«Le défi majeur que vous devez et allez relever est la restauration des marges de manœuvre budgétaires de l’Etat par la maximisation des recettes, la rationalisation des dépenses et une maîtrise de l’endettement». Ce n’est pas le Fonds monétaire international (Fmi) qui édicte ses règles, mais bien le ministre de l’Economie et des Finances sortant, Mamadou Moustapha Bâ lors de la passation de services avec son successeur, Cheikh Diba.
Quand on regarde de près le tableau de bord des opérations de l’Etat, on comprend aisément que la situation économique du Sénégal est dans une phase très difficile. En demandant quasiment un plan d’ajustement sans le nommer, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances, montre que l’Etat a vécu largement au-dessus de ses moyens.
Il refile ainsi la patate chaude au nouveau gouvernement obligé de tailler dans le vif des dépenses pour assurer la viabilité financière de l’Etat. Si le budget général de l’Etat pour 2024 a été arrêté à 7 mille milliards de francs Cfa, les prévisions de recettes s’établissent à 4 915,2 milliards de francs Cfa, soit une augmentation de 818,8 milliards de francs Cfa (+20 %). Quant aux dépenses du projet de loi de finances 2 024, elles s’établissent à 5 755,4 milliards de francs Cfa, soit une hausse de 613,5 milliards de FCfa (+11,9 %).
Le déficit budgétairedevrait ressortir à 840,2 milliards de francs Cfa, soit 3,9 % du Pib, alors que la norme communautaire est fixée à 3 % du Pib. Pour combler les trous, l’Etat est obligé d’avoir recours aux emprunts, dons, etc pour un montant de 2 442 milliards de francs Cfa.
C’est dire que l’Etat vit largement au-dessus de ses moyens en dépensant beaucoup plus que ses revenus lui permettent de faire. C’est à croire que l’Etat vivait sous l’Eldorado au point d’oublier que le Sénégal était classé parmi les 24 pays les moins avancés (Pma).
Pourtant à y regarder de près, bien des dépenses auraient pû être évitées si l’Etat avait rationalisé ses dépenses en tenant compte de ses moyens. Certains ont dénoncé à longueur d’année le train de vie élevé de l’Etat, ses démembrements et ses institutions budgétivores.
Mais les goûts de luxe de l’Etat qui a appuyé sur le levier de la dette qui est passé de 2 500 milliards de francs Cfa en 2012 à près de 16 000 milliards de francs Cfa en 2023 ont fini par crever le plafond et plomber les marges de manœuvres du gouvernement. A l’exemple du Train express régional dont le coût avoisine les 1 000 milliards de francs Cfa et un déficit d’exploitation non indiqué que l’Etat traîne comme un boulet.
Dès son arrivée au pouvoir, le Président Macky Sall a multiplié les initiatives pour la création d’emplois ou d’entreprises. On peut ainsi noter une pléthore de programmes ou fonds destinés à créer des emplois ou permettre aux entrepreneurs de trouver des fonds de garantie.
Ainsi, l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (Anpej) mise en place par le Président Abdoulaye Wade a été remise au goût du jour avec un budget de plus de 10 milliards de francs Cfa. Un peu plus tard, la Délégation à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes, dotée d’un budget de 100 milliards de francs Cfa, a été créée pour des résultats insignifiants, malgré les louanges des décideurs.
Par la suite, le Président Sall a créé le Programme «Xëyu Ndaw ñi» en 2021 pour apporter une «réponse urgente et efficace à l’épineux problème de l’emploi des jeunes». Ce programme a englouti la rondelette somme de 450 milliards de francs Cfa sur la période 2021-2023, à raison de 150 milliards de francs Cfa par an. On cherche encore à voir son impact dans la création d’emplois, même si le bilan officiel fait état de l’enrôlement «de milliers de jeunes en leur assurant une formation et un apprentissage, et en leur garantissant un revenu».
Le gouvernement a aussi multiplié la création de fonds destinés à booster le développement de certains secteurs économiques, sans résultats probants. Entre autres, on peut mettre en exergue le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’Extérieur (Faise), le Fonds d’impulsion de la microfinance (Fimf), le Fonds national de la microfinance (Fnm) le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fsip), le Fonds national de promotion de l’entreprenariat féminin (Fncf), le Fonds national de crédit pour les femmes (Fhs), le Fonds de l’habitat social, le Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3Fpt).
Il y a aussi l’Agence pour la promotion et le développement de l’artisanat (Apda) et l’Agence sénégalaise pour la propriété industrielle et l’innovation technologique (Aspit), le Bureau de mise à niveau etc.
Des dépenses de prestige ont été aussi notées dans la création d’agences qui ont pratiquement pris les prérogatives et activités des ministères dans la réalisation de projets de l’Etat. Si certaines ont largement justifié leur création (elles sont peu nombreuses), d’autres budgétivores font souvent recours à des entreprises plus qualifiées pour servir de maître-d’œuvre d’ouvrages délégués pour faire le travail, augmentant considérablement les dépenses de l’Etat.
Ce qui pose problème, c’est qu’il n’y a jamais eu un audit indépendant pour évaluer le travail et vérifier les chiffres avancés par ces organismes. Au niveau économique, il est difficile de mesurer le véritable impact de ces programmes qui ont fini de précariser les finances publiques avec des centaines de milliards de francs Cfa engloutis qui auraient permis de créer de petites unités de production que l’Etat peut par la suite refiler au secteur privé. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement parle de rationalisation en regroupant les programmes, mais il ne faut pas oublier de faire des audits en profondeur pour voir si ces fonds ont été bien utilisés. Car aussi bien le secteur de l’emploi et celui de l’investissement n’ont pas connu d’évolutions notables.