Si elle n’y prend garde, la Gauche sénégalaise risque de passer du statut peu honorable de béquille à celui détestable de paillasson où l’on s’essuie les pieds pour arriver au pouvoir. De 2012, date à laquelle cette Gauche incarnée par le Ps et l’Afp -ou ce qu’il en reste- a participé à une élection présidentielle à 2024 où Khalifa Sall et Taxawu Senegaal ont volé au ras des pâquerettes, la Gauche en est venue à une situation où elle se cherche désespérément. Les rares fois où elle participe à une compétition, c’est pour jouer les derniers rôles et ramasser des miettes. Le Pit, la Ld, jadis partis bien implantés dans les zones rurales avec une forte adhésion d’enseignants ne sont plus que des wagons qui se font tracter vers l’inconnu. Quid d’Aj ? Dynamitée en deux portions, Decroix et Landing Savané s’en allant chacun avec un petit morceau, l’Aj originelle n’est plus que le vague souvenir de ce qu’elle fut dans les années 90 où, avec d’autres, elle donna du fil à retordre au régime finissant de Diouf.
Clairement, la Gauche est donc aujourd’hui à un moment historique de son existence. Soit, elle se réinvente et continue à vivre, même sous assistance respiratoire, soit elle continue avec ses recettes du passé faites de «contribution», de «participation responsable» et assume le risque d’être larguée en rase campagne chaque fois que l’occasion se présente. D’ailleurs, pour son dernier remaniement avant son départ du pouvoir, Macky Sall qui ne savait plus que faire de cette Gauche qu’il porte comme un fardeau n’eut aucune peine à se passer des services de Samba Sy (Pit) et de Momar Samb (Rta-S). De quel poids pèsent tous les partis de gauche réunis pour imposer quoi que ce soit à qui que ce soit ? D’ailleurs, peut-elle se réinventer et recruter en masse chez les jeunes si elle est dirigée par des septuagénaires au moment où les partis qui montent et gèrent aujourd’hui le pouvoir sont animés par des leaders dont la moyenne d’âge tourne autour de 40 ans ? La voie de son salut réside dans le rajeunissement pour espérer attirer la frange jeune qui a déserté ces partis où la lutte des places a supplanté la lutte des classes. Depuis qu’elle a piqué le virus du suivisme, la Gauche traditionnelle a délaissé son rôle de formation des masses qui faisait sa force pour enfiler le costume de Gauche bobo écumant les beaux quartiers et plus préoccupée par le partage des postes que par sa propre régénération.
L’analyste et essayiste Mamadou Sy Albert ne croyait pas si bien dire. Lui qui, dans son ouvrage, «Les enjeux de la renaissance des partis de gauche», se dit d’avis que «le discours politique et le projet de société se sont essoufflés au fil de l’histoire des partis et de l’évolution du pays et les partis ont à la limite abdiqué la bataille des idées, des débats idéologiques et des programmes». Son second souffle, seule voie de son renouveau, la Gauche le trouvera dans une impérative renaissance qui postule à la fois le rajeunissement et une prise de distance vis-à-vis des logiques de partage de pouvoir. A défaut, elle va évoluer d’un stade de clinique à celui de mort certaine.
Ibrahima ANNE