Article Publié le : 31 janvier 2018 – Les mouvements de contestation d’étudiants, au sein du campus social de l’Ucad, longtemps incarnés par d’illustres combattants, sont de nos jours en passe de perdre leur crédibilité.
Pour les anciens syndicalistes, lesdits mouvements de contestation ont, de nos jours, connu un changement de paradigme. Ils perçoivent la nouvelle génération comme des leaders qui ne répondent plus aux attentes de leurs camarades étudiants. La commémoration de la mort des étudiants Balla Gaye (tué en 2001) et Mamadou Diop (2012), ce mercredi 31 janvier, est le prétexte saisi par WalfQuotidien pour donner la parole aux anciens et actuels responsables d’amicales, histoire de comparer le syndicalisme à l’Ucad, d’hier à aujourd’hui.
DETHIE DIOUF, EX-PRESIDENT D’AMICALE (1996-2000)
«Il n’existe plus de syndicalisme étudiant, mais des mouvements d’humeur»
«Actuellement on ne peut plus parler de syndicalisme-étudiant. Ce sont des mouvements d’humeur. Parce que ce sont des jeunes qui n’ont pas de vécu. Le leadership s’obtient par un processus de maturation. C’est de le démarrer dans les collèges et lycées avant de venir à l’université pour remplir certains piliers. La majeure partie d’entre eux ne comprend même pas les textes qui régissent les syndicats d’étudiants. Contrairement à notre génération, on était venu à l’Ucad avec un background et avait pris le temps de comprendre tous les enjeux. Ils pensent que syndiquer, c’est descendre dans la rue, semer le désordre, etc. Non ce n’est pas cela. Un étudiant ne doit pas s’engager dans un mouvement dans le but de semer le bordel pour avoir une bourse ou une chambre. Il y a problème. Ces deux aspects sont minimes par rapport à leurs rôles».
DOCTEUR NDENE MBODIJ, ANCIEN PRESIDENT AMICALE FAC LETTRES (2006 – 2007)
«Le syndicalisme-étudiant ne répond plus… »
«Les étudiants à l’Ucad sont très nombreux et sont naturellement des rebelles. Il faut vraiment avoir un leadership fort pour les mobiliser. Je pense que cela manque au mouvement étudiant actuel. Peut-être qu’ils manquent d’organisation, de courage, d’idées, de charisme, etc. En tout cas, le syndicalisme étudiant ne répond plus. Le syndicalisme étudiant n’est pas compliqué. Soit on a des aptitudes pour syndiquer ou pas. Celui qui n’a pas ces qualités et valeurs, risque de ne pas aller très loin. Notre génération était constituée de gens qui avaient de longues expériences dans les associations. Chacun de nous avait un passé, nous avions longtemps milité dans les Asc, collèges et lycées avant d’arriver à l’Ucad. On était assez solide parce qu’on avait une conscience très claire du syndicat-étudiant. La plupart d’entre nous faisaient des recherches très poussées dans le syndicalisme et croyait à des idéologies solides. Que la nouvelle génération arrête de pleurer. Ils doivent se battre. Qu’ils comprennent que le syndicat-étudiant a toujours été le moteur de l’histoire de l’humanité. Qu’ils n’oublient pas tous ceux qui sont morts pour les causes des étudiants, aux Usa, au niveau du Quartier latin, et ceux qui sont nombreux à être écrasés par les chars».
MAME BIRAME WATHIE, ANCIEN PRESIDENT AMICALE FAC LETTRES (2007-2008)
«Les syndicalistes ne savent plus tenir tête intellectuellement aux autorités….»
«Les étudiants aujourd’hui ne croient pas aux principes. Ce sont des peureux. Ce sont des gars qui ne sont pas capables de tenir tête. Ils ne savent pas faire face et tenir tête intellectuellement aux autorités. On se demande des fois si ces étudiants comprennent les enjeux. Pendant mon mandat, en tant que président de la commission sociale, même pas encore président de l’amicale, on m’avait proposé d’avoir au COUD un contrat qui me permettait de toucher plus de 300 000 francs Cfa comme salaire mensuel en tant que travailleur fictif tout en restant étudiant. J’ai rejeté l’offre. Parce que j’avais mis en avant des principes. Je me suis mis en tête qu’une fois j’aurais pris ce salaire, il ne sera jamais question de revenir dans mes luttes».
AIDA THIAM, PRESIDENTE DE L’AMICALE DE LA FAC DE MEDECINE
«Pourquoi j’en suis à mon deuxième mandat»
«A notre niveau, nous pesons bien ce que nous voulons avant d’aller dans les affrontements. C’est pourquoi on obtient des gains de cause par rapport aux combats menés. C’est pourquoi, je suis à mon deuxième mandat de président. Ma plateforme revendicative est à 80 % satisfaite. Le reste des points est en cours de solution. Le syndicalisme se porte bien au sein de ma faculté. Personne n’entend les étudiants de la fac de médecine dans les rues. Nous avons notre manière de gérer nos problèmes à l’interne. Mon bureau, mes délégués et moi croyons au syndicalisme, un point c’est tout. Pour les autres, je ne peux pas parler à leurs places. Nous avons une manière différente de gérer nos problèmes».
IBRAHIMA NGOM, PRESIDENT DE L’AMICALE DES ETUDIANTS DE LA FST
Ce qui affaiblit notre force
«Ce régime a directement attaqué les inscriptions des étudiants dans les universités. Ce qui affaiblit notre force. Parce que le budget qui nous permettait de tenir a été réduit de façon drastique. Les amicales n’ont plus de moyens pour fonctionner. Elles ne peuvent plus résoudre certains problèmes d’ordre social. Les étudiants orientés dans les écoles privées ne sont pas à exclure de ce lot. Ces derniers veulent coûte que coûte quitter les universités pour chercher des insertions professionnelles. A noter que les 3/5 des étudiants allient la fac et l’école de formation professionnelle. L’étudiant est obligé d’étudier ou de quitter. Alors qu’au temps, on avait la possibilité de quitter un département pour un autre (cartouchard). L’étudiant n’a plus le droit de trainer. Du coup avant de connaître son droit et son devoir, ce dernier se retrouve en master. A ce niveau, il passe vite pour chercher l’insertion. Il y a un manque de détermination des leaders du syndicalisme -étudiant. Ils ont une grande part de responsabilité car ¾ des syndicalistes sont dans un parti ou mouvement politique et parfois avec des leaders du gouvernement. Ils ne veulent pas se mêler des contestations qui vilipendent leurs leaders politiques. Ils essaient de semer le bordel pour diviser le groupe. Il y a une structure qui est en train de donner des contrats renouvelables à six voire sept fois à certains présidents d’amicale. Ces contrats qui triplent le montant des bourses, constituent un moyen de disloquer le syndicalisme étudiant. Si un quelconque étudiant se trouve dans une pareille situation et qu’il n’a pas de dignité, il ne va plus participer au combat pour la cause de ses semblables».
SERIGNE AMADOU BAMBA SENE, PRESIDENT DE LA FACULTE DE DROIT
«Nous avons hérité d’amicales disloquées»
«D’aucuns ont raison de donner certaines distinctions entre les mouvements estudiantins des années précédentes et de celles d’aujourd’hui. Mais il faut accepter que les époques et les contextes diffèrent. Dans le temps, des gens se sont battus pour avoir véritablement l’amélioration des conditions de vie des étudiants. C’est ce qui a occasionné la mort de Balla Gaye, le 31 janvier 2001. Dire que les syndicalistes axent leur militantisme sur des intérêts immédiats, c’est vouloir mettre tout le monde dans le même sac. Cela ne dépend que des gens et de leur éducation. Ce n’est pas tout le monde qui est comme ça. Il y a toujours des hommes dont les valeurs sont restées intrinsèques dans ces mouvements. Il existe bel et bien des étudiants qui ne sont là que pour leur intérêt personnel. Ils pensent que le syndicalisme peut leur offrir une opportunité de raccourcir leur entrée dans la vie active. Nous avons hérité des amicales qui ont été disloquées depuis 2012. On est resté trois années successives sans avoir d’amicales légalement constituées. Il y avait en ce moment beaucoup d’étudiants qui se réclamaient leaders. Ces derniers le faisaient de façon libérale. Ce qui fait qu’on fonctionnait sur la base des collectifs. Lesquels étaient éparpillés. Beaucoup de gens en ont profité pour se rapprocher du régime présidentiel».
Salif KA