CHRONIQUE DE WATHIE
Pour ce coup-ci, Jammeh aura fort à faire sans se tirer d’affaire. Sa dernière acrobatie va, à en pas douter, lui casser plus qu’une côte. Si les deux vendredis qu’il a enchainés lui ont été dictés par des forces occultes, d’autres, armées de mitraillettes, risquent de lui faire la peau. Une occasion aussi « précieuse » que celle-ci, jamais il ne l’a concédée à ses nombreux et pressants ennemis.
C’est connu Jammeh ne fait pas partie du syndicat des chefs d’Etat africains. Il lui est assuré qu’il ne peut, au terme de son long règne, finir comme un certain Blaise Compaoré ou un Dadis Camara. La reconnaissance de sa défaite avant même la fin du dépouillement et l’appel de félicitations qu’il a passé à son adversaire n’ont attendri que le temps d’une rose. Quarante-huit heures auront suffi pour que son passé soit exhumé, sa gestion passée au crible. Amnesty international jette ses tentacules. «Ce ne serait que justice pour les victimes qui ont été arrêtés arbitrairement, torturés, qui ont fait l’objet de disparitions de personnes ou qui ont été tuées. [Il faut] que les gens comprennent pourquoi ces graves violations des droits de l’homme ont [été commis] », déclare Alioune Tine Directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Media et autres organisations de défense des droits de l’homme se mobilisent et le nouvel élu s’épanche : «En ce qui me concerne, je ne traduirai pas le Président Jammeh devant la CPI». Déclare-t-il dans l’euphorie de la victoire exacerbée par les félicitations du président sortant. Acculé par les média et organisations, Adama Barrow tente de se rattraper. « Je n’ai jamais dit que Jammeh ne sera pas traduit devant la justice, c’est la presse qui a déformé mes propos. Mon action ne vise pas les personnes en tant que telles, mais que justice sera rendue au peuple gambien», martèle-t-il. Un cafouillage loin d’avoir rassuré l’équipe sortante. Yahya Jammeh est certes un autocrate mais s’il pue plus que les Compaoré, Dadis Camara et autres, aux yeux des organisations des droits de l’homme, c’est que comme un certain Hissen Habré son discours est souvent aux antipodes des règles de la bienséance internationale. Un chapelet et le Coran à la main, il s’est souvent distingué parmi ses homologues africains comme un homme, à défaut d’être libre, pas complexé. Ses positions tranchées sur bien des sujets ont fini par le positionner comme un rebelle. Une image que Yahya Jammeh s’est toujours évertué à polir par des déclarations incendiaires et un culte de la personnalité assez entretenu une mystification ostentatoire. «La paix régnera toujours en Gambie. La communauté internationale nous parle de démocratie, alors qu’elle tue comme elle veut. Nous ne laisserons pas la sécurité nationale de la Gambie entre les mains de chiens (…)», indiquait en avril dernier un Yahya Jammeh qui n’a rien à faire de la communauté internationale. «Je n’ai pas d’amis en Occident et je n’en veux pas. Les occidentaux me détestent parce que je ne me ridiculise pas à dire que je suis ce que je ne suis pas, mais je m’en fiche», lançait-il dans une interview avec le magazine Jeune Afrique.
La Gambie est un petit territoire, mais Yahya se voit grand, gigantesque. Il n’a pas leur carrure encore moins leur charisme mais Jammeh se perçoit comme les Kadhafi, Sankara et autres Kwameh Krumah. Si on lui refuse un vendredi saint, il se crée un vendredi de supplice. D’autant que pendant le nouveau président Barrow cafouille en enchainant les sorties médiatiques, Fatou Bensouda, procureure de la CPI, se pavane à Dakar, chez Macky Sall que Jammeh considère comme un de ses pires ennemis. Seulement, s’il voulait marcher sur les pays d’un certain Kadhafi, il ne s’est pas trompé de démarche. Sa dernière acrobatie risque de lui être fatale. Il n’y avait personne pour lui tenir tête. Maintenant il y a Adama Barrow, démocratiquement élu. Et au vu des dernières manœuvres, ce dernier est parti pour être installé, de gré ou de force. Pour avoir félicité Barrow avant de se rétracter, Jammeh est allé tout droit derrière les barreaux.
Par Mame Birame WATHIE
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