Le Brésilien Edson Arantes do Nascimento, dit « Pelé », est mort le 29 décembre 2022. Il était le monarque absolu du ballon rond, le seul joueur à avoir gagné trois Coupes du monde, en 1958, 1962 et 1970.
Jamais contestée, pas même par Cruyff, Platini, Maradona, Zidane, Messi ou Cristiano Ronaldo. Son trésor, ces 1 283 buts inscrits (selon son propre décompte) en 1 366 matchs et vingt ans de carrière, record qui continue de défier, depuis les années 1970, le football moderne et ses méthodes scientifiques. Son narcissisme, qui l’amenait fréquemment à parler de lui-même à la troisième personne du singulier, à évaluer son unicité à l’aune de Michel-Ange ou de Beethoven, rares exemples, à ses yeux, de personnages à avoir reçu, comme lui, un «don de Dieu». Comme Elvis Presley pour le rock, Edson Arantes do Nascimento dit «Pelé», mort le jeudi 29 décembre, à l’âge de 82 ans,fut donc le monarque absolu du ballon rond. L’«Elu». Ne demeure-t-il pas le seul joueur à avoir gagné trois Coupes du monde, en 1958, 1962 et 1970 ?
Fluet mais doté d’une technique surnaturelle des deux pieds et de la tête, à peine plus haut que 1,70 mètre, mais pourvu d’une prodigieuse détente verticale et fort d’une stupéfiante lecture du jeu, Pelé, avant d’être une divinité, était un joueur, au sens littéral, ludique.
Un éternel gamin pour lequel le foot demeurait un jeu où il pouvait laisser s’exprimer son inventivité et son culot phénoménal, son sens inné de l’«improvisation» – comme l’a souligné son capitaine Carlos Alberto –, qui le portait à accomplir des gestes adaptés à chaque situation, jamais répétés. Le propre d’une œuvre d’art.
Avec lui, les plus grandes enceintes du monde, à commencer par la première, le Maracana de Rio de Janeiro, étaient transformées en cours de récréation géantes. Le feu follet y ridiculisait les défenseurs, soudain lourdauds, patauds, pétrifiés à son contact.
Les deux plus merveilleux exemples qui viennent à l’esprit datent de sa dernière Coupe du monde, son apothéose mexicaine, en 1970. Dès son entrée dans la compétition, il stupéfie les spectateurs de Guadalajara en osant un lob d’une cinquantaine de mètres aux dépens du gardien tchécoslovaque Ivo Viktor, mais manque sa cible de quelques centimètres.
Lors de la demi-finale, face à l’Uruguay, il les gratifie, après une ouverture transversale de Tostao, d’un grand pont exécuté sans toucher le ballon, en le laissant filer sur la gauche de Ladislao Mazurkiewicz, araignée noire ayant quitté sa toile pour l’attraper à l’entrée de la surface de réparation. Après avoir contourné le malheureux sur sa droite, Pelé récupère insolemment l’objet, mais croise trop sa frappe. Encore raté ! Enfin, si l’on veut. Car, de cet exploit avorté, on a retenu non le résultat, mais la manière.
«Petit et plutôt maigrichon»
Altruiste, Pelé savait aussi mettre les autres en valeur. C’est encore lui qui est à l’origine, toujours au Mondial 1970, de l’« arrêt du siècle» réalisé par l’Anglais Gordon Banks sur une tête piquée à bout portant (« J’ai marqué un but, mais Banks l’a stoppé », commentera-t-il) et, en finale contre l’Italie, d’un modèle de construction de but, avec sa remise à l’aveugle décalant Carlos Alberto pour le coup de grâce (4-1). Il quitta cette compétition sur un triomphe, torse nu, soulevé comme un trophée par la foule au stade Azteca de Mexico.
Pour la première fois, les foyers équipés avaient pu admirer l’idole en couleurs, dans son habit de lumière, auriverde, or et vert. Pelé avait propulsé le Brésil vers un troisième sacre en ouvrant le score de la tête, après s’être élevé au-dessus du défenseur milanais Tarcisio Burgnich, qui le dépassait pourtant de plusieurs centimètres et dut déployer son bras en désespoir de cause. «Je m’étais dit avant le match qu’il était en chair et en os, comme nous tous, déplora son garde du corps. Je me suis rendu compte plus tard que je m’étais trompé.»
Le 18 juillet 1971, lors d’un match amical, au Maracana, face à la Yougoslavie, Pelé apparut pour la dernière fois sous le maillot de la Seleçao. Sans lui, ce ne serait plus pareil. En quinze années, il avait fait du football une fête.
Les premières gerbes du feu d’artifice avaient été tirées à Bauru, une ville de l’Etat de Sao Paulo. Dès ses 13 ans, Edson Arantes do Nascimento, fils d’un footballeur professionnel surnommé «Dondinho», jouait pour l’Atletico Clube local, peaufinant sa technique par la pratique du football en salle, qui venait d’être introduit au Brésil. Le garçon est né plus au nord-est, le 23 octobre 1940, à Tres Coraçoes, une petite ville du Minas Gerais dont la vie des habitants avait été transformée par l’électrification. C’est pourquoi il avait reçu le prénom d’Edson, en hommage à Thomas Edison.
Son surnom de Pelé proviendrait d’une déformation du nom du gardien de l’Ac Bauru, Bilé, auquel ses camarades le comparaient pour le charrier. Pelé fut donc aussi portier ? Oui, et l’explication est simple, fanfaronne-t-il dans Pelé. Ma vie de footballeur (Globe, 2014) : «J’occupais souvent le poste de gardien de but, car, si j’étais attaquant dès le début du match, notre équipe gagnait tout le temps, et l’équipe adverse n’avait plus envie de jouer.»
Professionnel à 15 ans
Auparavant, le cancre, qui exerçait de petits métiers, comme cireur de chaussures, avait découvert sa dextérité en jonglant avec des chaussettes nouées ou des pamplemousses. Il écrit : «Mon père voyait que j’étais petit et plutôt maigrichon (…). Comme je ne pouvais pas pousser les autres hors de mon chemin ou sauter plus haut qu’eux, il a simplement fallu que je sois plus doué. J’ai dû apprendre à faire du ballon un prolongement de moi-même. »
Pelé signe, en juin 1956, son premier contrat professionnel. Il n’est âgé que de 15 ans, et la prophétie de De Brito ne tarde pas à s’accomplir. Pour ses débuts avec l’équipe première de Santos, il s’illustre aussitôt par un but, le premier d’une multitude. Dix mois plus tard, en juillet 1957, il est convoqué en sélection nationale pour affronter l’ennemi argentin au Maracaña.
Là, il devient le plus jeune buteur qu’ait connu le football international. En tête des goleadores du championnat de Sao Paulo dès sa première saison, il s’apprête à découvrir un nouveau continent et à faire connaître son nom au monde entier. Malgré un genou douloureux, il est du voyage en Suède, qui organise la Coupe du monde en juin 1958.
En pénétrant sur la pelouse de Göteborg, pour le troisième match de poule des Auriverde, face à l’Union soviétique, Pelé devient, à 17 ans, le plus jeune participant de l’histoire du Mondial. Puis son plus jeune buteur, lorsqu’il délivre les siens en quarts de finale en brisant la résistance galloise (1-0). Enfin, son plus jeune finaliste et vainqueur en se contentant d’un doublé face aux Suédois (5-2). En demies, les Français de Kopa et Fontaine s’étaient vu infliger la même punition au score par la faute d’un triplé de l’attaquant.
Chez lui, le 10 continue son numéro. Avec son club, il est la star de l’épopée des «Santasticos», une génération dorée dépositaire du jogo bonito («beau jeu», expression que Pelé popularise), également incarnée par le gardien Gilmar, le défenseur Mauro Ramos, son partenaire sur le front de l’attaque, Coutinho, et son quasi-homonyme Pepe, complice sur le flanc gauche.
En 1958, dès sa deuxième saison à Santos, Pelé a remporté le championnat pauliste en inscrivant un total ahurissant de cinquante-huit buts en trente-huit matchs. L’année suivante, les artistes triomphent au Tournoi Rio-Sao Paulo – qui couronne un champion national –, avant de dominer le continent en soulevant la Copa Libertadores, en 1961, aux dépens du Penarol de Montevideo.
Rien ne leur résiste. Santos devient officiellement la meilleure équipe du monde, grâce à sa victoire lors de la Coupe intercontinentale 1962, face à l’autre géant lusophone, le Benfica d’Eusebio. A Lisbonne, il s’impose 5-2, Pelé, en apesanteur, réalisant un triplé. Le club pauliste conservera sa suprématie sud-américaine et planétaire lors des éditions suivantes.
(Le Monde)
PELE EN QUELQUES DATES
23 octobre 1940 : Naissance à Tres Coraçoes, au Brésil
Juin 1956 : Signature de son premier contrat professionnel au Santos FC
Juillet 1957 : Première sélection en équipe nationale
1958 : Remporte sa première Coupe du monde
18 juillet 1971 : Met fin à sa carrière internationale
1975 : Signe au Cosmos de New York
1977 : Dernier but professionnel
1995-1998 : Ministre brésilien des sports
29 décembre 2022 : Mort à 82 ans