CHRONIQUE DE WATHIE
La dernière fois que j’ai écrit sur l’impérialisme chinois au Sénégal, c’est toute une délégation de l’ambassade de la République populaire de Chine à Dakar qui s’était déplacée jusque dans les locaux de Wal Fadjri pour s’en plaindre. Le face-à-face épique a quelque peu tempéré mes ardeurs, mais ma plume ne s’en est absolument pas sortie ramollie. Loin du luxe des enquêtes de terrain qui permirent jadis de constater le grand nombre d’ingénieurs chinois fouinant un peu partout en Casamance, s’enquérir des multiples actes qu’ils posent était assez ardu. Mais, a-t-on besoin d’être présent sur le terrain pour voir comment la Chine bouffe de plus en plus le Sénégal ?
Les Chinois ont marqué leur présence en force au Sénégal, comme dans beaucoup d’autres pays africains, en commençant leurs investissements par la construction d’un gigantesque centre culturel presque offert. Comme l’avaient fait les Français, ils comptent asseoir leur hégémonie en s’appuyant vigoureusement sur la culture. Leur grand besoin de s’assimiler, de se fondre dans la masse souligne leur impérieux besoin de s’installer au pays de la Téranga.
Près d’un milliard 400 millions de Chinois à caser
On ne les entend presque pas. Cette cacophonie, crevant l’ouïe au son des flots de pétrole et des échappements de gaz, semble ne guère atteindre les Chinois. Ces récentes découvertes faites au Sénégal, comme si elles n’étaient sues que des Occidentaux qui multiplient les manœuvres, les Chinois ne s’en sont jusqu’à présent pas préoccupés. Et si la Russie, avec ses énormes réserves de gaz, se montre intéressée, à plus forte raison la populeuse et très industrielle Chine. Seulement, pour ce qui concerne l’Afrique, les compatriotes de Xi Jinping ont d’autres visées.
Nonobstant sa rigoureuse politique de natalité, la République populaire de Chine a dû mal à réguler sa croissance démographique. Même avec un enfant autorisé par couple, la première puissance mondiale compte près d’1 milliard 400 millions d’habitants. Autrement, un être humain sur six est Chinois. Avec cette immense population englobée dans une superficie constituée aussi de montagnes et de déserts, trouver assez d’espace devient problématique. Les zones d’habitation s’élargissant de plus en plus, l’espace à cultiver devient une denrée rare dont la puissante Chine souffre la carence. L’Afrique, aux immenses terres inexploitées et à la densité de 30 habitants/km2 , se dresse ainsi, pour le pays de Mao, comme ce lopin de terre que Christophe Colomb et son équipage apercevaient de loin. En plus de la capitale sénégalaise où, à coup de Yens, ils ont ravi presque tout un quartier (Centenaire), les Chinois inspectent de plus en plus l’intérieur du pays où ils trouvent de grands terrains à occuper. «Après avoir connu la tranquillité, même si c’était la plus misérable, les habitants des villages de Yerady et de Nganème dans la commune de Ngohé, se sont réveillés un jour dans une poudrière insolente. Ils ont débarqué un matin des étrangers étranges par leur morphologie et leurs actes. Avec leurs voitures, machines et autres bulldozers, ils ont dérangé notre sommeil pour exploiter une soi-disant carrière latéritique. Et cela au cœur de notre village, aux portes des maisons, NA BITAKE NO MBIND KE. Et puisqu’ils n’ont pas rencontré assez de résistance de la part des populations, ils ont commencé leurs travaux. Mais c’est la faim, encore la faim; NOUS SOMMES TOUS AFFAMES. Comment peut-on céder son champ pour 200.000 F CFA. C’est parce que nous avons tellement faim que nous pouvons nous rassasier des miettes. Ou bien c’est qu’on nous a menacés. On nous a dit que si vous refusez ces miettes, vos terres seront confisquées et toute opposition sera réprimée. Et si on dit cela à un sérère qui pense que toute personne qui fait la prison est foutue à jamais, il va capituler. C’est comme cela qu’on a intimidé nos sages mais ignorants parents ». Tel est le cri de cœur d’un villageois s’insurgeant contre l’arrivée dans son village de la China Road and Bridge Corporation (CRBC). Pour certains analystes, la Chine est en train de chercher à délocaliser une partie de sa population vers d’autres terres. Une thèse développée également par l’expert américain en diplomatie, Nicholas Kralev. « Les investissements chinois ne sont pas aussi gratuits qu’on voudrait bien le faire croire, car le plus souvent ils amènent avec eux leurs propres ouvriers », soutient-il. Pendant que les Américains peinent à croiser les bras pendant que la Chine conquiert l’Afrique, certains média européens croient percevoir une campagne, initiée par les autorités chinoises pour qui, il est question de survie nationale, visant à subventionner les Chinois qui veulent partir.
WADE leur ouvre les portes, Macky les accueille
Pour les Chinois, il est question de survie nationale. Au Sénégal, on en est en plein délire d’émergence. Avec Me WADE, les compatriotes de Xi Jinping avaient mis sur la table le Grand Théâtre. Avec Macky SALL, c’est l’arène nationale. Pendant que le président chinois, soucieux de caser ses compatriotes, demande à ce que le Sénégal soit considéré comme «destination touristique autorisée», Macky met en avant la lutte «un sport extrêmement important pour le Sénégal ». Le chef de l’Etat quittait le Grand Palais du peuple où il a été reçu par le président chinois, affichant une énorme banane. «Le président chinois a pris une décision importante dans le cadre de la visite, en octroyant un don de 8 milliards et un prêt sans intérêt de 16 milliards. Le tout devant constituer les sommes nécessaires pour la construction de l’arène nationale de lutte». De grands moyens pour une arène nationale. Mais pas de moyens pour développer l’énergie solaire pour un des pays les plus ensoleillés du monde. Alors qu’étant le premier producteur d’énergie solaire du monde, la Chine aurait pu épauler le Sénégal dans ce sens. Que nenni ! Le président Macky SALL, tout heureux d’avoir eu son arène, a fait une concession majeure à la Chine qui a été très peu commentée. «Pour faciliter l’arrivée des touristes chinois, le Sénégal a supprimé les formalités de consultations préalable pour les Chinois titulaires de passeport ordinaire», a décidé l’Etat du Sénégal qui ouvre grandement ses portes aux Chinois.
Et là n’est pas le plus grave. Le président SALL a signé le décret N° 2013-587 du 2 mai 2013, portant suspension de l’exportation de la ferraille et des sous-produits ferreux. Avec ledit décret, l’Etat consacrait le monopole du secteur par la Société métallurgique d’Afrique (SOMETA), une société métallurgique chinoise.
Des milliers de Sénégalais qui s’activaient dans le secteur s’étaient retrouvés du jour au lendemain sans travail. Personne n’avait plus le droit de sortir un morceau de fer, ne se serait qu’une pointe, du Sénégal. Pourtant, les heureuses perspectives développées dans le décret ne devraient jamais laisser en rade les ferrailleurs. Dans le rapport de présentation fait par le ministre du Commerce, de l’Industrie et du Secteur informel, il est clairement mentionné que : « Le présent projet de décret a pour objet d’initier la réglementation de la collecte et des transactions sur la ferraille qui permettra d’instaurer un cadre global de concurrence saine et incitative, propice au développement de la métallurgie dans le pays. Les négociants présents dans le créneau de l’exportation de la matière première seront dorénavant incités à investir dans la transformation domestique afin d’optimiser l’énorme potentiel du marché intérieur de la ferraille et des sous-produits ferreux». Sans mentionner la SOMETA, le document renseigne : « L’Etat du Sénégal ambitionne de doter le pays d’une industrie lourde, hautement créatrice de valeur ajoutée et d’emplois. Dans ce cadre, il encourage et accompagne l’installation de fonderies et la fabrication d’automobiles. Avec une industrie métallurgique performante, le Sénégal aura consolidé la chaîne de valeur du secteur des bâtiments et travaux publics qui bénéficie déjà d’une production suffisante de ciment». Fort de toutes ces remarques et observations de son ministre, le président Macky SALL signait le décret qui stipule, en son article premier, que : « L’exportation de la ferraille et des sous-produits ferreux collectés à l’intérieur du territoire national est suspendue pour une durée d’un (1) an renouvelable».
Plusieurs années après, la mesure n’est toujours pas levée. Mais pire, l’embellie annoncée par le ministre Alioune SARR s’est mue en catastrophe. L’industrie lourde qu’il annonçait, après plus de quatre ans d’existence, ne fabrique que des fers à béton et quelques cornières et dont la qualité reste à désirer. Du matériel de construction vendu pour l’essentiel dans la sous-région, principalement en Gambie. Pourtant, à son démarrage, en Octobre 2012, les responsables de la fonderie située à Sébikotane, à quelque 30 kilomètres de Dakar, multipliaient les annonces. «L’objectif est de produire un million de tonnes de fer par an au Sénégal d’ici à quatre années avec au minimum 3.000 emplois directs (…)Avec ce capital d’investissement, les chantiers sont bouclés à hauteur de 98% et dès le mois de novembre prochain, la SOMETA va produire 150 mille tonnes de fer par an (…)Nous comptons même vendre de l’énergie à la SENELEC et aux populations riveraines si elles en ont besoin », avait indiqué, le 6 mars 2013, Zhang Yun, PDG de la SOMETA. Zhang Yun, le support sur lequel repose la suprématie de l’usine. Son nom est apparu au public sénégalais à travers le communiqué qui a sanctionné la réunion du Conseil des ministres du jeudi 15 Septembre 2011. Puissant quand Me Abdoulaye WADE était au pouvoir, monsieur Yun n’a pas faibli avec l’arrivée de Macky SALL à la tête de l’Etat. Plus grave, en plus des dégâts environnementaux énormes que cause l’Usine et que tous ceux qui passent par Sébikotane peuvent constater, il y a eu une énorme escroquerie sur le nombre d’emploi. Les 3 mille emplois directs n’étaient que l’eau devant permettre à la pilule de passer. En juillet 2015, le responsable des ressources humaines de l’usine chiffrait en tout et pour tout le nombre d’employés à 605. D’autres sources renseignent qu’ils sont 257, dont de nombreux étrangers de la sous-région. Les conditions de travail sont tellement catastrophiques que beaucoup de Sénégalais, qui s’étaient au départ engagés dans la tâche, ont fini par prendre la poudre d’escampette. L’accident qui a couté la vie à Ousmane SARR, au mois de février dernier, est l’arbre qui cache la forêt. Et montre que le dossier de la SOMETA, au même titre que celui de la coopération entre les deux pays, doit impérieusement être revu.
Par
Mame Birame WATHIE