La perte du marché de l’eau par les Sénégalais de la Sde est interprétée comme un affront qui va provoquer l’affrontement entre l’Etat et son secteur privé. De sources sûres, des capitaines d’industrie sont en train de préparer leur plan de riposte pour ne pas se voir enterrer vivants. Liquidés un à un, ces hommes d’affaires sénégalais estiment que s’ils laissent faire la francisation de l’économie se poursuivre, ils risquent de ne plus y avoir de combat pour l’émergence du pays, faute de combattants.
Vent de colère dans le patronat sénégalais. L’affaire Sde risque d’être la goutte d’eau de trop. Dessaisi de tous les marchés juteux, le secteur privé sénégalais se rebiffe, montre son insatisfaction, sa colère noire et va bientôt le faire savoir. De sources sûres, il est en train de peaufiner sa stratégie de riposte contre les agissements du gouvernement de Macky Sall qui veut recoloniser l’économie sénégalaise. Et en cette veille de présidentielle, un tel courroux du capital sénégalais doit certainement faire peur au Château. Car, devoir se mettre à dos de telles puissances financières en cette veillée d’armes, c’est retarder la déflagration de la bombe. En effet, ces mécontentements, encore contenus et cette hostilité au pouvoir qui commence à gagner le parti de l’entreprise, constituent un cocktail explosif pour le pouvoir accusé à tort ou à raison de laisser les firmes françaises recoloniser l’économie sénégalaise.
De plus, à cause des tensions de trésorerie constatées dans le pays depuis les déclarations de Wade lors du Magal 2017, la dette intérieure handicape de nombreuses entreprises. Et ces arriérés de paiements ont accentué le courroux du patronat. Qui, en plus des problèmes de gouvernance du pays, n’en peut plus. Ses têtes de pont sont obligées de faire bonne figure avec le régime, mais ils savent tous que la machine est grippée.
Pour des membres du secteur privé national, qui ont pris langue avec WalfQuotidien, ce qui vient de se passer avec la Sénégalaise des eaux (Sde), entreprise où le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes) était actionnaire, n’est pas une affaire économique. «C’est fondamentalement politique. L’Etat du Sénégal veut nous dire que pour le business national, le secteur privé national n’y a pas droit, et que réussir est un délit. Donc, nous allons apporter une réponse politique», souffle une source ayant assistée à une réunion de patrons qui veulent organiser la révolte. «Nous ne demandons pas de faveur à l’Etat mais juste qu’il respecte les règles du jeu. C’est comme si pour gagner un marché au Sénégal, il faut louer un Chinois, un Français, un Marocain ou un Turc», ajoute une autre source.
Ambition interdite
Ainsi, au delà de leur solidarité au patron de la Cnes, Mansour Cama, qui vient de se voir arracher un fromage de la bouche à la Sde, filée au français Suez, de nombreux capitaines d’industrie refusent d’attendre leur tour à l’abattoir. Ils préfèrent agir maintenant, et n’écartent pas d’internationaliser le combat. Cela, pour mettre les partenaires financiers, chantre de la bonne gouvernance, devant leurs responsabilités. Très prompts à dénoncer les manquements de nos pays, indique une source, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (Fmi) «ne peuvent pas se taire devant une telle forfaiture qui concerne une entreprise locale, compétente et qui a gagné une compétition nationale dans l’un des rares secteurs où le Sénégal avait réussi sa décolonisation», pour parler du marchand de flotte éjecté.
Selon les grandes oreilles de WalfQuotidien, des rencontres se tiennent dans des salons dakarois pour définir une stratégie pouvant permettre de stopper cette hémorragie. «On a dessaisi nos amis du Sempos pour donner leur business à un Français, personne n’a pipé mot, on a dessaisi Karibou Mbodje de Wari dans l’affaire Tigo pour filer sa grosse affaire au français Xavier Niel, personne n’a levé le plus petit doigt. Aujourd’hui, c’est Mansour Kama qui voit la Sde être supplantée par Suez, et personne n’a trouvé rien à redire. On ne sait pas demain à qui sera le tour», s’insurge un patron sénégalais qui souhaitait ne pas être cité. Lequel estime que l’Etat ne montre pas qu’il prend le privé national au sérieux. Car, ses actuels tenants «passent souvent leur temps à dénigrer le secteur privé sénégalais alors qu’ils devraient l’aider à être fort et l’accompagner à l’export comme le fait si bien sa Majesté le Roi du Maroc. Si l’Etat avait aidé Kabirou Mbodje à racheter Tigo, il serait un champion ouest africain comme il en fait avec Wari qui est le concept sénégalais le plus présent à travers le monde».
Laissées à elles même, les entreprises sénégalaises se démènent et vivotent jusqu’à commencer à tenir tête au privé international. Mais au lieu de le voir du bon côté, l’Etat semble le voir comme un sacrilège puisque les seules qui semblent avoir droit à tout sont celles du système, ave Rohn et Sylla. Ce qui n’est pas sans rappeler, avec humour, la phrase choque d’un certain Idrissa Seck : «l’Etat du Sénégal a criminalisé l’ambition». Autrement, il ne veut que des faire-valoir dans le bataillon économique. «Le gouvernement montre une grande défaillance dans la protection des entreprises nationales. Avec cette logique, il va bientôt appeler EDF pour lui donner le marché de l’électricité sénégalais», ajoute la source.
Seyni DIOP