Qu’il s’appelle Alpha Condé, Macky Sall ou encore Alassane Ouattara, l’obsession du troisième mandat risque de soulever une révolution dans leurs pays respectifs. Tout près de chez nous, l’exemple de la Mauritanie aurait pu servir de leçon à la Guinée, au Sénégal et même à la Côte d’Ivoire.
Il a jusque-là maintenu le suspense. Mais tout laisse croire qu’il va briguer un troisième mandat. La volonté soupçonnée de l’opposition pour le président de la République guinéenne, Alpha Condé, d’être candidat à sa propre succession, à la prochaine présidentielle de 2020 est sans équivoque. Alors que la Constitution guinéenne limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Une situation qui ne manque pas de mettre le pays à feu et à sang, avec notamment des manifestations ayant culminé avec mort d’homme.
L’opposition et la Société civile guinéenne avaient vu juste en anticipant sur la question, depuis l’année dernière. En 2018 déjà, un front était déjà mis en place pour contrecarrer cette volonté du chef de l’Etat véhiculée, à l’époque, par ses lieutenants. «Tant que Alpha Condé est en vie, il sera le président de la Guinée. L’affaire des deux mandats engage ceux qui l’ont dit», avait déclaré en 2017 Bangaky Kourouma, ex-directeur général de la Police guinéenne. Ce qui lui avait valu d’être promu ministre-conseiller à la même année. «Le peuple va demander un troisième mandat à Alpha Condé», avait également estimé Hadja Nantenin Chérif Konaté, coordonnatrice nationale du Rpg. Mais il semble qu’Alpha Condé a lui-même nourri cette position, lors de sa visite d’Etat en France où il avait déclaré, on s’en souvient : «Arrêtons avec ce dogmatisme de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Cela dépend de chaque pays et de la volonté de son peuple».
2020, année d’élections en Afrique
L’obsession d’un troisième mandat risque de conduire plusieurs chefs d’Etat africains à la déchéance. Ce n’est pas seulement la Guinée qui se trouve dans cette situation. Tout près de chez nous, en Côte d’Ivoire, Alassane Ouatarra semble avoir pris le virus. En effet, dans un entretien récemment accordé à JeuneAfrique, il n’excluait pas l’idée d’un troisième mandat. Le leader du parti libéral Rdr (Rassemblement des républicains) dont le deuxième mandat en cours expire en 2020 de confier que la bataille pour sa succession a déjà commencé. «La nouvelle Constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment-là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire. La stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes», déclare le successeur de Laurent Gbagbo.
Bel revirement spectaculaire de celui qui, pourtant dans un passé récent, avait écarté toute possibilité de rempiler pour un autre mandat présidentiel. Voilà qu’il estime que le changement de Constitution de 2016 a remis tous les compteurs à zéro et que les élections de 2010 et 2015 ne comptent plus. «Je considère que les Ivoiriens doivent choisir le prochain Président dans la paix et sans violence, comme ils l’ont fait en 2015. La démocratie et la transparence sont mes seuls objectifs», précise M. Ouattara. En insinuant une 3e candidature à l’élection présidentielle qui aura lieu en 2020, alors que la Constitution ivoirienne consacre la limitation des mandats présidentiels à deux, Ouattara s’inscrit dans le cercle des chefs d’Etat africains accusés de tripatouiller la Constitution, pour s’éterniser au pouvoir.
Candidat ou pas candidat ? Alassane Ouattara continue d’entretenir le suspense. Lors d’une interview à la télévision nationale mardi 6 août dernier, le Président ivoirien déclarait qu’il rendra sa décision en 2020. A 11 mois de l’échéance, l’opposition s’organise et dénonce l’impartialité de la Commission électorale. Déjà en 2010, on se le rappelle, la contestation des résultats de l’élection avait débouché sur une crise ayant fait trois mille morts.
Le Sénégal est également dans l’orbite. Depuis quelques temps, le sujet fait l’actualité au pays de la Teranga, au point de diviser même le camp du pouvoir, poussant même le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, à interdire formellement à ses partisans de parler de troisième mandat. Les contrevenants et les récalcitrants l’ont payé cher. Directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sory Kaba a été démis de ses fonctions pour avoir bravé l’interdiction du chef. Et comme pour défier l’autorité suprême de l’Apr, d’autres éléments du pouvoir entrent dans la danse en toute impunité, à l’image du député Boughazeli qui se prévaut de son immunité parlementaire.
La leçon d’Aziz
Pourtant, l’exemple de la Mauritanie aurait pu servir de leçon à Ouattara, à Condé et à Sall. Le président de la République mauritanienne, Mohamed Ould Abdel Aziz, a bouclé son deuxième mandat en 2019. Il n’y a eu aucune tentative pour modifier la Constitution, en vue de briguer un troisième mandat. L’opposition qui a longtemps demeuré sceptique à l’idée qu’il allait céder le pouvoir l’année prochaine s’est vite rendue compte de l’évidence. «La révision de la Constitution n’a pas pour but de me représenter pour un troisième mandat comme le prétend l’opposition», rassurait le Président Abdel Aziz. Promesse respectée car il a cédé le fauteuil à son successeur Gazaouani.
Ces trois chefs d’Etat précités veulent-ils s’inscrire dans le cercle des présidents qui s’éternisent au pouvoir ? En tout cas, les expériences de Khadafi, Jammeh, Hosni Moubarack ou encore Ben Aly semblent n’avoir guère servi de leçons à certains dirigeants du continent noir. Certains perdurent au pouvoir, d’autres tentent d’obtenir un troisième mandat, pendant que leur Constitution limitent les mandats présidentiels à deux. Les uns taillent la Constitution à la mesure de leur volonté, les autres refusent d’organiser des élections à la fin de leur mandat. Ils n’hésitent pas à marcher sur un pont de cadavres pour accéder à la magistrature suprême. Aux fins de conserver leur couronne, toutes les méthodes sont bonnes : emprisonnement d’opposants politiques ou des leaders de la société civile hostiles au régime, disparition forcée, exil, etc.
Le temps des «Présidents à vie»
Dans la catégorie des «Présidents à vie», on peut citer, pêle-mêle, la «dynastie Gnassingbé» qui règne au Togo depuis 50 ans. En Algérie, Bouteflika, nourrissait l’espoir de briguer un 5e mandat présidentiel, après un 4e obtenu en 2014, à l’âge de 81 ans. Mais le destin en a décidé autrement. La Constitution algérienne limitait pourtant à deux le nombre de mandats d’un président de la République.
Au Cameroun, Paul Biya est fier de ses 37 ans de règne sans partage. Celui qui a remplacé Ahmadou Ahidjo à la tête du pays totalise 36 années de pouvoir. Que dire de Denis Sassou Nguesso du Congo, surnommé le 3e papy africain ? En Ouganda, Museveni qui est au pouvoir depuis trois décennies, a verrouillé son emprise. Ce pays n’a jamais connu d’alternance politique pacifique, depuis son indépendance en 1962. Au Tchad, Déby qui a remplacé Habré comptabilise 37 ans de règne sans partage. La même situation prévalait et continue de prévaloir en Guinée Equatoriale, en Rdc où l’on est resté deux ans sans élection, au Soudan, en Djibouti, au Rwanda, en Burundi et en Érythrée, un pays sans transition.
Pape NDIAYE