La Turquie connaît l’une des crises politiques les plus tendues de son histoire. L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et principal rival d’Erdoğan, a frappé la scène politique turque comme le ferait un coup de tonnerre. Ce geste impopulaire, perçu par de nombreux observateurs comme une tentative d’élimination politique, intervient à un moment clé, alors que le pouvoir en place semble vouloir éliminer toute alternative crédible avant les élections présidentielles de 2028.
Cette arrestation soulève des interrogations sur la façon dont les Turcs perçoivent désormais leur liberté d’expression et de participation politique. Les analystes soulignent que la société civile, en particulier la jeunesse, pourrait bien changer la donne face à cette répression.
« Une nouvelle génération est en train d’émerger »
Pour la sociologue Nilüfer Göle, professeure à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris, l’affaire İmamoğlu dépasse largement la personne du maire d’Istanbul.
« Ce n’est pas simplement un conflit entre deux figures politiques. C’est un moment de bascule où la société turque prend conscience du coût de l’autocratie. » Poursuivant, elle décrit une jeunesse urbaine et connectée, qui refuse désormais de rester passive. « Une nouvelle génération est en train d’émerger. Elle est éduquée, ouverte sur le monde et n’accepte plus que la chose politique se règle à huis clos par des arrestations et des procès douteux », poursuit-elle.
Pour elle, ce réveil citoyen pourrait marquer le début d’un cycle plus large de mobilisation démocratique, malgré les risques.
« Une stratégie de neutralisation politique »
L’arrestation d’İmamoğlu s’inscrit dans une série de manœuvres visant à éliminer les opposants les plus menaçants pour le pouvoir. Une tactique qui, selon certains experts, pourrait avoir des conséquences à long terme sur la crédibilité du régime.
Aslı Aydıntaşbaş, politologue, décrypte cette arrestation comme un calcul politique minutieux. « Imamoğlu représentait une menace sérieuse : il avait le charisme, la popularité et l’expérience de la gestion publique. Le fait qu’il ait conquis Istanbul, bastion symbolique du pouvoir, était déjà une humiliation pour l’AKP. » Elle insiste sur la logique autoritaire désormais bien ancrée dans le système. « Ce que nous voyons, ce n’est pas un événement isolé. C’est un nouveau chapitre dans une stratégie de long terme : affaiblir l’opposition par des moyens judiciaires, dissuader toute contestation, et contrôler le calendrier électoral. » Elle souligne la gravité du moment : « La démocratie turque n’est pas morte, mais elle est sous respiration artificielle.»
Alors que les critiques du pouvoir se multiplient et que la répression s’intensifie, la question de l’avenir de la démocratie en Turquie devient de plus en plus préoccupante. La réaction de la jeunesse et de la société civile face à ces événements pourrait bien devenir un facteur décisif dans la lutte pour préserver un espace démocratique dans le pays. Cependant, face à une répression de plus en plus marquée, il est difficile de prévoir l’issue de ce conflit politique qui pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble de la région.
Mohamed SEYE
(Stagiaire)