CHRONIQUE POLITIQUE
Un camouflet ! Plus même, une dérouillée ! Le verdict rendu avant-hier par le tribunal de grande instance de Paris pour débouter l’Etat du Sénégal de sa demande de confiscation des biens appartenant à Ibrahima Khalil Bourgi et à Karim Wade, sonne telle une torgnole pour les pouvoirs publics. En atteste la réaction pitoyable du porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, qui brandit en guise de menace que le Sénégal n’exécute plus les décisions de la justice française. Ou la réaction tout aussi ridicule des jeunes de l’Apr regroupés dans la Cojer. Ou encore l’hébétude affichée par Me Félix Moussa Sow, l’un des avocats de l’Etat, dans ses premiers commentaires de la décision du tribunal parisien les déboutant de toutes leurs prétentions. Me Sow n’essayera pas de se donner bonne conscience, comme son confrère Me Bassirou Ngom qui cherche à se raccrocher à l’appel. Lui, au moins, n’ignore pas qu’ils n’ont aucune chance de voir la Cour d’appel de Paris infirmer le verdict du tribunal de grande instance dont tous les attendus sont adossés au droit.
Interjeter appel de cette décision de justice serait synonyme de perte d’argent pour l’Etat, mais serait tout bénéfice pour ses avocats qui vont pouvoir ainsi gonfler leurs honoraires. Parce que Me Abdoulaye Babou a tout à fait raison quand il soutient mordicus que la décision rendue par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) contre Karim Wade et Cie et confirmée par la Cour suprême du Sénégal «ne pourra jamais être exécutée hors du Sénégal». En particulier dans les pays européens et américains (Etats-Unis et Canada) parce que, dans ces pays, confirme Me Babou, «jamais il ne viendrait à l’idée à une autorité politique d’aller influencer la justice dans un sens ou dans un autre», comme c’est le cas au Sénégal et dans d’autres pays francophones d’Afrique. Là-bas, les magistrats ont horreur de la justice des vainqueurs depuis Nuremberg. Là-bas, ceux qui disent le droit dans les prétoires tiennent jalousement à leur indépendance. Là-bas, la justice se rend sur la base de valeurs immuables de respect de la présomption d’innocence et autres principes universels qui font que la charge de la preuve appartient toujours à l’accusation et qu’il existe, en toutes occasions, le double degré de juridiction parce qu’il est une garantie essentielle d’équité pour les justiciables devant toute justice digne de ce nom.
Dans ces pays là, un procureur, aussi spécial soit-il, ne peut se réveiller un beau matin pour interdire de sortie du territoire national des justiciables qui n’ont pas partie liée au terrorisme et ne font l’objet d’aucune inculpation par la justice, comme l’avait fait Alioune Ndao. En le faisant, il avait délibérément «violé (leur) droit de présomption d’innocence», ainsi que l’avait dénoncé la Cour de justice de la Cedeao dans une décision rendue le 22 février 2013. Dans ces pays européens, on est si respectueux des décisions de la Cour de justice européenne qu’il ne vient à l’esprit d’aucun décideur politique de passer outre ses attendus, comme l’ont fait les autorités sénégalaise avec l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao.
L’arrêt du tribunal de grande instance de Paris est d’autant un camouflet qu’il laisse penser que Karim Wade, Bibo Bourgi et autres ont eu droit à un simulacre de procès devant la Crei. Que cette juridiction d’exception n’a pas dit le droit dans cette affaire. Qu’elle aura violé, d’un bout à l’autre, les règles les plus élémentaires du droit. Cette décision doit mettre les magistrats de la Crei, aussi bien ceux de la commission d’instruction que le président et ses assesseurs dans leurs petits souliers. En effet, ils n’ont pas de quoi être fiers en tant que professionnels du droit, mais surtout en tant que magistrats assis ou du siège qui sont présumés indépendants. Parce qu’ils n’ont pas dit le droit. Pis, ils auront cautionné des violations de la loi. Que de dire des «sages» du Conseil constitutionnel qui, au prix de contorsions intellectuelles dignes de prestidigitateurs, ont permis à la Crei de se revêtir de ce manteau de légalité que lui avaient contesté les avocats de la défense que semblent confirmer aujourd’hui les juges du tribunal de grande instance de Paris.
La Crei est, à n’en point douter, une aberration juridique. Il faudra bien un jour que ceux qui ont réactivé ce monstre pour régler des comptes purement politiques, rendent compte à leur tour.
A lire chaque jeudi…
Par Abdourahmane CAMARA
Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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