Les vagues cycliques de pirogues remplies de migrants potentiels vers l’Europe et affrontant l’océan atlantique au péril de leur vie, connaissent un regain au Sénégal. Le traitement judiciaire de ce phénomène devient, alors, un impératif, au regard de la qualification juridique de ce «trafic de migrants» autour de laquelle il est organisé.
(Correspondance) – Un atelier visant la prise en charge judiciaire de l’émigration clandestine s’est tenu, hier, à Saint-Louis. Les acteurs ayant compris que le format classique de gestion des dossiers pénaux ne permet pas de juguler le phénomène de l’émigration clandestine. En effet, les poursuites des personnes présumées responsables, lorsqu’elles sont identifiées, sont entreprises dans le cadre de la procédure usuelle de flagrant délit qui, au mieux, permet la neutralisation d’un certain nombre de trafiquants, en laissant souvent intact leur dispositif opérationnel, très vite repris par des associés. Et même quand les poursuites sont effectuées par la voie de l’information judiciaire, confiée à un juge d’instruction, les moyens de ces derniers se révèlent limités dans le cadre des pratiques actuelles. Le recours aux délégations judiciaires et commissions rogatoires internationales est limité voire inexistant. Or, le trafic de migrants est souvent une qualification générique pouvant comprendre en fait plusieurs infractions complexes, perpétrées par des personnes travaillant en réseau et bandes organisées, y compris avec des membres situés parfois hors des frontières nationales.
La prise en charge effective d’une telle infraction requiert une remontée des filières. Certains moyens existent à cet effet. Le Sénégal est partie prenante aux instruments juridiques internationaux majeurs dédiés à la lutte contre la criminalité transfrontalière organisée. Il existe aussi à l’échelle nationale des outils juridiques et institutions destinés au traitement judiciaire effectif de la lutte contre le trafic de migrants.
Pour l’heure, cette infraction est principalement réprimée par la Loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, selon les termes de la note remise à la presse. Certains de ces instruments restent à ce jour relativement méconnus et par suite, sont peu ou pas utilisés.
L’objectif de cet atelier était de réunir les acteurs majeurs de l’institution judiciaire, notamment les procureurs et les juges d’instruction du ressort, pour leur présenter les institutions telles que le Partenariat opérationnel conjoint (Poc), programme européen demandé par le Sénégal qui porte sur la lutte contre le trafic de migrants, les migrations irrégulières et la traite des personnes. Ainsi que l’a expliqué le chef de mission du Poc, la Division nationale de lutte contre les trafics (Dnlt) de la direction de la police de l’air et des frontières, créée par arrêté du ministre de l’Intérieur, le 15 janvier 2018, est au centre de ce programme. Cependant, la lutte efficace nécessite la mobilisation de l’ensemble des maillons de la chaîne pénale dont les magistrats sont un élément important en tant que directeurs de l’enquête de la police judiciaire, conformément aux dispositions du Code de Procédure pénale. Pour étayer ce mécanisme, un magistrat et des policiers français ont partagé leur expérience sur le nécessaire couple magistrat/police judiciaire tandis que le commissaire espagnol a donné également sa vision.
Il s’était agi, aussi, pour chacun, d’évoquer les difficultés de mise en œuvre de la Loi de 2005 et ensemble faire des propositions pour améliorer le dispositif actuel.
Avec une telle familiarisation, ces acteurs sont sortis de cet atelier mieux informés et outillés. Ces derniers peuvent, désormais, plus facilement recourir à certaines formes de coopération ou délégations qui apporteront à leurs dossiers la plus-value nécessaire pour la lutte efficace contre le fléau du trafic de migrants et les autres formes de criminalité transfrontalière organisée.
Gabriel BARBIER