CONTRIBUTION
Au Sud du pays, après une longue période d’accalmie, la fureur et le bruit des armes viennent d’un coup troubler le sommeil de la population et semer un chaos indescriptible. Le massacre aveugle de 13 de nos compatriotes est d’une cruauté inouïe. Cet événement tragique interpelle l’ensemble du corps social sénégalais. Il remet en question notre besoin grandissant de vivre en paix et en communion avec nos compatriotes du Sud du pays. Le carnage de Boffa est un sacré coup porté à l’unité du pays. La République et ses valeurs sont remises en question par les assaillants qui ont voulu manifester un certain mépris à la dignité humaine et tester les limites de l’engagement du gouvernement du Sénégal à défendre les citoyens sur l’ensemble du territoire national.
Au-delà de la condamnation unanime de cette violence sauvage, de son caractère outrageant, de la solidarité envers les familles des victimes, de notre sollicitude à l’encontre de la population casamançaise dans ces moments de douleur et de colère, nous ne devons pas occulter la responsabilité de nos autorités publiques. En vérité, l’Etat du Sénégal ne s’est jamais donné les moyens idoines en vue d’une véritable politique de paix et de réconciliation avec la fraction séparatiste du Mfdc. En effet, depuis le début de la rébellion armée dans le sud du pays, tous les pourparlers et toutes les négociations entre les autorités de la République et les responsables des séparatistes ont échoué de manière lamentable. Derrière les engagements de paix pris devant les micros et les communiqués de presse, il n’y a pas eu de dialogue franc et responsable entre les deux parties antagonistes.
Négocier requiert un certain nombre de préalables sur lesquels les parties doivent s’accorder avant de se lancer dans le vif du sujet. Le problème le plus épineux dans le dossier de la rébellion constitue l’identification et la reconnaissance des interlocuteurs crédibles. En effet, il existe plusieurs groupuscules qui se réclament du Mfdc alors qu’en réalité, ils sont des associations de malfaiteurs qui, face à l’incurie voire l’irresponsabilité de nos autorités à prendre à bras le corps les questions sécuritaires de nos compatriotes, se singularisent dans la lâcheté en commettant des braquages et des meurtres et espèrent in fine se faire reconnaître par l’Etat du Sénégal comme des interlocuteurs incontournables pour la résolution du problème casamançais. Avec ces groupuscules armés, l’Etat du Sénégal doit être sans pitié. Il a le devoir de les traquer, voire d’user de son monopole de la violence légitime afin de les contraindre à déposer les armes et à se conformer au respect des lois et règlements de la République du Sénégal.
Par ailleurs, le massacre sordide indique clairement que l’Etat du Sénégal a failli dans sa mission de protection de notre environnement. Dites-nous, Messieurs les autorités de la République, comment ça se fait que des hommes peuvent se permettre de mener une campagne d’abattage de nos arbres forestiers de manière illégale et irresponsable en toute impunité. La région casamançaise et sa population sont laissées à leur propre sort sous la menace de cet irrédentisme séparatiste qui ne cesse de créer le chaos et de terroriser nos compatriotes du Sénégal.
Pour venir à bout de la rébellion casamançaise, les autorités de la République doivent nouer des liens solides avec tous les segments de la population du Sud. Malgré les larmes et les cris de désespoir, nous devons oser le pari de l’audace. Les appels à la guerre contre la rébellion n’attisent que le feu et le ressentiment. Nous devons cultiver, voire promouvoir la confiance avec nos frères du Sénégal afin qu’ils ressentent au plus profond de leur âme que ce pays leur appartient aussi. Nos frères du sud du pays doivent regarder et considérer le Sénégal comme leur patrie, la terre de leurs ancêtres en dépit même de certains particularismes qui font la beauté de la Casamance et de ses habitants. En effet, nos frères du sud du pays ne doivent plus considérer le Sénégal comme un Etat étranger oppresseur. Par ailleurs, ils doivent enseigner aux jeunes que lorsqu’ils voyagent ou circulent à l’intérieur du territoire, ils sont encore dans les limites de l’espace national. Au plus, ils doivent apprendre à se départir, dans leur inconscient collectif local, d’un certain discours clivant du genre: «je vais au Sénégal» afin d’accepter de voir en l’autre situé au-delà de la frontière avec la Gambie, un compatriote et un frère partageant les mêmes valeurs.
Pour nouer ce lien de fraternité et de partage avec nos frères du Sud, la République doit être au cœur du mouvement de réconciliation nationale. Une œuvre pédagogique est nécessaire afin que les valeurs de la République soient comprises et partagées de part et d’autre du pays. Seul le socle de nos valeurs démocratiques et républicaines peut instaurer ce climat de confiance. Au plus, pour une véritable dynamique de paix, l’Etat du Sénégal doit redéfinir sa politique et orienter de manière substantielle ses investissements dans le sud du pays afin de mieux mettre en valeur ses nombreuses potentialités.
C’est pourquoi, nous estimons que l’Etat du Sénégal, depuis de très nombreuses années, fait fausse route dans son approche de développement économique du pays en circonscrivant l’essentiel de sa politique sur une portion très réduite du territoire national. La rébellion est surtout nourrie et entretenue par les sentiments de négligence, d’abandon, voire de manque de considération ressentis par les membres du Mfdc de la part des autorités de la République.
Instaurer la confiance envers nos compatriotes du sud du pays ne suffit pas. Il faut aller plus loin en impliquant de manière pragmatique les acteurs locaux dans le développement de leur région. En effet, il est illusoire pour l’Etat du Sénégal de vouloir la paix tout en favorisant une politique de parachutage de politiciens professionnels, des messieurs Casamance qui ne sont qu’à la recherche de profits, voire de privilèges indus sur le dos des populations et qui n’ont pas la confiance de leurs concitoyens. Cette pratique a non seulement trop duré, mais également elle a créé un climat délétère de suspicion et de méfiance.
Négocier, voire tendre la main à toutes les forces vives de la région de Casamance est le pré requis inéluctable pour une nouvelle ère de construction et de solidarité nationale inclusive. C’est un pas dans la marche pour l’unité territoriale. La République est une et indivisible. Elle doit le rester parce que tout compte fait, nous partageons, au-delà de nos spécificités, l’essentiel de nos valeurs traditionnelles de vouloir vivre en commun. La réconciliation prendra du temps. Nous devons nous donner les moyens de la rendre effective, voire accepter de faire des sacrifices en offrant, malgré les tueries sauvages, les destructions des biens, la hantise de la peur, le ressentiment des uns et des autres, la soif de vengeance, l’armistice à tous les combattants séparatistes qui acceptent de bonne foi de déposer les armes. Toutefois, cette grâce ne suffit pas seulement pour assurer la paix. Elle doit être accompagnée par une véritable offre politique de réinsertion sociale et économique des indépendantistes armés.
La République doit être ouverte, accueillante, protectrice et généreuse avec l’ensemble de ses composantes. Cependant, elle ne doit point faiblir devant ceux ou celles qui peuvent la détricoter, voire saper ses fondements. La République est garante de nos libertés et de notre idée de nation. Elle doit se faire sentir partout et doit être au cœur de notre engagement citoyen. C’est pour cette raison que j’ai du mal à comprendre, voire à accepter l’absence du président Macky Sall auprès des familles éplorées et de la population casamançaise afin de leur témoigner du soutien total de la République du Sénégal. C’est un minimum que les citoyens ont le droit d’attendre d’un chef d’Etat responsable et conscient des enjeux de l’heure.
Le président de la République, Macky Sall, a manqué à son devoir d’autorité et de gardien de la sécurité des biens et des citoyens sénégalais. En effet, le président Macky Sall est tellement obnubilé par un second mandat présidentiel qu’il a, par mégarde, laissé fatalement une occasion historique de défendre la République, ses valeurs et l’unité du pays auprès de la population casamançaise. Le président de la République doit mesurer la gravité de la situation et jouer amplement son rôle. C’est inacceptable qu’il se terre au palais présidentiel en refusant de se rendre en Casamance pour soutenir les victimes alors que, dans le cas de l’attaque de Charlie Hebdo, il avait mobilisé les services de l’Etat tout en bravant le froid de la capitale française pour rendre hommage aux blasphémateurs attitrés du Prophète Mohamed (Psl). Cherchez l’erreur ! Cet homme n’est pas digne de diriger le Sénégal.
A la suite d’une explosion en Belgique, dans la province d’Anvers faisant 2 morts et 14 blessés, le Roi Philippe et le Premier ministre Charles Michel se sont rendus sur place pour apporter leur soutien aux familles des victimes et aux étudiants blessés et leur témoigner de la solidarité de l’ensemble du Royaume dans ces moments de deuil et de tristesse. Dites-nous Monsieur Macky Sall, président de la République du Sénégal, les autorités belges sont-elles plus compatissantes que vous ? Où est passée entre temps l’émotion «nègre» chère au président-poète Léopold Sédar Senghor dans sa construction de l’identité complexe de l’homme noir ?
Massamba NDIAYE