Ces détracteurs le considèrent comme étant un candidat par défaut, un candidat de substitution. Peu importe. Bassirou Diomaye Faye, le candidat de Pastef est sûr de sa victoire. Dans cet entretien exclusif accordé à Walf Tv, à Kaoalck, il affirme que le peuple est appelé à choisir entre la rupture et la continuité. Issu d’un milieu modeste, il se voit déjà comme le 5e président de la République.
Walftv : La durée de la campagne électorale est particulière. Vous avez pris le train en marche, au lendemain de votre élargissement de prison. Quel bilan à mi-parcours tirez-vous de votre campagne ?
Bassirou Diomaye FAYE: Que les gens s’en rendent compte ou non, il y a une sorte de traumatisme au Sénégal durant ces deux dernières années. Pastef en a été victime. Notre coalition lance toujours un appel à la paix. Nous pouvons nourrir une adversité tout en gardant la sérénité. C’est nous dans nous. Nous sommes tous parents. Les électeurs voteront pour le candidat qui a présenté le meilleur programme. Au soir du scrutin, si le processus se déroule dans la transparence, les perdants féliciteront le vainqueur. De ce fait, je lance un appel aux Sénégalais, y compris les leaders politiques, en leur disant que la politique ne vaut pas certains actes. Il faut que tous les candidats, particulièrement ceux de Benno dont les militants attaquent nos caravanes, lancent ce même appel de paix à l’endroit de leurs sympathisants. Nous devons nous réconcilier en appelant à l’apaisement.
Au-delà de la violence, je tire à mi-parcours un bilan de satisfaction. Nous avons été lésés parce que les 18 candidats ont démarré leur campagne avant nous. A l’ouverture de la campagne, le candidat de la coalition DiomayePrésident n’était pas disponible. J’étais en prison en même temps que le leader charismatique de Pastef, Ousmane Sonko. Tout le monde connaît sa popularité au Sénégal. J’étais impatient de sortir pour livrer un message aux Sénégalais, même si à un certain moment des agents de l’administration pénitentiaire me taquinaient me disant de rester en prison et laisser les autres battre campagne pour moi.
Sous ce rapport, les Sénégalais ont senti, avec notre participation, la véritable campagne électorale. Dans la coalition DiomayePrésident, nous avons des alliés exceptionnels. Ils n’ont pas attendu que nous sortions de prison pour battre campagne. A 45 jours de ma libération, on m’avait interdit de parler au téléphone de politique. On m’avait interdit de s’entretenir même au téléphone avec mon directeur de campagne. Quand je me suis opposé à cette décision, j’ai été privé définitivement de téléphone. J’ai été même privé de m’entretenir avec ma maman, souffrante, mon père, mes épouses, mes enfants…. Je ne pouvais plus coordonner avec mes militants et responsables. Même l’attribution des permis de visite a été suspendue. C’était un véritable handicap.
Au regard de notre mobilisation, tout observateur objectif est d’avis que le favori à cette élection, c’est la coalition DiomayePrésident. Cette coalition sur le point de gagner au premier tour la présidentielle, c’est justement celle qu’on a cherché à empêcher qu’elle présente un candidat et à battre campagne. Cela nous oblige à nous surpasser. Nous avons des militants exceptionnels.
Vous dites que vous allez remporter la présidentielle dès le premier tour, au regard des foules que vous drainez. Mais des spécialistes estiment que les véritables électeurs ne sont pas dans les rues, mais dans les maisons.
Beaucoup d’analystes politiques refusent de remettre à jour leurs logiciels. Mais je crois qu’au sortir de cette élection, il y aura une mise à jour sur plusieurs aspects. Beaucoup d’entre eux estiment que le candidat Diomaye qui ne peut pas gagner sa commune, ne pourra pas remporter une présidentielle. Je n’ai pas gagné ma commune, mais je gagnerai la présidentielle. Il faut qu’on accepte de faire un recul pour changer la lentille d’appréciation du champ politique, surtout en ce qui concerne cette présidentielle.
La maxime courante dit que l’élection présidentielle c’est la rencontre entre un homme et son peuple. Cette élection ne consacre pas cet aphorisme, mais elle introduit une rupture paradigmatique. Cette élection, c’est la présentation d’un projet de société clair à un peuple qui est appelé à choisir fatalement entre la continuité et la rupture. Ce n’est pas que la rencontre d’un homme et de son peuple. La preuve, je pouvais rester en prison et laisser le travail à mes alliés. Ils ont fait Dakar à ma place.
Nous avons dans notre projet un Sénégal souverain, de justice, de paix et de référence pour les autres pays de l’Afrique. C’est notre rêve, notre projet de société que nous présentons. C’est pourquoi, même si je n’étais pas sorti de prison, le travail allait être accompli.
Quelle réponse apportez-vous à ceux qui reprochent de recycler de leaders considérés comme du système?
Il faut que les gens acceptent les explications que nous avions données par rapport au mot système. Le terme ne nous appartient pas, mais dans le champ politique sénégalais, nous faisons partie de ceux qui l’ont théorisé. En 2019, quand Ousmane Sonko avait interrompu sa campagne pour se rendre chez Me Abdoulaye Wade, à sa sortie, il avait dit à la presse que le système n’est pas un individu. Lors de l’anniversaire de Pastef, le 04 janvier 2020, il avait lancé un appel aux militants de l’Apr qui n’ont rien à se rapprocher à nous rejoindre. La vingtaine de personnes qui ont créé le projet Pastef que je porte aujourd’hui ne suffisent même pas pour remplir la salle du Conseil des ministres, sans parler de la gouvernance du Sénégal. Ils sont nombreux des gens apolitiques dans le système qui ont rejoint notre parti.
Le seul tort d’un président de la République, c’est d’accepter dans son entourage un fonctionnaire détenteur d’une partie du pouvoir exécutif qui, avec sa signature, a compromis les intérêts de la nation. Nous avions vérifié l’affaire des 94 milliards au niveau des Impôts et Domaines, au niveau de la justice, de la famille. Nous avions déposé plainte à l’Ige, au procureur, à la Cour des comptes. L’Ofnac a été la seule institution qui avait accepté de rédiger un rapport pour confirmer nos dénonciations. Le président avait refusé de le poursuivre au moment où l’agriculture, la pêche et l’élevage rencontraient d’énormes difficultés. Il le protège. Pendant ce temps, il accuse Bassirou Diomaye Faye de terrorisme. C’est cela un système.
Ce qui est important, c’est que notre finalité n’a jamais été que Diomaye ou Ousmane Sonko dirige le pays. Il l’a toujours rappelé à travers sa célèbre formule: le Sénégal n’a pas besoin de héros, mais d’une masse critique de Sénégalais engagés à sortir le Sénégal du gouffre dans lequel il se trouve. Ceux qui viennent, savent très bien de quoi il s’agit, ce qui les attend. Notre objectif est de redresser le Sénégal. Donc, le terme antisystème est une pratique de gouvernance qui appelle à la rupture. Cette élection consacre une rupture dans l’impunité. Le rapport sur le fonds Forces Covid-19 est encore dans les tiroirs. Des rapports dont les enquêtes ont été bouclées ne sont pas toujours publiés. C’est à cela que nous voulons apporter une rupture.
«Je viens d’un milieu très difficile».
Etes-vous disposé, une fois élu, à tirer au clair le rapport du fonds Forces Covid-19?
Si les Sénégalais veulent un changement de paradigme, une transparence dans la gestion des deniers publics, le partage équitable des ressources, qu’ils m’essaient comme président de la République. Je viens d’un milieu très difficile. J’ai un parcours aussi. Et il y a des Sénégalais qui n’ont pas la chance d’avoir mon parcours.
C’est pourquoi quand je vois des fonctionnaires réclamer beaucoup d’argent pour compromettre les intérêts du trésor public, j’en souffre. Quand des gens, membres de la mouvance présidentielle, sont épinglés dans des détournements de deniers publics débusqués par des organes de contrôle, vaquent à leurs occupations, il y a problème. Un pays ne peut pas fonctionner ainsi. Il faut que le Sénégal redevienne sérieux sinon on continuera à vivre les mêmes problèmes. Le monde ne nous attend pas. On est en retard.
Mon intime conviction est que j’ai fait la prison par la grâce de Dieu. C’est à travers la prison que j’ai su que des gens se font emprisonner juste pour se faire soigner. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi certaines personnes s’enrichissent de manière éhontée sur le dos des Sénégalais. Une richesse qu’ils ne parviendront même pas à consommer durant leur éphémère existence. Huit mille jeunes sont morts sur la route de la migration, selon l’OIM. Aucun pays ne peut se développer quand des phénomènes comme la corruption, les détournements de deniers publics sont endémiques.
Pourquoi avoir demandé au candidat de Benno de faire sa déclaration de patrimoine ?
Il faut savoir que la campagne électorale est un moment de débats où des thématiques doivent être développées pour que les Sénégalais soient informés avant qu’ils ne fassent leur choix. Nous avons parlé de réformes en posant le débat sur le poste de vice-président, on nous a attaqués. Ils sont revenus à la charge en attaquant notre option monétaire, ensuite la question de l’éthique dans les affaires publiques. Alors que leur candidat est loin d’être une personne clean et ce n’est pas une personne qui peut redresser le Sénégal. Mes amis qui sont devant moi peuvent en témoigner. Si Macky et Amadou Ba étaient des candidats mon choix serait porté sur le candidat Macky Sall.
Pourquoi ?
Primo, Macky Sall a le courage de ses idées. Vous pouvez ne pas être d’accord avec lui, il peut également faire des erreurs, mais lorsqu’il le fait, il ne s’en cache pas et ne fuit pas devant ses responsabilités. Secundo, ce que je sais de Amadou Bâ, je ne le trouve pas en Macky parce qu’on n’était pas dans la même administration. C’est après son élection que je l’ai connu et je suis conscient qu’il a appris de ses erreurs. Amadou Bâ on a été ensemble aux Impôts. Je suis candidat et je suis appelé à faire ma déclaration de patrimoine. L’idée a mûri en moi depuis mon incarcération. Celui qui prétend diriger les Sénégalais doit exposer son patrimoine pour qu’on sache ses biens à son entrée et à sa sortie de la présidence. Il est dans l’obligation de déclarer son patrimoine.
Pourquoi Macky au lieu de Amadou Ba, avec tout ce qu’il vous a causé comme dommages. Cela signifie que vous connaissez des choses graves sur Amadou Bâ?
Ceux qui n’ont pas voulu de la loi d’amnistie pensent qu’ils ne devraient pas avoir de trous noirs dans l’histoire du Sénégal. En 2012, je reprochais à Macky certaines choses, c’est pour cela que je n’avais pas voté pour lui. Je m’étais dit qu’une personnalité qui force un bureau de vote, si on lui confie un pays, il va nous imposer la force.
Pourquoi n’avez-vous pas attaqué le bilan de Macky Sall au lieu de s’attaquer à Amadou Bâ ?
Macky Sall ne fait plus partie du jeu.
Mais c’est son bilan.
Comme je l’ai dit, Macky ne fait plus partie du jeu. Si vous écoutez bien Amadou Bâ dans la campagne vous allez remarquer qu’il se démarque du discours de Macky.
On parle de complot qu’aurait orchestré Amadou Bâ avec ses mallettes d’argent ?
Macky Sall l’a choisi alors que ce n’est pas son candidat. Lorsqu’on faisait la démackysation à la Dgid sous le régime Wade, j’étais dans le même service que Abdoulaye Daouda Diallo, il était très affable et très simple. A cette époque, on l’avait mis dans un minuscule bureau. Amadou Bâ l’avait mis dans des conditions très difficiles pour faire plaisir à Abdoulaye Wade.
Beaucoup de Sénégalais disent que vous êtes tendre avec Macky depuis votre élargissement. Qu’est-ce qui s’est passé, est-ce le fruit de négociations?
C’est depuis le 3 juillet 2023 que j’ai compris que Macky n’est plus notre adversaire. Après le 3 juillet, j’ai cherché à entrer en contact avec son fils Amadou Sall pour lui dire que son père n’a plus rien à perdre, qu’il s’en va et qu’il se méfie de certains de ses proches. Et le reste c’est d’organiser un scrutin transparent pour que les Sénégalais lui pardonnent peut-être les dommages qu’il a causés. Je lui ai également dit que s’il continue dans son entreprise de réduire au néant Pastef, non seulement ce sera difficile pour lui, mais sa réputation sera entachée à jamais et qu’il ne parviendra pas aux résultats escomptés.
Amadou Bâ a riposté disant que Sonko et toi vous n’êtes pas sérieux et que vous êtes un danger pour le Sénégal.
Tout ce que nous savons sur lui, on ne peut pas le mettre sur la place publique. En 2016, j’étais dans le syndicat des contrôleurs et inspecteurs des impôts et domaines, lorsqu’on organisait une conférence de presse pour dénoncer les remises gracieuses que faisait Amadou Bâ, évaluées à 50 milliards. On avait pris sur nous le sacrifice de risquer notre carrière.
Est-ce que le problème du Sénégal n’est pas causé par les fonctionnaires qui travaillent dans les régies financières ?
Au contraire. Si je fais ma déclaration de patrimoine vous allez savoir que j’ai des prêts bancaires en cours. Dire que les fonctionnaires des Impôts sont tous des milliardaires est stéréotype.
«Le jour où le Conseil constitutionnel a validé ma candidature, c’est ce jour-là que j’ai porté le manteau du président de la République.»
Vos détracteurs disent que c’est risqué de vous confier le pays au moment où tout le monde dit que le pays est encerclé par un cercle de feu?
Le jour où le Conseil constitutionnel a validé ma candidature, c’est ce jour-là que j’ai porté le manteau du président de la République. Je porte déjà cet habit. J’ai intégré la fonction de président de la République depuis longtemps. Parce que je suis dans un projet où on a intégré les ruptures transformationnelles depuis longtemps. Même en étant en prison, Sonko et moi, chacun travaillait de son côté pour voir quel est l’attelage gouvernemental le plus cohérent.
Avez vous les épaules et le profil pour être un président de la République au Sénégal ?
Il n’y a aucun doute.
Mais l’Etat c’est quelque chose de sérieux ?
Oui. Mais les populations ont besoin de quelqu’un qui aime ce pays. Je prends le cas du président Macky Sall. S’il s’agit d’occuper des positions il n’y a pas un Sénégalais qui peut lui damer le pion dans ce domaine. Et quand il a demandé les suffrages des Sénégalais pour être président de la République, tout le monde était d’accord qu’il avait le profil. Mais c’est sous son magistère qu’on a vu des populations manifester leur amertume, être attaquées avec des gourdins et des coupe-coupe et qu’on donne des consignes aux forces de l’ordre de ne pas bouger. Le pays a besoin de gens qui ont les mains propres, qui aiment le pays et qui sont dignes.
En cas de victoire, vous aurez combien de ministres dans votre gouvernement ?
Je vais éviter les effets d’annonce. Nous sommes dans une coalition où il y a des hommes et des femmes d’expérience qui arrivent et ils ont tous leur mot à dire dans ce que nous faisons parce que nous sommes dans la co-construction.
Les gens disent que Bassirou Diomaye Faye est très sérieux. Est-ce qu’ils ont raison?
J’ai toujours été quelqu’un de calme. Mais en tout état de cause, j’ai des défauts et des qualités. Mais chaque jour, je fais en sorte de donner le meilleur de moi-même. C’est ce qui est important. Au-delà de ma personne, les Sénégalais voient tout un projet et c’est ce qui est important. Et je pense que ma personne ne les effraie pas trop. Et on n’est jamais trop sérieux quand il s’agit de diriger un pays.
Vous serez un président de la République plus souriant ?
Je pense que le sourire ne va pas développer le Sénégal. L’important c’est de bien diriger le pays et de défendre les intérêts du pays.
Demain, si vous êtes élu président de la République, quelle place va occuper Ousmane Sonko?
Je ne comprends jamais pourquoi cette question. Pourquoi les gens veulent inlassablement en faire une affaire de personne. On n’a pas besoin que d’une seule personne pour redresser ce pays. Pourquoi les gens ne s’intéressent qu’à Ousmane Sonko et pas aux autres qui vont m’accompagner dans la gestion du pays ?
Donc il n’y aura pas un président de la République sous tutelle de Sonko?
On a tous constaté qu’au Sénégal les pouvoirs du président de la République sont exorbitants. Je les ai dénoncés avant d’être élu. Pourquoi j’ai proposé le poste de vice-président parce que j’estime que le président de la République doit être déchargé pour donner ces pouvoirs à une autre personnalité forte au sein de l’équipe gouvernementale.