Depuis toujours, notre pays, le Sénégal, dépeint comme une vitrine de la démocratie, oscille entre une volonté de promouvoir un espace libre et des réflexes de contrôle hérités de l’administration coloniale et du parti unique et, plus tard, unifié. En ce sens, l’application des lois sur l’offense ou la diffamation (articles 80, 254 et suivants du Code pénal), bien que légale, peut être perçue comme un moyen de faire taire les critiques, surtout lorsque celles-ci visent le pouvoir en place. Dernier exemple en date, l’affaire Moustapha Diakhaté. Critiquant la violation des règles protocolaires sous le nouveau régime, l’ancien député a utilisé un terme jugé peu respectueux pour qualifier les trois personnalités qui incarnent actuellement le sommet de l’Etat. Convoqué, gardé à vue, il a été finalement déféré au parquet et présenté à un juge d’instruction qui lui a notifié sa mise sous mandat de dépôt pour offense au chef de l’Etat et, accessoirement, à des personnes dépositaires de tout ou partie des prérogatives de ce dernier. Il n’en fallait pas plus pour remettre sur la place publique un vieux débat sur le maintien ou non de ces articles jugés liberticides par les oppositions mais dont se complaisent les gouvernants. Pour rappel, l’opposant Ousmane Sonko, bien qu’ayant émis les plus virulentes critiques contre l’article 80, son parti s’est, lors du Dialogue national, dressé contre toute idée de suppression dudit article. Ce qui veut dire que les positions par rapport à cette disposition du code pénal ne sont pas de principe mais dépendent des circonstances du moment.
Notre opinion est que, mêmes maintenues dans notre législation, ces dispositions doivent subir un petit relifting pour adapter le statut démocratique du Sénégal à ce qu’il y a de mieux dans les Etats de droit à standard élevé. En somme, ménager la chèvre et le chou. Ce qui veut dire : naviguer entre la préservation des libertés et la nécessaire protection des institutions. Un exercice d’équilibre qui demande tact et transparence pour éviter les accusations d’autoritarisme tout en maintenant la cohésion nationale dont nos pays fragiles ont besoin à l’ère des réseaux sociaux. Autrement dit, il s’agit de trouver un point d’équilibre entre la protection de ce droit fondamental qu’est la liberté de dire ce que l’on pense et la nécessité du maintien de l’ordre public et de protection des institutions. Il s’agit donc de satisfaire des intérêts opposés sans léser personne.
Le Sénégal en a les ressorts et le cadre légal adéquat. Même si des balises sont posées pour en freiner les abus. Ainsi, la Constitution garantit la liberté d’expression. Cependant, des lois comme l’article 80 du Code pénal (atteintes à l’autorité de l’État) ou l’article 254 (offense au chef de l’État) peuvent être utilisées pour réprimer les discours jugés diffamatoires ou offensants, potentiellement porteurs de troubles à l’ordre public. L’ancien régime de Macky Sall a usé et abusé de ce dispositif. Des suspensions d’accès à Internet et des répressions ont été documentées, notamment lors de l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr ou lors du report de l’élection présidentielle de février 2024. Avec l’arrivée au pouvoir du duo Diomaye-Sonko, certains pensent qu’il n’y a rien de nouveau sous le ciel dégagé du Sénégal. Ils dénoncent une continuité dans les tentatives de museler les journalistes, activistes et opposants aux opinions dissonantes.
Comparaison n’est certes pas raison. Attraite devant la Cour européenne des droits de l’homme par le porteur de la fameuse pancarte «Casse-toi, pauv’con» qui était poursuivi pour le délit d’offense au Chef de l’Etat, la France ne pouvait que l’enlever de son arsenal juridique. Ce qui fut fait en 2013. Ce «privilège» ayant sauté, s’il se sent offensé ou diffamé, le président de la République française peut, comme n’importe quel citoyen, saisir la justice. Est-ce une bonne ou une mauvaise direction ? Une réflexion dépouillée de toute émotion et de tout positionnement politique de circonstance permettrait d’y apporter une réponse éclairée.