L’Afrique va juger l’Afrique, avait déclaré Me Sidiki Kaba lors de la commémoration de la Journée de la justice pénale internationale tenue les 20 et 21 juillet 2015 à Dakar, avant d’ajouter que c’est l’Afrique qui a demandé au Sénégal d’organiser le procès (Obs. 3546 du 20 juillet 2015 p.9).
L’ex-avocat des prétendues victimes du Président Habré, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, devrait plutôt dire que l’Afrique va juger l’Afrique sur demande des occidentaux et avec les moyens des occidentaux. Déjà le 3 décembre 2012, Reed Brody annonçait l’imminence de ce procès. Loin de moi de plaider l’impunité des dirigeants africains ; je regrette seulement que l’Afrique soit encore à la merci des Occidentaux dans un domaine aussi sensible et aussi complexe que la justice. Ensuite de constater avec désolation que ce procès est handicapé dans sa conception et dans sa mise en œuvre.
En effet, le Sénégal, en bon élève de la France, a fini par céder à la pression sous le couvert de l’Union africaine en acceptant d’organiser ce procès au nom des droits de l’homme et de l’impunité. Pourtant en 1983, Habré avait bénéficié du soutien de l’armée française dans le cadre de l’opération dite Epervier pour reconquérir le Nord du Tchad occupé par le gouvernement national de transition sous la houlette de Goukouni Oueddei appuyé fortement par Kadhafi. Le Président Habré avait également le soutien des Etats-unis contre cette contre-offensive anti-Kadhafi. Entre temps, les Occidentaux ont buté sur la personnalité de Habré. Ils l’ont débarqué. C’est cet homme soutenu et adulé hier qui est traqué et présenté comme un paria.
L’absence remarquée et décriée du Président Déby dérange parce qu’il était l’un des maillons les plus forts du système Habré. Si le Président Déby n’a rien à se reprocher, pourquoi il éprouve le besoin de dépêcher deux ministres à Dakar pour essayer de se faire blanchir dans les locaux de la Maison de la presse. Le Président Déby a tout fait pour que ce procès soit organisé pendant qu’il est encore en exercice. Autrement, il pourrait être convoqué. Il a également réussi à casser la défense de Habré en recevant nuitamment un de ses conseils.
Ce procès est celui d’un système. En effet, aucun témoin ne déclarera avoir vu Habré tuer ou torturer. Que vaut alors ce procès sans les supposés complices de Habré et sans ceux qui l’ont accueilli avec des mallettes de Cfa? Des milliards dit-on !
Habré a été contraint de comparaître sous les caméras. Cette image est choquante. Pourtant, la loi permet au président de la Chambre africaine extraordinaire d’assises de constater son refus de comparaître et que nonobstant son absence il soit passé aux débats. L’option de le faire comparaître manu militari répond à des besoins de communication. Deux cent cinquante accréditations pour donner l’impression de rendre la justice au nom du peuple africain. Il faut montrer Habré dans le box des accusés sous la surveillance des gardes et dans le décor d’un procès criminel. Il faut médiatiser et rassurer les bailleurs qui suivent cette affaire de loin. En réalité, cette simple image de Habré leur satisfait et le reste n’est qu’un long feuilleton qu’ils n’ont pas le temps de suivre. Ils ont d’autres priorités, la lutte contre le terrorisme, le chômage, le sort de l’euro avec la crise en Grèce, le nucléaire iranien et j’en passe. Pendant ce temps, l’Afrique se contente de son procès comme un chien à qui on a jeté un os.
Pour le moment, la Chambre africaine extraordinaire d’assises risque d’être confrontée à un dilemme cornélien. Comment, en effet, concilier le choix ou la stratégie de Habré et l’article 298 du Code pénal qui dispose qu’à l’audience, la présence du défenseur est obligatoire auprès de l’accusé. Si le défenseur choisi ou désigné ne se présente pas, le président en commet d’office un. C’est sur cette base que le président de la Chambre a commis d’office des avocats pour assister et défendre Habré. Cette commission a déjà suscité une vive polémique.
Le problème juridique qui se pose est de savoir si un accusé peut refuser la défense d’un conseil commis d’office ? En droit, le Président Habré ne peut pas récuser des avocats commis d’office pour sa défense. Cependant l’article 257 du Code de procédure pénal dispose : «La désignation d’office est non avenue si l’accusé choisit son conseil». Il découle de cette disposition que la commission d’office des avocats sera nulle et de nul effet si à l’audience de renvoi, le Président Habré présente à la chambre ses propres avocats. Il s’y ajoute que l’article 21 4ement du Statut des Chambres africaines extraordinaires relatif aux droits de l’accusé dispose : «Lors de l’examen des charges portées contre lui conformément au présent statut, tout accusé a droit au moins aux garanties suivantes :…d) être présent à son procès et se défendre lui-même ou assisté d’un conseil de son choix ; s’il n’a pas de conseil, être informé de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice le commande, se voir commettre d’office un conseil, sans frais, s’il n’a pas les moyens de le rémunérer». L’application de ce texte devrait trancher net le débat sur la présence obligatoire ou non des avocats puisqu’il est reconnu à l’accusé le droit de se défendre lui-même.
La polémique sur la commission d’office devrait donc faire long feu au regard des textes sus visés. Ce débat est regrettable et dénote les faiblesses du système mis en place. On s’est, en effet, contenté de la compétence universelle pour juger Habré sans élaborer au préalable des règles de procédure spécifiques à un procès international. C’est pourquoi la jurisprudence des juridictions internationales invoquée récemment par certains analystes me parait impertinente dans le cas d’espèce. Et si fort de l’article 21 susvisé, le président Gustave Kam et ses assesseurs nous feraient l’économie des querelles sur les droits de la défense déjà consacrés par le Statut des Chambres africaines extraordinaires. Il est évident que les anciens chefs d’Etats ne doivent pas être traités comme des accusés ordinaires, d’où un traitement spécifique sur le plan procédural.
En définitive, ce n’est pas en mobilisant des fonds pour juger ses anciens dirigeants que l’Afrique va se développer. Les Africains aimeraient d’ailleurs savoir le coût de ce procès. Qui en sont les généreux donateurs ? Pour le moment, c’est une question tabou pour la cellule de communication des Chambres africaines, son président préférant bégayer sur les détails : les billets d’avion, la restauration, les badges, etc. Le respect des droits de l’homme, c’est aussi la consolidation de nos démocraties avec des institutions fortes, la lutte contre la pauvreté, la corruption, le népotisme, et l’analphabétisme. Voilà les défis que l’Afrique doit relever.
Et si Habré avait raison de dire que c’est une mascarade ! L’agitation des Ong et des associations dites des droits de l’homme semble conforter cette position. L’implication du Président Déby, qualifié à tort ou à raison d’allié encombrant des Chambres africaines, dérange plus d’un. Feu Président Lamine Coulibaly disait, lors de son discours d’usage prononcé à la rentrée solennelle des cours et tribunaux du 14 Janvier 2004 : «Lorsque le judiciaire est tributaire du politique, il cède le pas aux intérêts partisans, aux calculs stratégiques et tactiques et se détourne de sa mission première : combattre l’impunité».
Me Daouda KA
Avocat à la Cour