La perception de la place des religieux sur l’échiquier politique a beaucoup évolué ces dernières années selon l’étude réalisée par Timbuktu Institute, rendue publique, Jeudi, à Dakar.
« Cette évolution est indissociable de la trajectoire démocratique du Sénégal de même que des évènements marquant la décennie écoulée. Même s’il reste indéniable que ces acteurs religieux ont largement contribué à la stabilisation du pays dans des situations relativement complexes, il est apparu que la jeunesse sénégalaise est de plus en plus exigeante sur les questions politiques », a fait observer l’Institue d’études africaines et postcoloniale.
Selon les chercheurs , il y a d’abord la prise de conscience des enjeux de leur choix électoraux pour leur avenir et celui de leur pays.
« Ce constat, auquel vient se greffer l’effet des promesses électorales souvent non-tenues provoquant en même temps désaffection et perte de confiance vis-à-vis des acteurs politiques, a eu tout son poids dans l’observance des consignes de vote émanant des « porteurs de voix classiques dont les religieux », ont-ils indiqué.
Néanmoins, malgré les critiques formulées contre ces leaders, taxés parfois de « spectateurs dans certaines situations », leur parole demeure « sacrée » et attendue en cas de besoin pour nombre de Sénégalais.
« C’est ce qui pourrait justifier la demande très forte d’intervention des religieux en cas de situation politique jugée difficile. L’actualité politique sénégalaise sur le report de l’élection est la preuve tangible d’un appel à intervention fait auprès des religieux. Ce crédit encore réel pour la parole des religieux conforte leur rôle de médiateurs efficaces en situation de crise politique », l’étude dirigée par le professeur Bacary SAMB.
Une autonomisation de leurs choix politiques
Selon ces chercheurs, la question qui reste en suspens est celle de savoir si « l’on ne serait pas en face d’une contradiction qui traverse l’opinion sénégalaise ou d’une différenciation volontaire dans le rôle des religieux »
D’un côté, les citoyens se détachent progressivement de consignes politiques données par les acteurs religieux et de l’autre côté, exprimant un désir d’intervention des acteurs politiques dans la pacification de l’espace politique.
Par ailleurs l’étude démontre que les tendances dominantes sur les Sénégalais interrogés semblent apprécier positivement le rôle de « régulateur et de médiateur » des acteurs religieux mais aspirent de plus en plus à une autonomisation de leurs choix politiques notamment en matière électorale.
« La démocratisation de l’accès à l’information politique et au savoir religieux combinée à une forte mutation sociopolitique due à celle des modes de socialisation, a eu un réel impact aussi bien sur la perception de la place des religieux que sur leur influence réelle dans les choix électoraux », ont-ils révélé.
Cette situation qui se dessine réinterroge à la fois le fameux « contrat social sénégalais » fondé sur les interactions régulées entre acteurs religieux et politiques mais aussi une continuelle négociation du sens donnée à cette coexistence.
Jeunesse hyper connectée
En perspective des élections présidentielles, les interrogations sur le poids réel du religieux sur le choix des Sénégalais se justifient au regard des incertitudes concernant la jeunesse, de plus en plus émancipée des cadres traditionnels de transmission des idées et des opinions politiques.
« Cette jeunesse hyper connectée a beaucoup appris des expériences d’ailleurs mais a aussi développé des modes spécifiques de contestation amplifiés par les immenses possibilités qu’offrent les réseaux sociaux. Il n’est pas sûr que les acteurs religieux, de même leur influence demeurent, durablement, indemnes d’une telle évolution qui a complètement bouleversé les paradigmes d’antan sur la socialisation politique mais aussi l’encadrement religieux à l’heure d’Internet, mettant fin à l’étanchéité des modèles religieux »
Réinventer les outils conceptuels
Sur un autre plan, le débat sur la sauvegarde d’un modèle religieux sénégalais qui a fait irruption ces dernières années sur la scène politique surtout avec la montée des contestations et des nouveaux modes d’engagement politique est un des signes d’un tournant où plus que jamais les choix politiques de même que la consommation des offres religieuses seront de moins en moins dépendants des déterminismes sociopolitiques ou religieux.
« Il va nécessairement falloir réinventer les outils conceptuels de même que l’approche du rapport entre religion et politique au Sénégal au risque de rester enfermés dans le carcan des analyses classiques qui ont subi l’épreuve du temps et des mutations sociétales aux niveau local comme global », ont-ils suggéré.
Liboire SAGNA