L’initiative de la création de l’Observatoire pour la valorisation du patrimoine culturel du Sénégal (Ovpcs) est née d’une prise de conscience de l’impérieuse nécessité de remettre en scelle le patrimoine immatériel de nos sociétés à travers la magie de l’image pour une meilleure appropriation de ses facettes et de ses valeurs.
Les nombreuses générations de chercheurs, dont la réflexion sur des sujets de portée historique, anthropologique, ethnologique ou sociologique, ont sans doute rempli leur mission de production d’une importante masse d’informations, autant que celle-ci pouvait se concevoir pendant des périodes bien déterminées.
S’il n’y a pas de doute sur l’existence d’une abondante littérature disponible sur notre patrimoine immatériel, il nous semble tout de même raisonnable de regretter les insuffisances constatées dans l’appropriation des résultats de ces recherches et l’usage que nous en faisons véritablement, en termes d’exploitation et de réflexion sur les stratégies à développer pour leur accessibilité aux populations jeunes et adultes qui en sont les héritiers. Pour notre part, les raisons sont à rechercher essentiellement dans notre histoire encore marquée par le faible ancrage de la culture de l’écriture et de la lecture pour accéder aux savoirs. La recherche sur notre passé qui remonte à une période récente, par rapport à notre trajectoire historique, par l’usage d’une langue d’emprunt, seconde, avec toutes les contraintes et les limites que l’on peut imaginer, rend difficilement compte de la profondeur historique de la longue sédimentation de notre substrat culturel. Les résultats appréciables obtenus dans de pareilles conditions de travail nous permettent d’apprécier les grands efforts consentis dans les milieux de la recherche universitaire. Il convient toutefois de souligner que ces laborieuses réflexions et investigations restent malheureusement confinées dans le cercle restreint des initiés et donc inaccessibles aux populations majoritairement non instruites.
En l’absence d’une appropriation massive et judicieuse de leur sens et de leur valeur, nos éléments de culture sont ainsi considérés par les jeunes générations de même que par certains adultes comme un ensemble de pratiques sociales reproduites mécaniquement et par mimétisme. Cette situation explique probablement la méconnaissance et les réactions de rejet de nos traditions par ceux qui devaient en être les dépositaires, plutôt perméables aux produits extérieurs charriés par les nombreuses chaînes de télévision et toute la panoplie des moyens de communication de masses qui nous inondent d’images.
En vérité, le développement rapide du paysage de l’audiovisuel au Sénégal ces dernières années n’a pas été suivi par une réalisation conséquente d’initiatives visant à promouvoir notre histoire et notre culture par l’image à travers les opportunités énormes qu’offrent les moyens d’information et de communication de masse actuels. Cette situation de faible valorisation de notre patrimoine culturel est perceptible dans les contenus thématiques à des fins d’éducation, de sensibilisation et d’éveil puisés dans notre héritage historique.
Ce manque de réactivité, dans le sens souhaité, dans un contexte de mondialisation aux effets d’entraînement particulièrement difficiles à contenir et l’impact d’une réceptivité trop généreuse face aux influences extérieures, reposent plus que jamais la problématique de la sauvegarde des nos identités culturelles, dont l’acuité des mesures à prendre n’a d’égale que la nécessité de protéger notre patrimoine immatériel en le portant à la connaissance des jeunes générations. Pour notre part, l’alternative des opportunités de solutions à saisir réside dans l’exploitation judicieuse de nos richesses culturelles par l’image, qui demeure aujourd’hui l’une des formes de diffusion les plus puissantes et les plus attractives de l’information et du savoir.
A la lumière de ce qui précède, l’Observatoire pour la valorisation du patrimoine culturel du Sénégal se propose d’apporter sa contribution à la sauvegarde de notre héritage culturel par le développement de la recherche historique, la fixation par l’image, pour la postérité, des figures emblématiques du monde de la culture, la valorisation par la vulgarisation de leurs œuvres, dans leurs expressions les plus diversifiées et l’accompagnement des artistes qui s’investissent dans le secteur.
On ne peut nier l’existence d’un ensemble d’éléments relevant de notre culture auxquels nous nous identifions à chaque fois que la force irrésistible d’affirmer notre personnalité, à travers des formes d’expression par lesquelles nous nous épanouissons le mieux, nous impose un réflexe de repli dans ce passé dont nous sommes naturellement fort redevables. Ces moments d’immersion dans ce que nous sommes et de communion avec nous-mêmes sont aussi souvent l’œuvre de ceux communément appelés «communicateurs traditionnels» qui, dans leurs aires culturelles respectives lorsque des tribunes d’expression leur sont offertes, tentent de raviver à leur manière le cordon ombilical, menacé de dessiccation, reliant un présent aux sollicitations débordantes et un passé désespérément fuyant.
Sans préjuger de l’intérêt et de la portée de ces instants de recueil de serments de fidélité et d’attachement à nos références culturelles, force est de reconnaître qu’un processus de déperdition et de détournement de ces valeurs est en train de s’installer soit par ignorance soit par prédilection pour les produits étrangers. L’un dans l’autre, les conséquences restent identiques, à savoir, la disparition à terme de notre patrimoine culturel au fur et à mesure que ceux qui en constituent les derniers remparts, auront disparu.
A la lumière de ce qui précède, la mission de sentinelle de l’Ovpcs se fonde sur notre devoir de réaction pour mériter les efforts de la lutte pour la réhabilitation des cultures noires de manière générale, menée par plusieurs générations d’hommes et de femmes dans des contextes qui ont correspondu aux enjeux majeurs de leur existence. La seconde raison relève tout simplement d’une évidente et impérieuse nécessité de rester nous-mêmes par ce que nous sommes si nous voulons que nos identités, irréductibles à celles des autres, continuent à nous éclairer et nous aider à mieux préparer les générations futures à affronter les défis de leur vie. En la différence de nos anciens, de nos premières élites intellectuelles et de tous ceux qui se sont sacrifiés pour sauver ce qui aurait pu disparaître dans un contexte de domination étrangère, à force d’être pris à partie à des périodes où leurs capacités de réaction étaient presque réduites à néant, c’est que la bataille que nous avons à livrer à notre tour n’a d’adversaires que nous-mêmes par notre insouciance et notre désinvolture face à des choses sérieuses, nos tentations et notre faiblesse pour tout ce qui vient d’ailleurs.
Dans le cadre de ses activités à court terme, l’Ovpcs compte réaliser, entre autres, des documentaires et des œuvres cinématographiques sur des sujets à orientation culturelle. De ce point de vue, nous envisageons de porter à l’écran la vie et l’œuvre du poète chanteur Samba Diop (1912-1991), véritable icône dans le genre musical pulaar dénommé leele. En nous intéressant à ce célèbre chanteur traditionnel, nous voulons rappeler à la vie, par la magie de l’image et de la parole, le chef-d’œuvre de cet illustre artiste dont les souvenirs encore vivaces dans notre mémoire collective, méritent que l’on en reconstitue les moments les plus épiques.
La réaction prompte et diligente du président de la République du Sénégal pour accompagner le projet, conforte notre conviction sur les bonnes dispositions de l’Etat à occuper les avant-postes du combat pour la sauvegarde et la valorisation de notre patrimoine culturel. En vérité, de par sa nature, ce formidable challenge a la particularité d’interpeller tous nos compatriotes sur le devoir de résistance et de réaction pour sauver ce que nous revendiquons, consciemment ou inconsciemment, à chaque fois que nous nous sentons perdus dans le dédale d’une «culture monde» sans repères. Par ces mots, nous tenons à remercier le chef de l’Etat et lui exprimons notre gratitude et notre profonde reconnaissance.
Ousmane NGUEME
Président de l’Observatoire pour la valorisation du patrimoine culturel du Sénégal