Au Sénégal, l’affaire Lactalis n’est que l’arbre qui cache la forêt. Des produits impropres à la consommation se vendent comme des petits pains au su et vu de toute la République.
Ce qui ne manque pas d’incidence sur la santé publique. Les vendeurs des produits laitiers périmés se frottent les mains tous les jours en nous faisant avaler du n’importe quoi. A la gare routière de Petersen, sur leurs étals, des produits avec des dates de péremption prolongées sont écoulés en toute légalité.
La vente des produits périmés dans les marchés, les gares routières et autres espaces publics est en passe de devenir légale. Ce, malgré leur atteinte à la santé des populations qui en consomment notamment en période de grandes fêtes comme le mois de Ramadan. D’ailleurs, ce sont les populations démunies qui constituent la principale clientèle de ces vendeurs de produits de contrebande, à cause de leurs prix abordables. En effet, les produits sont retirés des rayons des grossistes ou des grandes surfaces pour ensuite être revendus aux petits commerçants dans les différents marchés de Dakar. La gare routière de Petersen demeure la grande centrale de distribution de ces produits périmés. Ils sont acheminés dans les différents points par des mini-camions qui les déversent dans un espace réservé. Une fois sur place, les vendeurs à la sauvette et autres petits commerçants se bousculent pour se procurer une quantité suffisante de chaque catégorie de produits.
Tous les produits sont proposés à bas prix pour faciliter l’écoulement de leurs stocks dans les entrepôts. Des boîtes de lait concentré ou en poudre, des boîtes de sardines et de jus sont vendus à petit prix. Avant même de déverser ces produits sur les différents points, les grossistes modifient la date de péremption de tous produits qui se retrouveront sur les étals des petits revendeurs. Le modus operandi consiste à arracher l’étiquette ou la partie sur laquelle, il est mentionné la date de péremption du produit. Et, quand le produit se trouve dans un carton où on peut lire la date d’expiration, les produits sont vendus en détail sans le carton. Ainsi, les dates des produits changent pour prolonger la durée de vie des produits qui s’entassent les uns sur les autres. Mais également pour assurer l’acheteur que le produit qu’il achète est toujours consommable. Les prix de ces produits périmés varient entre 100 francs Cfa et 2000 francs Cfa selon qu’ils sont en poudre ou concentré.
Betty Cissé, une cliente, explique la présence de ces produits périmés par l’anarchie qu’il y a dans le pays. Pour elle, il y a trop de laisser-aller. «Le Sénégal, c’est le monde à l’envers. Les gens font tout ce qu’ils veulent sans aucune crainte. Le Sénégalais aime trop la facilité. Les gens doivent avoir une hygiène alimentaire et de la vigilance. Parce qu’un produit qui est vendu à 2 000 francs Cfa dans les boutiques et supermarchés aux normes ne peut être vendu à 500 francs Cfa. Il y a lieu de se poser des questions. Il ne faut pas tout bouffer. C’est un risque pour la santé», déplore-t-elle. Poursuivant, elle souligne que les produits vendus dans beaucoup de marchés sont périmés. Et d’ajouter que la magouille se passe au niveau du port. «Les cachets de dates de péremption ne sont disponibles qu’au niveau du port. Tous les produits vendus à bas prix sont périmés depuis très longtemps. C’est juste que la date de péremption a été revue», clame-t-elle.
Malgré le grand débat autour de l’affaire Lactalis, les vendeurs de ces produits périmés disent ne pas être au courant. C’est le cas de Mame Diarra Sylla qui détient une cantine à la gare Petersen. «Je n’arrive même pas à comprendre cette question de produits périmés. Dans ce pays, on se lève un jour et pour dire qu’il y a des produits non autorisés qui font leur entrée», accuse-t-elle. De son côté, la vendeuse Amy Mbengue soutient que les revendeurs n’ont aucune responsabilité dans cette vente massive des produits de contrebande. «Les responsables sont à trouver ailleurs mais pas chez nous. Je ne connais même pas la date de péremption de mes produits», déclare-t-elle.
Les revendeurs se préoccupent peu de la santé des populations. Pour eux, le plus important, c’est d’écouler leurs produits. Donc, pas de temps à perdre sur ce qui se passe dans le pays ou le reste du monde. Ils ignorent tous que trente-cinq bébés ont été atteints de salmonellose depuis le depuis de la crise des produits Lactalis en France. Mais aussi, le retrait de plus de 12 millions de boîtes de lait produites par cette championne de l’industrie française. «Dans cette affaire, les vendeuses en sont sacrifiées. Parce que nous ne savons même pas de quoi il s’agit. On vient nous livrer sur place les produits que nous vendons à nos clients. Ce problème a un impact négatif sur nos ventes. Il a contribué à la baisse de nos chiffres d’affaires», se plaint la vendeuse Fatou Faye. Pis, certains revendeurs de ces produits ignorent même les produits vendus sous la marque Lactalis au Sénégal.
La responsabilité de l’Etat engagée
Pour certains citoyens, la bonne santé des populations n’est certainement pas au centre des préoccupations des dirigeants actuels. Pour eux, l’Etat ne fait rien pour mettre fin au vaste réseau de commercialisation des produits périmés dans le pays. En effet, dans plusieurs marchés, gares et espaces publics, des commerçants vendent des produits périmés aux populations les plus démunies. Ce, sans être inquiétés des risques qu’ils encourent. Ce qui prouve à suffisance que le contrôle du service d’hygiène est inefficace. D’ailleurs, des citoyens estiment que l’Etat est le seul responsable de la mauvaise santé des populations. Car, disent-il, les institutions en charge du contrôle des marchandises qui sont importées ferment les yeux sur ces dérives économiques. Betty Cissé estime que les autorités publiques ont failli à leur mission régalienne de protéger les populations contre la fraude sur les produits alimentaires. D’ailleurs, elle craint pour sa santé avec l’affaire de Lactalis qui a déjà fait des victimes en France. Non sans imputer la responsabilité de tout ce qui adviendra de la santé des populations dans la consommation des laits de Lactalis dans le pays. «Les autorités doivent prendre des initiatives pour régler, une bonne fois pour toute, ce problème. On nous parle de lait avarié mais tout ce qu’on vend est pourri depuis très longtemps. Ce désordre n’est pas seulement au niveau du lait mais dans les autres produits», dénonce-t-elle. Tout en assurant que le gouvernement est le seul responsable de tout ce dysfonctionnement dans la vente des produits alimentaires. Pis, elle précise que la sécurité alimentaire n’est pas suivie. Car, explique-t-elle, ce secteur manque de contrôle. «Le service d’hygiène ne fait plus son boulot correctement. Auparavant, ses agents entraient dans les maisons, contrôlaient les boutiques et tabliers. Mais, de nos jours, la corruption a pris le dessus sur ces pratiques. Dans les quartiers, on vend du n’importe quoi. De même que dans les écoles», raille-t-elle.
Abondant dans le même sens que Betty Cissé, Doudou Séga Ndiaye soutient que ceux qui sont chargés de contrôler les produits alimentaires importés dans le pays ne font pas leur travail. Pour cause, note-t-il, si tel était le cas, ces produits avariés n’auraient pas pu entrer dans le pays, encore moins de parler de leur commercialisation. «Interdire la vente de ces produits déjà rentrés dans le pays, c’est de jouer au médecin après la mort. Ce gouvernement est médiocre. Je suis déçu par ce régime. Pourtant, j’ai voté pour eux espérant un changement de comportement des citoyens. Mais, c’est peine perdue», s’offusque-t-il avant d’inviter les populations à se méfier de ces produits pourris. Car, argue-t-il, ils peuvent porter atteinte à leur santé. «Les gens sont exposés à toutes sortes de maladies», regrette-t-il. Par ailleurs, les revendeurs accusent les autorités étatiques d’être les seuls responsables de cette situation. Parce que, relèvent-ils, tous les produits passent par le port avant d’atterrir sur les marchés.
Le gouvernement rassure sur les mesures prises
Du côté du gouvernement, on assure que toutes les dispositions ont été prises pour faire face à cette crise sanitaire internationale. Et, c’est le chef de la Division de la consommation de la direction du commerce, Issa Wade, qui apporte des précisions. A l’en croire, depuis l’annonce du scandale Lactalis, il a été retiré du marché national près de 1 648 cartons et 9 848 boîtes de lait suspectes. Il précise qu’il s’agit simplement de retirer tous les produits incriminés destinés à l’alimentation humaine. Surtout, dixit-il, les produits laitiers infantiles et céréaliers. «Le Sénégal a pris toutes les mesures idoines. Dans ce sens, on a fait des retraits au niveau de quatre principaux importateurs que sont Cophase, Laborex, Sodipharm et Duopharm», a-t-il expliqué. Par ailleurs, il a relevé que ces importateurs de lait dans le pays, détiennent en réalité 95 % du marché du lait infantile. «Au total, on a fait un retrait de 1 648 cartons et 9 848 boites de lait d’une valeur de 52 millions f cfa», affirme M. Wade. Qui assure que des analyses sont en cours. Cependant, indique-t-il, il est interdit la vente de ces produits laitiers dans tous les points de vente. Par ailleurs, malgré les rappels de plusieurs lots de produits Lactalis, des lots se sont retrouvés sur les étals.
Adama COULIBALY &
Salif KA
(Stagiaire)