Entre autres arguties convoquées pour justifier le report de la Présidentielle, il a été agité l’existence d’une «crise» entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale. A y regarder de plus près, ce que ses théoriciens ne nous ont pas dit, c’est qu’ils étaient en train de rassembler les éléments d’une crise, la véritable crise, celle-là. Aujourd’hui, si les dieux de la providence ne volent pas au secours du Sénégal, on fonce droit vers un méli-mélo institutionnel. Le dialogue de Diamniadio, si ses recommandations sont transformées en projets de textes, nous dirige vers un mur sur lequel la pirogue Sénégal pourrait laisser des plumes. Comment le Conseil constitutionnel pourrait concilier son refus de cautionner la prorogation du mandat présidentiel assortie de sa demande de fixer l’élection à une date qui ne pourra pas excéder le 2 avril avec la livraison de cette commande issue des Assises de Diamniadio sans se contredire ? Surtout que le président de la République a réaffirmé, jeudi sur X (ex-Twitter), sa décision irrévocable de quitter le pouvoir au 2 avril. Ce, malgré la recommandation de la Commission n°2 du Dialogue qui le supplie, genoux à terre, de rester au pouvoir jusqu’à l’installation de son successeur afin d’éviter un vide institutionnel. Le Sénégal n’est quand-même pas la Belgique qui, après les législatives de 2019, a fonctionné sans gouvernement pendant…16 mois. Notre pays ne peut pas se payer le luxe d’un tel pilotage automatique, même pour une semaine.
Et puis, par quelle gymnastique, le Conseil qui a annulé le décret révoquant l’autre décret portant convocation du corps électoral pourrait valider voire participer à l’élaboration d’un texte qui, visiblement, violerait et sa propre jurisprudence et la Constitution dont les dispositions pertinentes fixent la fin du mandat en cours du président de la République au 2 avril ? En tous les cas, un consensus d’une partie de la classe politique et de la société civile ne saurait prévaloir sur la Constitution et sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Lentement mais sûrement donc, les éléments de la crise tant évoquée se mettent, les uns après les autres, en place. Le président de la République, sauf changement de dernière minute, reçoit, aujourd’hui, le rapport du Dialogue national. Il a promis, dès réception, de le transmettre au Conseil constitutionnel pour avis. Une manière de refiler la patate chaude aux 7 sages qui ont le choix entre entériner la date du 2 juin proposée ou la rejeter tout bonnement, renvoyant le colis à l’envoyeur en lui rappelant que, en l’état actuel du droit positif sénégalais, lui seul détient la prérogative constitutionnelle de fixer la date de l’élection. De ce jeu de ping-pong pourrait naître un bras de fer entre deux institutions : le président de la République et le Conseil constitutionnel qui, de juge des conflits de compétence entre pouvoirs, se retrouve, à son corps défendant, au centre d’une partie de poker menteur. D’ores et déjà, le président de la République, selon des «biscuits» sortis de la salle du conseil des ministres, s’est montré menaçant, au cas où les 7 sages voudraient lui imposer une date. Il pourrait, dans ce cas, s’arroger les pouvoirs exceptionnels que lui confère l’article 52 de la Constitution et, par voie de conséquence, dissoudre le Conseil constitutionnel. Cet article, pour que nul n’en ignore, dispose que, «lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation». Cet article, copie conforme de l’article 16 de la Constitution française est, comme le volcan des Mamelles, resté en somnolence depuis longtemps. Ni Diouf ni Wade n’en ont, en effet, usé. Macky Sall sera-t-il le premier président de la République du Sénégal à s’en servir ? Le 2 avril, c’est maintenant !
Par Ibrahima ANNE