«L’homme est le remède de l’homme». Ainsi traduit-on habituellement la maxime wolof «nitt, nitt ay garabam». Lorsqu’en pulaar, on dit: «Neddo, neddo ko bandum», on pourrait le traduire par : «L’homme est le frère de l’homme». Ou mieux, «l’humain est le frère de l’humain». Bref, tous les humains sont frères !
En ouolof, comme en pulaar, la quintessence du message est la même. On peut même affirmer que cette maxime, dans son sens profond, existe dans toutes les langues africaines. Amputer cette maxime d’un seul de ses mots, en altère le sens. Lorsque l’on dit : «Neddo ko bandum» seulement, cela n’a plus le même sens que de dire : «Neddo, neddo ko bandum». Tous le sens du message disparaît avec le sacrifice du premier neddo… Et c’est la porte ouverte à toutes les outrances.
Je suis en effet étonné de noter les dérives pernicieuses et périlleuses, qui s’incrustent dans le discours public sur le registre délictuel de ce faux et usage de faux, par l’altération de cette philosophie de nos ancêtres qui consiste essentiellement à cultiver l’amour du prochain. En effet, sous les traits de quelques plumes acerbes, trempées dans l’encre de la nuisance ou de l’ignorance malfaisante, des esprits mal éclairés tentent de théoriser à partir de là un barbarisme, le «neddo kobandouisme», pour accréditer la thèse selon laquelle le Sénégal serait sous la menace d’un projet «ethniciste» dont le président Macky Sall serait le porteur. Sous ce rapport, il lui appartient de répondre. Et le plus tôt serait le mieux. Sa responsabilité personnelle est engagée devant la Nation.
Ce qui m’intéresse ici, à mon humble niveau, c’est de souligner la légèreté des arguments fournis pour installer le doute dans nos esprits, mais surtout la médiatisation de la bêtise qui risque de faire mal et très profondément. Pour bien camper le sujet, il faut rappeler que depuis quelque temps une liste, copiée sur le site internet du gouvernement de la République, circule dans les réseaux sociaux. Cette liste élaborée tout simplement par une sélection de tous les noms de famille à consonance pulaar pour dénoncer leur nomination à des postes de responsabilité, veut faire la démonstration d’un favoritisme ethnique. Démarche inédite dans notre République. Cela appelle quelques observations préalables.
1) – Dans la forme :
– Pour établir statistiquement une éventuelle discrimination, il faudrait sortir la liste de toutes les nominations depuis 2012 et faire la démonstration que telle ou telle ethnie, région ou confrérie, serait favorisée par le seul fait de l’appartenance. Sortir une liste de cent noms sur plus de mille nominations à tous les niveaux ne démontre rien. Bien au contraire.
– Au demeurant, la plupart des noms de famille au Sénégal ne sont, en aucune façon, exclusifs à une ethnie. Des Ndiaye, Diop, Sy, Bâ, Touré, Gaye, Gassama, Bousso, Ly, Sow, Seck, Mbaye, pour ne prendre que certains des noms aperçus sur la fameuse liste, il y en a dans toutes les ethnies du Sénégal. Le métissage de la nation sénégalaise est un fait et, s’il faut aller dans le détail de la démonstration, on y viendra.
2) – Dans le fond :
– La politique politicienne, celle qui est en vogue au Sénégal et plus généralement en Afrique, a oublié le but et le sens de la politique au sens le plus élevé du terme : transformer la vie des hommes et des femmes d’une cité dans le sens de la rendre meilleure. Cette idée de la politique est noble. Elle n’a plus, hélas, droit de cité ! L’espace politicien est devenu une jungle où prolifèrent les espèces les plus achevées de la décadence humaine : menteurs et bonimenteurs, entremetteurs et courtisanes, chefs religieux sans foi et infidèles sans lois, font une danse du scalp autour du «pouvoir» et de ses délices.
Les maîtres chanteurs, en tous genres, utiliseront toutes les ficelles, et même les plus périlleuses, pour se maintenir ou accéder au pouvoir. Les identités sont d’une sensibilité extrême. Il faut absolument donner un coup de frein à cette dérive car, voilà qu’un footballeur célèbre, non plus par les buts qu’il marque mais par ses frasques mondaines, verse de l’eau au moulin des théoriciens du «Neddo ko bandouisme» sur la scène du 30ème anniversaire de Baaba Maal. On peut comprendre que réfléchir avec les pieds ne le prédispose pas à sa nouvelle fonction d’ambassadeur qui l’autorise, semble-t-il, à prendre la parole en public au nom du président Macky Sall ou à tout le moins pour son compte.
Les propos de El Hadji Diouf… Diallo sont préoccupants. Ils engagent sa responsabilité et celle de son nouveau patron qui devrait, à mon avis, s’en écarter de manière formelle au nom de la République. Quant à Baaba Maal, que je connais depuis les années chaleureuses du Lycée Charles De Gaulle de Saint-Louis et les beaux moments au sein du Foyer artistique et littéraire de Saint-Louis en 1973, je me réserve le droit de lui rendre une visite personnelle pour lui demander, dans le blanc des yeux : «El Hadj (c’est le nom du royaume d’enfance) qu’est-ce que tu fais dans cette galère ???»
O gens, encore lucides, de mon si beau pays, prenons garde ! Je vous en conjure, prenons garde…
Amadou Tidiane WONE
Ancien Ministre