Chronique de Pape
L’acquittement de Cheikh Sidaty Mané et de Cheikh Diop, dans le cadre de l’affaire du meurtre de l’auxiliaire de police Fodé Ndiaye survenu lors des violences préélectorales de 2012, fait couler beaucoup d’encre et de salive. Aux premières heures de la libération de ces deux jeunes de Colobane, qui étaient encore en prison, des observateurs, scandalisés par cette décision de la Chambre criminelle d’appel de Dakar, ont vite considéré que la Justice a cédé à la pression, en libérant ceux qu’elle avait déclarés coupables. Meurtre, il y en a eu ; car le limier a été tué dans des conditions ignobles, alors qu’aucun citoyen n’a le droit de s’en prendre à un agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions. A la fleur de l’âge, Fodé Ndiaye a fait don de sa personne à la Nation. Il n’avait que 20 ans quand il tombait durant l’exercice de ses fonctions, dans le cadre d’un service de rétablissement de l’ordre public. Sa famille, jusque-là restée digne malgré la douleur, a accepté le décret divin même si elle estime n’avoir pas été associée à la procédure. Très déçue par le comportement de l’Etat envers son agent mort en service commandé, la famille se désole de n’avoir reçu ni certificat de décès, ni même une visite des membres du gouvernement ou de la Police nationale encore moins un dédommagement.
Mais la question centrale dans cette affaire est de savoir si les vrais coupables sont arrêtés, compte tenu des nombreux éléments à décharge qui ont motivé la libération des accusés. Le document médical qui fait état d’aveux extorqués sous l’effet de la torture, le faux témoignage de la dame Arame Sow, la terrible confusion entretenue sur l’identité de Cheikh Diop, l’absence d’empreintes sur le bouclier du policier retrouvé entre les mains d’un accusé, le faux-bond de Arame Sow au procès en appel pour confirmer ses précédents témoignages ayant conduit à la condamnation des accusés à 20 ans de travaux forcés… Brefs de nombreuses anomalies qui ont conduit à l’information du premier verdict prononcé par la Cour d’assises de Dakar devenue Chambre criminelle. L’enquête confiée à la Division des investigations criminelles (Dic) alors que la victime est un agent de ce corps a peut-être fait basculer celle-ci dans un sens ayant conduit à laisser courir les auteurs du meurtre… de la manière que le comportement des autorités judiciaires a toujours de confier une enquête a un corps auquel appartient l’agent incriminé ou a victime, comme c’est le cas dans les affaires Ibrahima Samb, Bassirou Faye, entre autres.
Doit-on rappeler que ce n’est pas la première fois que des personnes en conflit avec la loi sont libérées après une première condamnation. On se rappelle du cas Massaly à qui l’on a reproché d’avoir incendié la tribune du Parti socialiste, lors d’un meeting à Thiès. Condamné en première instance à 2 ans dont 6 mois ferme, il sera relaxé purement et simplement devant la Cour d’appel de Dakar, lors d’une audience présidée par le juge Amath Diouf. Comme il en a la possibilité, le juge d’appel a aussi le pouvoir d’infirmer ou de confirmer tout jugement rendu en première instance. Tout aussi qu’il peut alourdir ou atténuer la sanction infligée à la personne déclarée coupable d’une infraction à la loi pénale. Au-delà même de ces prérogatives, le pouvoir du juge d’appel s’étend jusqu’à l’application des six modes d’aménagement de peine prévus par l’article 44 alinéa 2 du Code pénal. D’abord, le sursis qui avait profité au lutteur Bruce Lee de Fass lorsqu’il a été arrêté pour viol suivi de grossesse. Il n’a dû son salut qu’à son engagement de reconnaître la paternité du bébé, de prendre en charge les frais médicaux de la fille et de baptiser l’enfant à sa naissance. Le sursis avait aussi profité à bien d’autres célébrités, notamment : Aïda Ndiongue (un an assorti du sursis dans le dossier Plan Jaxaay), Me El Hadji Amadou Sall (3 mois avec sursis) qui avait qualifié Macky Sall d’«impuissant», le promoteur de lutte Assane Ndiaye (2 ans avec sursis), le chanteur Mame Ngor Diazaka dans l’histoire des faux billets de banque, entre autres.
La probation est le deuxième mode d’aménagement de peine prévu par la loi sénégalaise. Dans la pratique, cette mesure a prévalu dans l’affaire Goudi town ayant mis sur la sellette Ndèye Guèye et ses acolytes. Il s’agit d’une suspension provisoire de la condamnation, le temps de surveiller son comportement durant un intervalle de temps bien défini. En pratique, la probation «permet à un délinquant d’échapper à une peine d’emprisonnement, à condition de se soumettre à certaines obligations». Le travail au bénéfice de la société, le régime de semi-liberté, le fractionnement ainsi que le placement à l’extérieur sont les autres alternatives à l’emprisonnement fixées par la loi. Et dont l’application serait une solution efficace pour lutter contre le surpeuplement dans les 17 sur 37 prisons sénégalaises. Une surpopulation propice au développement de l’homosexualité en milieu carcéral. Si les Juges d’application des peines (Jap) s’obstinent à faire bénéficier aux bagnards le placement à l’extérieur et le régime de semi-liberté, c’est parce que ces «détenus de confiance» deviennent des acteurs du trafic de drogue en milieu carcéral (voir prochain dossier de Walf Quotidien).
Et la dispense de peine vient boucler la boucle. On se rappelle que celle-ci avait sauvé le lutteur Ama Baldé d’un emprisonnement, lorsqu’il a été accusé d’avoir violenté un policier qui s’en prenait à son frère, lors d’un face to face à la Place du souvenir en prélude à son combat contre Gouye Gui qui s’est soldé par la victoire du pensionnaire de l’écurie Falaye Baldé sur le poulain de Mor Fadam. Reconnu coupable, Ama a été récolté une amende de 50 mille Francs Cfa en lieu et place d’un emprisonnement.
L’affaire des jeunes de Colobane constitue un cas d’école pour la Justice sénégalaise, pour bien des raisons. Primo : elle repose le débat sur la présence de l’avocat dès l’interpellation, seule alternative contre les tortures en garde à vue. Cette mesure entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2015, tarde à être appliquée au Sénégal, alors que la Guinée, qui ne fait pas partie de l’Uemoa, s’y est conformée. Secundo : comme le prévoit l’article 59 du Code de procédure pénale, les personnes en garde à vue, victimes de tortures, ont la possibilité de saisir la Chambre d’accusation d’une requête pour que l’agent-tortionnaire soit traduit en Justice. Et dans ce cas, il risque jusqu’à l’interdiction (temporaire ou définitive) de porter la tenue ou d’exercer le métier, pendant une durée définie par le juge. Tertio : le fait de confier une enquête à un corps auquel appartient l’agent incriminé ou victime peut faire valoir une solidarité qui fausse l’enquête. Quarto : maintenant que tous les accusés du meurtre du jeune policier sont libérés, la question est de savoir la suite qui réservée à cette affaire. Qui a tué Fodé Ndiaye ?
A lire chaque mercredi…
Par Pape NDIAYE
(Chef du desk Actualité Walf quotidien)
Chronique précédente cliquez ici