C’est probablement l’un des chantiers du quinquennat qui démarre : la restauration de la confiance des justiciables envers leur justice. Réélu avec une confortable majorité, Macky Sall a toutes les cartes en main pour ouvrir ce chantier.
Il est devenu fréquent d’entendre des citoyens, porteurs de griefs contre leurs semblables ou contre la collectivité, décider de ne pas porter leur affaire devant elle, convaincus qu’ils sont, à l’avance, que le droit pourrait ne pas être dit. Cas récent et symptomatique, la renonciation par les candidats malheureux de la Présidentielle à leur droit de recours. Ce recours, plus qu’un droit, devrait être une prérogative d’un citoyen, candidat de surcroit, du fait qu’il enrichit le droit et donne au Sénégalais lambda le sentiment d’une protection supérieure, œuvre d’une institution impersonnelle et équidistante. En un mot, une soupape de sécurité. Mais, si des candidats à la plus haute charge de l’Etat retirent leur confiance à ce pilier fondamental, qu’en sera-t-il du portefaix du marché de Thiaroye ou du rabatteur de la gare routière ? Ce sentiment ouvre droit à une justice privée comme cela se voit souvent dans certains quartiers de la capitale ou hameaux du pays. En ce sens, le rôle lourdement engorgé du prétoire est un baromètre de cet état de fait.
Dernier chaînon du processus électoral, le Conseil constitutionnel n’échappe pas à la règle. Des efforts réels de communication sont notés dans son fonctionnement. Mais, beaucoup reste à faire. Les juges constitutionnels diront qu’ils ne peuvent délibérer que dans le cadre de la loi qui crée l’organe mais jamais au-delà. Mais, ce n’est pas trop leur demander que de se livrer à un petit effort d’explication de texte, sorte d’exégèse, dans le sens d’être compris aussi bien de l’universitaire que de la mareyeuse. L’adage dit que «nul n’est censé ignorer la loi». Encore faudrait-il que ceux qui en ont la charge fassent œuvre utile en l’expliquant dans ses fondements. Lors de la proclamation des résultats provisoires, le président de la Commission nationale de recensement des votes, le juge Demba Kandji, avait fait de la pédagogie en expliquant les fondements de la décision qui pouvaient l’être. Ce, sans y être tenu. Mais, au Conseil constitutionnel, à la place des juges, on a eu droit à une déclamation de la greffière en chef qui s’est juste contentée de lire la décision qui, de toutes les façons, allait être affichée et dupliquée à une vitesse grand V par la grâce des nouvelles technologies.
L’un dans l’autre, il se pose un réel problème de perception de la part du citoyen par rapport à la justice. Le citoyen ayant l’impression, souvent conforté par les faits, que la justice est là pour ceux qui ont les moyens. Et rien n’est fait pour balayer cette perception. A part quelques dossiers anecdotiques, les «hauts d’en haut» sont rarement inquiétés. S’ils le sont, ils ont un traitement de faveur en ce sens que même leurs cellules, classées Vip, ne sont en rien comparables à celles du Sénégalais ordinaire. Leurs dossiers souvent labellisés «dossiers signalés» sont gérés avec une extrême diligence par la Chancellerie via le parquet. Même présumés coupables de crime de sang, ils réussissent à se tirer d’affaire. Accentuant le sentiment que la sanction, c’est pour les gueux et les va-nu-pieds. Ce sentiment général d’impunité pour les uns et d’application stricte de la loi sur les autres ouvre la voie à toutes les dérives et ébranle les fondements d’une Res publica qui se veut, comme les Grecs l’avaient voulue, le bien de tous.
Nouvellement réélu avec une majorité confortable, libéré de l’obsession d’un second mandat, Macky Sall a les coudées franches pour, entre autres chantiers, ouvrir celui de la restauration de la confiance chahutée entre le Sénégalais et sa justice.
Ibrahima ANNE