CHRONIQUE DE MAREME : WASSANAM
Partie Malick
Je suis au Cameroun depuis dix jours et j’ai hâte de rentrer demain pour rencontrer la fameuse traductrice. Sans elle, je n’aurais jamais pu gagner cette affaire. Viny corporation est une grande société de transit gérée par un fils qui a pris le flambeau, après la mort du père fondateur. Une banque a profité de sa naïveté et de son manque d’expérience pour lui faire des prêts qu’il ne pourra jamais payer au délai imposé. Seulement lui, ne le savait pas à cette époque et il a fait recours à mon cabinet pour être défendu. Un abus de confiance évident puisque la banque à utiliser pleins d’astuces pour induire mon client en erreur. Le professeur Niang, malgré son temps très chargé, m’a sauvé sur ce coup en aidant Suzanne dans la traduction du dossier. Le succès du cabinet a monté en flèche ces deux dernières années et j’ai été envahi d’un coup par une clientèle anglophone alors qu’avant je n’en avais qu’une ou deux. J’ai été surtout bluffé par la rapidité de la nouvelle traductrice. Tous les jours, j’avais des éléments nouveaux que j’envoyais à Suzanne et à ma grande surprise elle me les renvoyait une heure plus tard, même si c’était le soir. Elle m’a dit que cette femme travaille jusqu’à 20h le soir et qu’elle est toujours la première à arriver sur les lieux. Elle a ajouté que je serais surpris de voir le travail abattu à mon retour.
Là, je fais mes bagages, tout heureux d’avoir fait une bonne négociation en faveur de mon client. La banque a fini par accepter une négociation sachant qu’elle allait droit à la perte avec toutes les preuves que j’avais.
Je regarde encore une fois ma montre, il est presque 22h, ce qui veut dire que je serais au Sénégal vers les coups de minuit. Je me demande ce qu’Aicha fait en ce moment ? De quoi tu te mêles, me dit une voix intérieure. Depuis une semaine, malgré mon emploi du temps chargé, elle n’a pas cessé d’occuper mes pensées matin, midi, soir. J’ai connu tellement de femmes mais c’est la première fois que je ressens une si intense émotion en posant mes lèvres sur les siennes, en caressant son corps. Cela va au-delà du désir charnel. Elle réveille tant de chose en moi et je me mets à me détester d’avoir des sentiments si forts pour une femme aussi légère.
Arrivé à la maison, les lampes du salon étaient allumées. Je ne savais pas qu’Abi était noctambule. A ma grande surprise, je la retrouve avec au moins quinze femmes, d’à peu près son âge, en train de parler de leurs exploits aux lits avec leurs maris.
– Moi mon mari, je l’ai attaché sur mes reins. Il exécute tout ce que je lui demande. Djiguène dafaye khadiam (une femme doit avoir pleins d’astuces) pour. ..
- – Bonsoir ! Elles sursautent toutes en même temps et me regardent comme si elles voyaient l’homme aux sept têtes. Je me tourne vers Abi pour lui demander : qu’est ce qui se passe ici ? Elle se lève précipitamment, vient vers moi et me prend le bras m’incitant à la suivre. Peut-être qu’elle a peur que je fasse un scandale. J’ai l’impression dès que je ne connais pas cette femme. Je la suis sans dire un mot, de toute façon je suis trop fatigué pour m’attarder sur des futilités.
– Je croyais que ton voyage était pour trois semaines au moins.
– Il y a eu un arrangement entre les deux parties. Donc ma maison se transforme en hawaré (rencontre) durant mes absences.
– Ce n’est pas ce que tu crois.
– Et qu’est-ce que je dois croire ?
– Ca a été improvisé à la dernière minute. C’est juste une soirée entre amies.
– Hum, Bonne soirée alors.
– Tu es fâché ?
– J’ai arrêté d’être fâché quand j’ai compris que ni mon avis et ni mes désirs ne comptaient pour toi alors…
– Ne dis pas ça s’il te plaît… je fermais la porte de la douche sans attendre ses explications. De toute façon, au point où nous en étions, nous étions mari et femme juste par devoir rien d’autre. Je ne savais rien d’elle et vice-versa. A part les enfants, il n’y avait rien qui nous lie.
Je me suis réveillé le lendemain très tard, il faut dire que ces temps-ci je n’ai dormi que trois heures par jour. Donc j’avais vraiment besoin de combler cette panne d’oreiller.
Je suis arrivé au bureau vers treize heures et j’ai directement foncé au bureau de Mouha.
- Regardez-moi celui-là, jamais de repos, me lance-t-il dès que j’entre.
- Le repos c’est pour les morts, sinon quoi de neuf ?
- A part le fait qu’il se murmure un vent de révolte.
- A bon, j’attends pour voir
- Tu devrais prendre cela au sérieux. Car il s’intensifie chaque jour un peu plus.
- Et de quoi se plaint-t-on ?
- Je ne sais pas exactement mais certains trouvent que le rythme de travail imposé par la maison est très élevé par rapport à la norme.
- L’horaire est fixé et je n’impose à personne de rester jusque tard.
- Mais pour parvenir aux résultats que tu demandes, nous sommes forcés de rester tard. Je me lève en lui faisant signe de me suivre.
- Viens, on va resto, j’ai une petite annonce à faire en plus j’ai très faim puisque je n’ai pas pris le petit déj.
Partie Aicha
Je joue avec ma cuillère depuis cinq minutes. D’habitude, je finis mon assiette en moins de deux ; mais aujourd’hui rien ne passe. Depuis que Mme Coulibaly m’a annoncé l’arrivée de Malick aujourd’hui, j’ai la boule au ventre. J’ai travaillé comme une forcenée ces dix derniers jours pour montrer ma compétence. Et ça avait porté ses fruits puisque Mme Coulibaly m’a dit que le patron avait appelé spécialement pour montrer sa satisfaction et que c’était grâce à moi qu’il avait gagné l’affaire Viny. En plus, il y avait beaucoup de boulot en instance et j’ai été obligée de rester jusque tard pour avancer et aujourd’hui j’ai presque fini. J’ai vu une ou deux fois son ami venir manger au resto ; mais heureusement pour moi, il ne m’avait pas remarqué. J’espère qu’après tout le boulot que je me suis tapée, il ne va pas me renvoyer quand il saura que c’est moi la fameuse traductrice.
- Mama miya ! Je relève la tête pour regarder ma nouvelle amie Binta Diop, la fameuse réceptionniste qui nous avait introduits.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Le patron en chair et en os. J’avale de travers ce que j’essayais de mastiquer depuis tout à l’heure. Effectivement Malick venait d’entrer, accompagné de son ami Moustapha qui souriait de toutes ses dents. Toutes les têtes se tournent. Un silence glacial s’abattit sur le restaurant qui, il y a une minute, était bruyant. Dans son costume noir qui rehausse son teint clair, il est beau comme un Dieu. Il avançait nonchalamment en saluant de la tête les personnes qui se levaient et se courbaient presque sur son passage. Il incarne à la fois le respect et la peur. On aurait dit un roi qui traverse sa cour. L’élégance dans la puissance ! Comme tout le monde, je n’osais ni tourner la tête ni bouger, juste subjuguée par autant de charme et de charisme. J’étais comme une statue de marbre. C’est seulement quand, il s’est assis près de Mme Coulibaly que les conversations reprirent ; mais cette fois avec plus de modération.
- Non un vrai homme. Regardez-moi ce thiof rék (expression qui veut dire un homme beau). Chuchote Evelyne, avocate stagiaire.
- Je donnerais mon salaire entier pour passer une nuit avec lui; renchérit Amina une autre avocate stagiaire.
- Moi c’est mon salaire d’un an que je suis prête à donner, reprend Binta. Regarde-moi ces lèvres oh, walay c’est un crime d’être si beau.
- Astakhfiroulah, hé les filles vous vous entendez. Franchement vous aussi…
- Quoi nous aussi, je t’ai vu avaler de travers quand il est entré alors pas de ça avec nous. Elles éclatèrent de rire jusqu’à attirer l’attention de Malick. Ce que je ne voulais vraiment pas. La cuillère en suspense, il me fusille du regard avec une telle haine que je commence à transpirer. Je baisse la tête et n’ose plus la relever. Ca y est, il m’a vue. Comme moi, les filles n’osaient plus ouvrir la bouche, croyant que le regard noir du patron leur était adressé. Je me réjouis de savoir que ce n’est pas seulement moi qu’il intimide. Je sens les larmes me monter. Je commençais tellement à me plaire ici avec de nouvelles amies, un métier passionnant et ce salaire qui aurait pu être un souffle pour mes parents. Ils ont toujours peur de ne pas avoir assez de bénéfices pour payer les factures, ou encore le loyer et j’aurais pu leur enlever cette peur et cette privation de tous les jours.Tinc tinc tinc, c’est Malick qui vient de taper sur un verre en attirant l’attention de tout le monde.
- Il y a une rumeur qui circule indiquant que certains individus mal intentionnés ont à redire des conditions de travail. Quand on est perdant, on éprouve toujours le besoin d’inventer des problèmes pour se compléter. Entre 2015 et aujourd’hui, j’ai gagné douze procès et quinze affaires dont le dernier en date est l’affaire Viny, ce qui est bien loin de votre compte a tout un chacun. Je n’ai pas besoin de râleurs encore moins de perdants. Le cabinet ne vous paye pas des salaires faramineux pour que vous restiez dans vos bureaux climatisés à vous empiffrer. Des résultats, nous ne les demandons pas, nous les exigeons et qui n’est pas satisfait, dégage. Un de perdu dix de retrouvés. Sur ce, je vous laisse. Il regarda une dernière fois l’assistance abasourdie par le discours qu’il venait de faire avant de partir suivi de près par Mme Coulibaly.
- Tu comprends maintenant pourquoi on l’appelle : le tyran, dit Binta. J’acquiesce de la tête.
- Oh je le dis et le redis. Je suis prête à aller en enfer pour cet homme, ajoute Amina les yeux pleins d’admiration. Comme par enchantement la salle reprend son animation et les commentaires sur le discours primaient sur tout. Moi, avec ce regard qu’il m’avait lancé et ce discours, je n’avais plus de doute quant à mon avenir ici. Je préfère partir avant qu’il ne m’humilie comme la dernière fois. Je quitte les filles le cœur meurtri mais je n’eus pas le courage de leur dire au revoir sinon j’aurai été obligé de leur expliquer le pourquoi.
Quand j’entre dans mon bureau, je regarde autour de moi, thièye c’aurait été trop beau pour être vrai. La première fois que Mme Coulibaly m’a amené ici, j’ai cru que c’était une blague. Table en demi-cercle, fauteuil en cuir, tellement confortable qu’on pouvait y dormir, une gigantesque armoire en bois massif et je ne parle même pas de la vue paranoïaque. C’est normal, j’étais au 15ème et dernier étage. J’allume l’ordinateur et le clim, je crois que c’est ce qui va me manquer le plus, déjà que je commençais à avoir un beau teint avec cet air si frais. Le premier jour quand Mme Coulibaly est venue me voir pour s’enquérir de mes nouvelles, elle m’a trouvée complètement frigorifiée. En fuyant la honte de demander comment diminuer le froid, je me le suis tapé. Elle en a ri jusqu’à en pleurer. C’est vrai qu’avec les dents qui claquaient, je ressemblais à une souris. Je régige rapidement ma lettre de démission, prends mon sac, regarde une dernière fois le bureau de mes rêves avant de refermer la porte à clé. Entre mon bureau et celui de Malick, il y avait juste une grande salle de conférence qui nous séparait. Mme Coulibaly était juste en face de moi et au milieu il y avait un grand couloir où était aménagé un joli espace visiteurs avec un petit bureau au coin pour Fadel le réceptionniste. D’ailleurs j’ai beaucoup sympathisé avec lui.
- Je peux savoir où est-ce que tu vas comme ça ? Tu attends que le tyran soit là pour sortir, tu veux être renvoyée ? Des cris nous font sursauter. C’est comme ça depuis tout à l’heure. Je ne sais pas ce qui se passe mais c’est la première fois que Mme Coulibaly tient tête à monsieur. Alors tu as intérêt à rentrer avant qu’il ne te trouve ici.
- J’ai décidé d’arrêter, voilà ma lettre de démission. Je ne peux pas te dire pourquoi alors au revoir. Profitant de sa surprise qui le laisse sans voix, je dépose la clé du bureau sur la table et tourne rapidement les talons. Avant que je n’atteigne l’ascenseur, Fadel courait précipitamment vers moi et me tira si fort vers lui que je tombais sur ses bras. C’est à cet instant que choisirent Malick et Mme Coulibaly pour sortir alors que j’essayais de reprendre équilibre.
- Tu vois, cette fille va nous apporter des problèmes. A peine est- elle là qu’elle aguiche déjà M. Diagne. Je veux que tu la vire tout de suite et je ne vais pas changer….
- Sssshiiipppp. Ce n’est pas la peine, j’ai déjà déposé ma démission. Moi aussi je n’ai pas envie de travailler avec un genre de spécimen comme vous. Sof ça dé (fatiguant ce mec). Hitler shim ! Je m’engouffre dans l’ascenseur sans leur laisser le temps de réagir.
Ishe, il se prend pour qui même ?
Partie Suzanne l’assistante de direction
C’est le claquement très fort de la porte de mon patron qui me ramène à la réalité. Je me tourne vers Fadel qui est aussi surpris que moi.
- S’il te plaît pince-moi. Il éclate de rire avant de prendre sa bouche dans ses deux mains.
- Tu as une télécommande pour faire arrière. Non, je suis choqué, chuchote Fadel. J’appuyais déjà sur le bouton de l’ascenseur.
- Je ne sais pas ce qui s’est passé entre ces deux-là ; mais il est hors de question que cette fille m’échappe dis-je.
En dix jours seulement, elle m’a complètement conquise. Je crois que Dieu a entendu mes prières. Elle a tout ce dont j’ai besoin comme collaboratrice : assiduité, rapidité, politesse, efficacité et surtout disponibilité totale. Avec elle, je pourrais rentrer plus tôt chez moi, voir mes enfants, reconquérir mon mari…. Je cours comme une folle vers l’arrêt bus. Enfin je la vois, je traverse rapidement la rue pour la rejoindre. Heureusement pour moi, le bus n’est pas arrivé. Quand elle me voit elle se dépêche d’essuyer ses larmes mais n’empêche, celles-ci continuaient de sortir. Cela me fend le cœur de la voir dans cet état, cette fille est si brave.
– Je ne sais pas pourquoi vous vous détestiez autant mais il est hors de question que tu t’en vas comme ça sans même m’expliquer ce qui se passe.
– Et moi il est hors de question que je travaille pour lui cria t- elle. Cette fille est vraiment en colère.
– Vous commencez sérieusement à m’énerver vous deux. C’est quoi ce manque de professionnalisme. Elle ouvre la bouche pour parler et je la coupe. Non toi écoute moi bien et je ne me répéterais pas : premièrement c’est moi qui t’ai embauché, moi-même qui te donne le travail à faire donc c’est moi ton patron pas lui. Ce qui m’importe, c’est ta compétence dans le boulot et j’en suis satisfaite. Deuxièmement, il faut savoir Mlle Ndiaye que vous avez signé un contrat dans un cabinet d’avocat pas dans une boulangerie ou un restaurant. Ce contrat stipule que pour quitter votre boulot, vous devez soit payer un préavis d’un mois qui s’élève à la somme de votre salaire, soit, rester le temps que l’on vous trouve un remplaçant. C’est le b a.e-ba du métier, vous devais sûrement le savoir.
– Mon Dieu, où vais- je trouver une somme pareille.
– Je ne sais pas mais je vous promets de trouver quelqu’un au plus vite.
– Je déteste cet homme et si je travaille là-bas, je le verrais tous les jours dit- elle en reniflant. C’estune première du – je envie de dire.
– Pas forcément, car tu auras plus affaire à moi qu’à lui. Elle fait non de la tête. De toute façon, tu n’as pas le choix, à moins que tu remplisses les conditions pour quitter. Elle ne dit rien. Maintenant je te laisse te calmer et revenir au bureau, j’ai un boulot urgent à te confier. Avant que je ne traverse, je me retourne vers elle pour lui dire une dernière chose. A l’avenir contrôler vos émotions quelle que soit la situation. La colère ne règle rien, au contraire elle augmente les problèmes.
Je traverse rapidement la rue, fière de moi car je sais que cette fille n’a pas les moyens de payer un préavis. Déjà que j’ai dû lui faire une avance d’un quart de son salaire car j’avais deviné quelle n’avait rien. Maintenant, il me reste à régler le gros du problème : mon patron. Je ne sais pas s’il va accepter qu’elle revienne après qu’elle l’a traité d’Hitler. Je pouffe de rire sans le faire exprès. En tout cas, elle a du cran.
Dès que l’ascenseur s’ouvre, Fadel me fait signe. Cela n’augure rien de bon. Quand j’arrive à sa hauteur, il me dit d’un ton solennel.
– Mr. vous attend dans son bureau. Ensuite, il me glisse une feuille que je me m’empresse de lire : ” il est vraiment en colère alors ne le provoquer. Il m’a passé un de ces savons, j’en tremble toujours.
– Mme Coulibaly ! cria mon patron tellement fort que nous sursautâmes tous les deux.
– Bonne chance murmure Fadel. C’est à cet instant que l’ascenseur s’ouvre et que Fanta entre. Fadel ouvre grand les yeux en nous regardant à tour de rôle avant de me lancer.
– C’est du suicide. Je me tourne vers Fanta et lui tend sa clé.
– Traduis moi le document Hester et c’est urgent. Je prends un grand air et entre dans la tanière du lion. Avant même que je ferme la porte, il me lance.
- Comment pouvez-vous prendre une fille sans aucune qualification professionnelle hurle- il, en me lançant son dossier. Je veux la vérité qui vous l’a recommandée.
- Je vous demande pardon ? Vous ne croyez pas que vous exagérez ? Je pense que la colère brouille vos jugements. J’ose espérer que c’est la colère qui vous laisse penser que je suis capable de pistonner quelqu’un, dis-dis-je les larmes aux yeux. Il me regarde farouchement mais me voyant en pleur, il se radoucit de suite.
- Excuse-moi Suzanne mais j’ai besoin de comprendre. Cette fille est en licence d’anglais seulement, elle ne peut pas avoir un si bon niveau.
- Pourtant elle l’a. Dès fois je regarde le dictionnaire quand je lis son travail. Le professeur Ndiaye dit qu’elle a le niveau de master deux et peut – être même plus. Dans le test d’évaluation, elle a fait cinq fautes sur le dossier Alpache alors que le professeur en avait fait trois. 52 pages qu’elle a finies en une nuit, elle nous a tous bluffé. En dix jours, elle a fait un boulot de deux mois, si c’était moi ou un autre qui le faisait. Elle est rapide, efficace et très disciplinée, tu devrais remercier Dieu de te l’avoir envoyée.
- Je ne sais pas Suzanne. Tu ne la connais pas, cette fille n’est pas une bonne fréquentation…
- Votre ami là, M. Gueye qui drague toute personne portant une jupe, c’est lui qui n’est pas une bonne fréquentation et pourtant il travaille ici et pourquoi ? Parce qu’il fait partie des meilleurs comptables du pays. Arrêtez vos préjugés s’il vous plaît. Moi je n’ai que faire de sa vie privée, l’essentiel c’est qu’elle n’interfère pas dans le boulot, ce qui n’est pas le cas pour d’autres. Il me sourit et se lève.
- A force de me côtoyer tu deviens un bon défenseur mais j’ai peur que tu es mal choisi ton plaignant.
- Laissez-moi à en juger par moi-même. Il me tend la main.
- D’accord Suzanne, si vous voulez devenir l’avocat du diable, à vos risques et périls. Je lui prends la main.
- Je me porte garant pour elle monsieur et je vous assure que vous n’allez pas le regretter.
- Par contre j’exige des excuses pour avoir été traité de sniper et d’Hitler. Je me retiens de rire. Il me pointe un doigt menaçant. Est- ce que vous vous moquez de moi par hasard.
- Bien sûr que non, répondis- je en me levant précipitamment. Elle vous présentera ses excuses demain à la première heure.
- Pourquoi pas aujourd’hui.
- S’il vous plaît, vous m’avez toutes les deux mis à rude épreuve aujourd’hui. Je dois finir un boulot et vous avez promis à mon mari de me laisser rentrer toujours à 17h. On vient juste de se réconcilier, rajoutais- je en minaudant.
- D’accord c’est bon. Avant que je ne referme la porte. Il me lance : demain à la première heure.
- Oui chef, il se retient de sourire en faisant une mimique. Sous ses airs de tyran, il cache un cœur en or. Je peux dire même qu’il m’a sauvé la vie moi et mes enfants il y a dix ans de cela. A cette époque, j’étais au bout de la vie. J’avais deux enfants et un mari violent. Cet homme me frappait presque tous les jours, sans relâche et pour un rien. J’ai rencontré Jean François alors que je venais juste de terminer mon BTS en secrétariat. Il était venu passer quelques jours de vacances et nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Deux semaines plus tard, il demandait ma main. Ma mère trouvait que les choses allaient trop vite et me disait que je ne connaissais rien de cet homme. Mais je ne voulais pas le laisser repartir sans moi de peur de le perdre. Nous nous sommes mariés à la mairie Gueule tapée et je déposais un visa de vacance. Si mon père était vivant, il ne me laisserait jamais m’engager dans une telle aventure aussi rapidement. Pour moi, j’avais rencontré l’homme de ma vie, j’allais vivre en France, trouver un boulot qui me permettrait de gagner au moins 1000 euro (650 000 FCFA). Bref le rêve de l’eldorado. En France, comme j’avais un visa d’un mois seulement, il me fit comprendre que si je tombais enceinte cela faciliterait l’obtention des papiers. Les choses ont commencé à dégénérer après mon accouchement. Il est passé de l’homme jaloux à quelqu’un de possessif et extrêmement agressif. Il en est arrivé à déménager deux fois parce qu’il soupçonnait les voisins d’avoir des vues sur moi. Plus les mois passaient plus son agressivité augmentait jusqu’à ce qu’il lève la main sur moi. Je ne sais pas si c’est parce que j’avais peur de l’après lui, mais j’ai continué à rester avec lui. Il m’avait coupé de l’extérieur car je ne connaissais personne dans ce pays étranger, je ne travaillais pas et n’avait aucune revenue avec moi. Comment vivre et où aller avec ma fille si je le quittais. Alors je restais, espérant qu’un jour il change. Jusqu’au jour où accumulé par le tressé, j’eus d’affreuses douleurs au bas ventre alors que j’étais enceinte de six mois. Comme il m’enfermait dans l’appartement, j’ai commencé à frapper très fort jusqu’à ce qu’on enfonce la porte. Ce quelqu’un c’était Malick, il était mon voisin depuis un an et je ne l’ai jamais vu. C’est à partir de ce jour-là qu’il devint mon sauveur. J’étais tellement habituée à être maltraitée, frappée et enfermée que j’avais fini par trouver cela normal. Le fait d’avoir failli perdre mon bébé a été un réveil pour moi. J’ai raconté toute ma vie à cet homme que je venais de rencontrer et il m’a proposé son aide. Je ne suis jamais retourné chez mon mari. Malick m’a amené chez une vieille femme qui avait été une de ses clientes et avec qui il avait fini par sympathiser. La dame m’accueillit et me traita comme une princesse. Moi, qui à force de prier avait fini par croire que Dieu m’avait oubliée. Quand je fus installer dans une chambre ce soir-là, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Après cela Malick, s’est constitué en avocat pour moi et m’a aidé à quitter ce monstre tout en lui faisant prendre toutes mes dépenses en sa charge. Petit à petit j’ai repris gout à la vie et j’ai commencé à trouver de petits boulots de gauche à droite. J’ai continué d’habiter chez la dame moyennant une petite participation que je lui avais imposée. Elle n’a jamais eu d’enfant et elle était devenue une mère pour moi et vice-versa. Comme c’était un professeur d’anglais à la retraite, elle me donnait des cours et me força à relever mon niveau. Deux ans plus tard, j’étais devenue plus qu’une pro. C’est là que Malick me proposa un job de secrétaire puisqu’il devait rentrer au bercail. Il venait de décrocher un boulot de chef de cabinet. Depuis, je travaille pour lui et partout où il va, il m’amène avec lui. Sans lui, je me demande ce que je serais devenue, il y a 10 ans quand il m’a sorti des griffes de mon premier mari. Toc toc toc
- Oui, entrez! Fanta entre dans le bureau, un document à la main. C’est à cause de ça que j’ai tenu tête à Malick. Cette fille est trop efficace. Elle pose le document et s’apprête à tourner les talons.
- Asseyez-vous s’il vous plaît. Elle me jette un regard furibond avant de s’exécuter.
- Je sais que vous êtes fâchée mais pour moi les problèmes on ne les fuis pas, on les affrontes. Malick est un homme bien, le meilleur que je connais. Vous me remercierez un jour de vous avoir forcé à rester.
- Juste le temps que vous trouviez un autre.
- Comme vous voudrez. Bon, autant vous le faire savoir tout de suite, j’aimerais que demain, à la première heure, vous présentez des excuses à mon patron. Elle ouvre la bouche avant de me lancer un regard noir.
- Jamais, hurla t- elle. Hé, les deux-là veulent me tuer.
A lire tous les lundis…
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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