CONTRIBUTION
Permettez-moi de donner mon point de vue sur les dernières mesures prises par les autorités du pays allant dans le sens de l’allègement des mesures restrictives à ce stade de la lutte contre la COVID19.
La santé est une science sociale définie par l’OMS comme « étant un état de complet bien-être physique, mentale et sociale et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Dès lors, on doit se poser des questions par rapport à la situation que la limitation du temps de vie active pouvait engendrer sur le plan psychologique et sociale, voire même physique des gens. J’ai décrié la semaine passée, dans un article, une biomédicalisation de la prise en charge de l’épidémie et un retour vers l’hospitalo-centrisme qui ont été dénoncés par l’Organisation mondiale de la santé depuis le début des années 60.
L’auteur Ivan Illich dans son livre «Némésis médicale : l’expropriation de la santé » avouait que « l’entreprise médicale menace la santé. La colonisation médicale de la vie quotidienne aliène les moyens de soins ». L’auteur préconise par ailleurs, «une baisse des frais pour la santé et sa déprofessionnalisation». Des chercheurs comme Ulrich Ilianov ont décrit une symptomatologie chez les malades hospitalisés appelée « l’hospitalisme» comme étant des affections psychologiques qui ralentissaient la guérison des malades. Même si Spitz, pédopsychiatre, l’a surtout développé chez les enfants.
L’Homme est un être foncièrement social. Même si cette vie sociale peut aller d’une extrémité à un autre selon les communautés. En France, durant cette période de confinement, les violences conjugales ont augmenté de 30%. Par contre, d’autres sont contents de passer plus de temps en famille. Ainsi va la vie ! Une autorité doit être à l’écoute de son peuple. Beaucoup de Sénégalais, de tout bord, ont souhaité l’assouplissement des restrictions pour des raisons socio-économiques, religieuses ou sociales. La vie économique était en stand-by.
Les marchants ont eu à faire face à des détériorations de denrées alimentaires périssables, une baisse de leur chiffre d’affaire. Ce qui est plus grave, c’est que le système de santé s’est arrêté : les services de santé ne s’occupent que de COVID19. La psychose ayant gagné les sénégalais, personne ne voudrait aller en cette période, dans les structures sanitaires. Beaucoup d’hémodialysés ont subi une diminution des séances, le personnel travaille en alternance. Les hypertendus et les diabétiques ne viennent plus aux rendez-vous d’autant plus qu’ils ont entendu dire que l’association de leur affection chronique avec la COVID19 est très létale. Les fakenews aidant, des programmes comme la vaccination, la planification familiale, le paludisme et tant d’autres, sont en souffrance. En réalité, si on veut être franc, après deux mois de self-confinement et de couvre-feu, on s’est rendu compte que les moyens employés dans cette guerre ne sont pas appropriés. A ce jour, 2310 cas ont été diagnostiqués dont 25 décès soit une létalité de 1,08%.
Comparée à d’autres maladies comme le choléra, la méningite, la rougeole, la mortalité spécifique « covidique » est faible. Et pourtant ces maladies ont été traitées au niveau des districts sanitaires avec une létalité équivalant à 0%. Qu’est-ce qui fait que la COVID19 mobilise tant de passion ? Juste parce qu’elle a fait beaucoup de mal aux pays développés d’Europe, d’Asie et d’Amérique qui ont des populations vieillissantes avec des maladies dégénératives, des pathologies cardiovasculaires et des troubles de la senescence. Gérons l’épidémie dans les limites du raisonnable. Certes, c’est une maladie très contagieuse mais sa gravité est faible heureusement pour nous. L’une des raisons est certainement la jeunesse de notre population avec moins de 5% de sexagénaires. Selon des schémas très pessimistes, il y aura plus de cas encore. Soit !
A chaque fois qu’un cas dit communautaire a été dépisté, il faut se dire qu’il y a près de 3 à 5 personnes qui ont été en contact avec lui, qu’elles soient une source contaminante ou la contaminée. Si on ne retrouve pas ces personnes ni malades, ni mortes (diagnostiquées postmortem), elles ont survécu à leur contagion et certainement, ont juste développé une forme frustre, asymptomatique. Des centaines de personnes affectées sont hospitalisées pour la plupart dans les structures hospitalières de Dakar alors que leur prise en charge n’a besoin que d’un traitement symptomatique et un support psychologique. Ce dernier fait défaut au point que certains malades après guérison, ont affirmé qu’ils n’avaient rien en réalité, mais qu’on les a simplement retenus là-bas en hospitalisation.
C’est dire aussi que la communication interpersonnelle n’a pas suivi, dans les salles de soins et de confinement. Mais ce que les malades exéats vivent aujourd’hui avec la stigmatisation est pire que la maladie elle-même. A ce propos, j’avais suggéré que l’on sollicite le soutien des Religieux dans la communication pour que ces gens-là ne souffrent pas outre mesure du rejet social. Au Sénégal, comme le dit un collégue : « on écoute le messager plutôt que le message». A Thor, pour des raisons de conflits politiques, des personnes ont fait courir le bruit comme quoi, cela n’était pas logique que les personnes malades fassent seulement une dizaine de jours, sinon moins pour sortir, alors que ceux qui ne sont pas affectés (en quarantaine) fassent plus de jours. Ceci a soulevé la communauté qui a refusé le confinement. Mais en fait c’estla goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les gens ont commencé à être fatigués de la vie de confinement qui leur été imposée alors qu’ils n’en voient pas la pertinence.
Ajoutez à cela la révolte à Léona Niassène, certaines autres mosquées qui reprenaient insidieusement la prière en commun. Y avait tout un cocktail explosif qu’il fallait bien vite désamorcer. Serigne Cheikh Ahmed Tidjane Sy (RTA) disait que l’oisiveté était source de révolte. Sans oublier que la sédentarité et la malbouffe sont autrement plus graves que cette pandémie. Comme je le soutiens toujours, c’est le combat de la communauté qui doit avoir le lead. On ne lui a pas demandé son avis avant le confinement, ni au moment du «déconfinement». Cela aurait été formidable qu’une bonne communication et un travail de proximité les préparent à assumer leur rôle en réunissant toutes les garanties de respect des mesures barrières. Mais comme le Président l’a dit, c’est à la communauté de prendre ses responsabilités.
En effet, toutes les mesures prises n’ont pas permis de réduire le taux de contagion. Au contraire. Est-ce qu’il est logique de continuer une politique sanitaire qui n’a pas porté ses fruits ? Je trouve que certaines analyses sont trop tronquées parce que n’ayant qu’une vue parcellaire de la situation : le nombre de cas et de décès ont augmenté par rapport au début de la pandémie au Sénégal. La vision holistique de la santé ne se suffit pas de ce dyptique. Si on compare le pourcentage de malades opérés dans un service de chirurgie à celui de médecine, les dés sont pipés dès le départ. On n’en conclut pas, que le service de médecine ne travaille pas assez. Le paludisme tue plus que le COVID19 et n’a jamais mobilisé de cette façon l’attention du monde.
Actuellement, les professionnels de santé du pays connaissent l’épidémiologie de la maladie dans notre communauté contrairement au début où les schèmes de prise en charge biomédicaux et communautaires étaient purement occidentaux. Il est temps que les gens réapprennent à reprendre un train de vie normale tout en respectant les comportements appropriés qui leur assurent un bon état de santé. Au ministre de la santé, je conseillerai, entre autre urgence de créer une antenne d’orientation et de suivi des interventions communautaires (avec des personnels ayant une expérience concrète du terrain) dans la cellule de lutte contre la COVID19, trois choses même si je n’ai que mon expérience de plus de 30ans, de : Décentraliser les moyens au niveau des régions médicales pour porter les interventions communautaires plus loin encore dans les districts et les postes de santé. Le travail a commencé mais les moyens sont quasi inexistants ; Permettre aux centres de santé d’avoir suffisamment de personnel (médecins, infirmiers, sages-femmes, des diplômés en santé communautaire, assistants et agents sociaux, agents d’hygiène, de la Croix-Rouge) et l’aménagement d’espaces pour gérer les cas simples à ce niveau; Renforcer la communication interpersonnelle et l’accompagnement au niveau périphérique de sorte que les religieux prennent leur responsabilité en faisant respecter les mesures barrières quoi qu’il en coûte dans les lieux de culte. Les Khalifes et les évêques feront certainement le plaidoyer pour cela.
Ainsi, quand les conditions ne sont pas réunies, ces lieux vont rester fermés jusqu’à nouvel ordre. Je note avec bonheur que le Khalife général des Mourides a imposé ces mesures dans la mosquée de Touba. Il en est de même pour l’église catholique qui a décidé de continuer de surseoir à tout office communautaire jusqu’à nouvel ordre. C’est dire que notre communauté est responsable et peut prendre les mesures idoines en cas de besoin. Faisons-leur confiance. Bonne chance !
El hadji Malick SECK
Technicien Supérieur de santé
Ancien directeur du Programme de santé du Corps de la Paix Américain
Ex-Chargé de Projet de lutte contre la Bilharziose et le Paludisme à Tambacounda OMVS/Child Fund Ex-coordinateur dans le Projet de lutte contre l’HTA NF/Intra Health
Professeur de santé communautaire
Email : malickseckjkc@yahoo.f