable transhumance et rendu pratiquement inoffensives toutes nos structures de contrôle. En décidant de mettre le coude sur tous les dossiers qui compromettent ses amis, il entretient la corruption et les détournements de deniers publics au niveau le plus élevé de l’Etat. Quiconque est libre de s’engager auprès de cet homme et de sa gouvernance meurtrie ! Moi, Mody Niang, citoyen ordinaire, je ne m’y résoudrai jamais. Dee saxa ma ko gënël.
Par Mody NIANG