Les jeux de paris sportifs ne cessent d’électriser la jeunesse. La prolifération des salles de jeux et la montée fulgurante des plateformes en ligne ont occasionné l’adhésion en masse d’une bonne partie des jeunes. La ferveur provoquée par ces jeux de hasard devenus plus accessibles avec la digitalisation, vicie l’école. De plus en plus, les élèves adhèrent à ce fléau qui impacte négativement leurs études. Les acteurs de l’éducation et de la société civile qui cherchent aujourd’hui les voies et moyens de stopper le fléau, pointent du doigt la responsabilité de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) et de l’Etat qu’ils invitent à règlementer le secteur.
Les jeux de hasard sont autorisés au Sénégal depuis 1966 par la loi n°66-58 du 30 juin 1966 portant organisation et règlement des établissements de jeu. Aujourd’hui, ce n’est plus la roue qui tourne pour laisser tomber lentement les boules. On constate plutôt une montée en puissance de ces jeux de hasard surtout les paris sportifs devenus plus accessibles. L’arrivée de plateformes en ligne s’ajoute aux kiosques de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) qui poussent comme des champignons à travers les rues de Dakar.
Ndèye Sène, une caissière de 36 ans, est aux avant-postes pour observer combien les paris sportifs gagnent du terrain au Sénégal. Sa salle de jeux, sise à Dalifort, est le lieu de rendez-vous des parieurs du coin, tous âges confondus. Adultes comme mineurs s’y adonnent à ces jeux de hasard. «Chaque jour j’ai l’impression que les parieurs deviennent de plus en plus nombreux», souligne-t-elle. En moyenne, elle reçoit une centaine de parieurs par jour. Le résultat de cette facilité d’accès a fini par exposer bon nombre de jeunes à l’addiction. Les mineurs qui défilent dans sa boutique constituent une bonne partiede la clientèle, environ une vingtaine. Vingt sur cent, cela fait un quart de jeunes qui sont en plein dans l’infraction.
«J’aimerais pouvoir arrêter (de jouer), mais… »
Aujourd’hui, même si des statistiques officielles sur le nombre de jeunes joueurs manquent, beaucoup d’élèves consacrent la majeure partie de leur temps à cette activité à laquelle ils deviennent dépendants. Le jour où on est passé dans sa salle de jeu, 6 joueurs accrochés aux manettes affirmaient ne pas avoir atteint l’âge de parier. Des élèves parieurs qui voient souvent leurs performances scolaires chuter, certains finissant même par abandonner les études au profit de la quête de l’argent facile. Pourtant selon les textes de la Lonase, il est interdit aux «moins 18 ans» de participer aux jeux de hasard, notamment à travers le décret n°2018-489 du 26 février 2018 disposant que «seules les personnes majeures sont admises à participer aux jeux de hasard, de loteries, de pronostics et assimilés exploités par la Lonase». Mais cela semble n’être que de la théorie. Dans la pratique, en matière de paris, les plus jeunes dament le pion aux adultes. Cette massification effrénée des parieurs a permis à la société publique d’enregistrer, au terme de l’exercice 2022, un chiffre d’affaires record de 266 milliards 84 millions 511 823 F sur un objectif de 250 milliards. Soit un dépassement de plus de 16 milliards. Contre 50 milliards de francs Cfa misés dont 40 milliards reversés aux gagnants en 2021, soit 10 milliards de bénéfices.
Vendredi 10 novembre 2023, au quartier Cité-Avion de Ouakam. Talla et ses amis sont en pleine discussion sous l’ombre d’un bâtiment. Scotché à l’écran de son téléphone, le jeune homme consulte le programme des matchs du jour. Elève en classe de Première L, il s’adonne au pari-foot depuis un an. Même s’il est conscient que c’est une pratique qui peut négativement affecter ses résultats scolaires du fait qu’elle le prive du temps de révision nécessaire et le «déconcentre parfois» durant les cours, il n’envisage pas d’arrêter de sitôt. «J’aimerais pouvoir arrêter (de jouer), mais pour dire vrai, ça fait partie maintenant de mon quotidien. Non seulement je prends plaisir à le faire, mais cela me permet de gagner de l’argent. Et ces petites sommes que je gagne parfois peuvent servirà acheter des chaussures, des habits ou encore un bon téléphone».
«Mes parents me soutiennent (financièrement)»
Talla n’est pas le seul élève parieur dans son groupe. Tous, quasiment, se consacrent à la pratique qui ne cesse de monter en puissance. Le Bet (parier en anglais) n’a été introduit au Sénégal qu’en 2018, selon un article du journal Le Monde. Aujourd’hui, le nombre exact de parieurs n’est pas connu. Cependant, 1Xbet qui ne faisait même pas partie en 2020 du top 20 des sites les plus visités au Sénégal se situe aujourd’hui à la 8e place en 2021, selon le classement d’Alexa. Le classement Alexa est un système de classement mondial (et une filiale d’Amazon.com) qui utilise les données de trafic web pour lister les sites les plus populaires. Il classe littéralement des millions de sites par ordre de popularité. Plus votre classement Alexa est bas, plus votre site est populaire. Ce qui montre combien les paris en ligne mobilisent une grande partie de la jeunesse. Moussa, 18 ans, camarade de classe de Talla, a commencé à jouer depuis le collège. Mais à l’en croire, ce n’est pas pour gagner de l’argent. «Mes parents me soutiennent (financièrement). Je joue juste par passion. Je suis un grand fan de foot», lance-t-il, sourire aux lèvres.
A Dalifort, certains jeunes sont aussi pris par la fièvre des paris sportifs. Abdou Ndiaye en fait partie. Assis juste à l’entrée d’une salle de jeu, le jeune homme élancé et frêle est concentré sur son téléphone. Ses amis sont à l’intérieur de la salle. «J’aime le foot. En regardant les matchs, je voyais des publicités sur les paris sportifs, je me suis dit pourquoi ne pas essayer. Au début, je jouais dans les points de vente de la Lonase. C’est ainsi que j’ai pris goût au jeu. Maintenant j’utilise les applications de pari. C’est plus rapide et plus facile», déclare l’élève de Terminale. Pour ces élèves qui n’ont pas l’expérience de la gestion pécuniaire, les problèmes financiers sont fréquents. En plus des pertes récurrentes, ils empruntent de l’argent pour miser. «Je demande souvent à mes amis ou à certaines connaissances de me prêter 500 F ou 1 000 F afin de pouvoir jouer. Dès que j’ai une petite monnaie, je pense au jeu. L’argent que mes parents me donnent pour l’école, je l’utilise pour parier. Je n’arrive pas à m’en passer. Ce qui m’intéresse c’est de miser afin de gagner. C’est la perte qui constitue le véritable problème. On ne veut pas rester sur un échec ; c’est ce qui nous pousse à jouer encore et encore», relate Abdou Ndiaye. Une spirale entretenue par le fait que lui et ses camarades jouent en ligne. Ils peuvent donc jouer à toute heure, ce qui n’est pas le cas avec les kiosques.
Il échoue à deux reprises au Bac à cause du jeu
Alioune Kane est tombé dans ce labyrinthe. Ce garçon de 22 ans au teint clair, rencontré à Dieuppeul Derklé, est un nouveau bachelier qui vit une expérience «compliquée» avec les paris sportifs. Avec ses amis du lycée, Alioune jouait aux paris sportifs pour le «fun». Mais, au fil des semaines, le jeu est devenu une obsession pour lui. Son temps était pris par les paris et sa concentration sur les études a baissé. Alioune jouait constamment afin de se refaire, mais les nombreuses pertes ont fini par saper sa motivation. «C’est ainsi que j’ai perdu le fil. Je ne dirais pas que c’est à cause des paris que je n’ai pas réussi mon Bac, mais ça fait partie des causes. Parce que même en classe je pensais trop aux paris. J’ai obtenu mon Bac cette année après deux tentatives. Je suis orienté à l’Université Cheikh Anta Diop. Je me demande comment je vais faire pour me concentrer sur mes études universitaires, qui sont exigeantes», confie Alioune Kane. Une inquiétude renforcée par le fait que ce dernier a pris conscience de son addiction. Mais, son attirance pour les paris reste intacte. «Je n’ai jamais fait de test ou consulté un spécialiste. Cependant, le fait que cela me prend souvent toute la journée, montre clairement que je suis devenu accro. Ça me pose vraiment un problème, c’est une question assez taboue et je ne pense pas que je vais en parler autour de moi», se désole-t-il.

L’addiction aux jeux de hasard en ligne est en train de faire des ravages au sein des parieurs. Dans un entretien accordé au quotidien national Le Soleil, l’addictologue Idrissa Ba a expliqué que «des études effectuées en 2018 puis reproduites en 2019 montrent que plus de 95 % des parieurs de la Lonase sont des joueurs problématiques ; 50 % d’entre eux sont des joueurs excessifs qui souffrent de problèmes de santé mentale».
Si les jeux sportifs qui gagnent de plus en plus de terrain au sein de la jeunesse sénégalaise hantent le sommeil des parents, c’est parce que surtout, ces derniers trouvent qu’ils «contribuent grandement» à l’échec de beaucoup d’élèves aujourd’hui. Tidiane Ly du quartier montagne de Ouakam fait partie de ces parents d’élèves qui alertent sur les conséquences dangereuses de la nouvelle «drogue» sur les résultats scolaires. Son fils qui reprend la classe de terminale cette année, est un adepte des Xbet que M. Ly estime être à l’origine de l’échec de son fils au bac l’année dernière. «De son école primaire à ses débuts au lycée, en passant par le collège, il a toujours été bon. Sa moyenne générale était toujours comprise entre 12 et 14. Mais depuis qu’il a découvert les jeux de pari, par l’influence de ses camarades, il ne fait plus de bons résultats. L’année dernière, non seulement il a échoué au bac, mais s’est retrouvé avec un moyenne générale (les deux semestres confondus) de 10», révèle M. Ly qui invite l’Etat à prendre des mesures pour endiguer le fléau «en procédant à l’interdiction des applications de paris sportifs sur les Smartphones au Sénégal».
L’Etat et la Lonase au banc des accusés
Pour Abdoulaye Fané, président de l’Union nationale des associations de parents d’élèves et d’étudiants (Unapees), il existe aujourd’hui plusieurs facteurs qui impactent négativement la scolarité des enfants. «Après l’alcool et la cigarette électronique, il y a le phénomène des paris sportifs qui se font notamment en ligne. Le problème avec ce fléau, c’est que la majorité des parents n’en sait pas grand-chose, et c’est très difficile à contrôler, d’autant plus qu’aujourd’hui ces jeux se font avec des applications mobiles», déclare Abdoulaye Fané. Le président de l’Unapees dénonce une «inaction de l’Etat du Sénégal» face à cette menace sur l’école. «Même si on interdisait les téléphones portables dans les établissements scolaires, les élèves continueraient à jouer une fois chez eux. La première responsabilité incombe à l’Etat qui a laissé faire. Ce que nous, Unapees, pouvons faire à notre niveau, c’est de porter l’alerte. Et nous sommes en train de le faire à travers les réseaux sociaux», souligne-t-il.
M. Fané regrette le fait que, malgré toutes les alertes que la structure qu’il dirige a lancées sur le danger des jeux de «Pari foot» et les produits qui infectent le milieu scolaire, la situation ne s’améliore guère. Le président de l’une des plus grandes représentations d’élèves et étudiants fustige également l’attitude de certains parents qui influencent leurs enfants. «Tout ce que le petit maure fait, il l’a appris sous la tente, dit l’adage. Il serait difficile, pour le parent qui s’adonne à ces jeux d’empêcher son fils de le faire. Donc, c’est aussi aux parents de faire preuve de responsabilité et d’exemplarité», conseille-t-il.
Serigne Faye est notable au quartier Darou Salam de Pikine. Ce père de famille est très impliqué dans les activités du quartier. Il prend le thé avec ses amis en ce début d’après-midi du samedi 25 novembre. Serigne, assis, le regard fixé sur la salle de jeu en face, constate avec désolation l’affluence des jeunes vers ce lieu de jeu. «Les paris sportifs ou les jeux de hasard globalement, ce n’est pas mon truc. Je n’y touche pas. Chaque jour que Dieu fait, j’essaie de tout faire pour que mes enfants ne s’en approchent pas. Vous avez vu, la salle de jeu est juste à côté de ma maison, pour moi donc c’est un véritable combat», balance Serigne Faye. Il s’efforce sans relâche à dissuader les jeunes de jouer, en les alertant sur les risques de la pratique. Un rôle de contrôle difficile à assurer. Pour lui, si un enfant vient pour jouer aux paris sportifs, c’est que quelque part ses parents n’ont pas joué leur part. «Pour certains gosses je peux me permettre de leur parler pour les convaincre à arrêter de jouer, parce que j’ai des liens avec eux. Mais pour d’autres je n’ai aucun pouvoir sur eux. J’essaie de parler avec le gérant de la salle mais lui il n’est préoccupé que par le bénéfice», soutient Serigne.
La société civile inquiète
L’ampleur des paris sportifs inquiète, également, les acteurs de la société civile. Pour bon nombre de ces derniers, l’école sénégalaise est en train de subir les conséquences. A en croire Silèye Gorbal Sy, président de la Coalition nationale «Education pour tous», les jeux de pari constitueraient un motif d’abandon scolaire. «Le goût de l’argent facile et les frustrations entrainées par les pertes poussent les élèves parieurs à ne plus se concentrer sur les études. Ils deviennent pensifs durant les cours et parfois trouvent des prétextes pour sécher les cours», explique-t-il. Avis partagé par son collègue de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep). Cheikh Mbow considère que le danger est d’autant plus grand que le numérique et la digitalisation sont en constante progression dans la société. «L’accès à ces plateformes devient plus facile et le contrôle parental quasi impossible», dit-il. Une absence de contrôle marquée par le fait que le Sénégal ne dispose pas d’un organisme chargé de la surveillance des jeux en ligne. S’inscrire sur les applications de pari est devenu facile. Les bookmakers ne sont pas regardants sur l’identité du joueur. Il suffit de renseigner votre numéro de téléphone, votre nom et le tour est joué. Ce manque de surveillance se note aussi dans les salles de jeu.

Manque de structures de contrôle des jeux
Vendredi 17 novembre, le marché de Dalifort est animé. Le bruit des haut-parleurs des marchands se mêle aux klaxons des voitures. A l’entrée de ce lieu de commerce se trouve une salle de jeu qui ne passe pas inaperçue. Un vigile est assis devant la porte. A l’intérieur les parieurs composent leurs tickets en se basant sur les fiches collées sur les murs de la salle. Le sol est jonché de petits papiers jetés par les parieurs. Jusqu’ici, rien d’anormal. Mais c’est la présence d’Assane Guèye qui interpelle. Ce jeune de 17 ans affirme être un habitué des lieux. Il fait ses combinaisons sous le regard indifférent des gérants et du gardien. Une situation qui résulte du manque de structures de contrôle des jeux de hasard. Dans certains pays, les décideurs publics ont pris des mesures pour encadrer la pratique. En France, par exemple, l’Autorité nationale des jeux (Anj), créée en 2020, se charge de l’agrément des opérateurs. Ce qui lui permet de s’assurer que ces derniers suivent les règles établies. Elle assure aussi la protection des mineurs. Dans ce sens, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, équivalent de notre Cnra) veille à ce que les sites de jeux d’argent, interdits aux mineurs, vérifient bien l’âge de leurs utilisateurs.
Selon M. Mbow, outre les conséquences qu’ils engendrent sur le plan psychologique et social, les jeux de hasard peuvent être sources de déperdition scolaire de par un apprentissage insuffisant ou un décrochage prématuré. C’est le cas de Yancouba Cissé. Agé de 25 ans, le résident de Grand-Dakar travaille dans un magasin de produits électroniques. En attendant l’arrivée des clients, Yancouba tue le temps en regardant des vidéos sur les réseaux sociaux. Le jeune homme a subi les conséquences de son attirance pour les paris sportifs. «J’ai abandonné les études. Je n’étais pas très brillant à l’école mais je faisais de mon mieux pour réussir. J’ai stoppé mes études en classe de terminale», affirme-t-il. En effet, en classe de seconde, Yancouba Cissé a commencé à jouer aux paris sportifs. Chaque jour, aux heures de pause ou à la descente, il faisait un tour dans les kiosques pour parier. C’est ainsi qu’il a commencé à perdre petit à petit la concentration sur les études. «Avec les pertes qui s’accumulaient, j’avais envie de jouer afin de me rattraper. De ce fait je suis entré dans une boucle. J’ai commencé à demander de l’argent aux gens. C’est en ce moment que j’ai eu mes premières dettes. Avec le portable, j’ai basculé vers les applications en ligne. C’est là que j’ai perdu beaucoup plus d’argent. J’étais triste et stressé tout le temps à cause des pertes mais j’avais toujours cette envie de jouer. Après mon deuxième échec au Bac en 2021, j’ai décidé d’arrêter les études», relate Yancouba, l’air triste. Il a pris connaissance de la question de l’addiction plus tard, mais ne compte pas consulter un spécialiste. Il continue toujours de jouer aux paris sportifs.
Conséquences sur l’éducation et la formation
Le responsable de la Cosydep pointe du doigt la responsabilité des pouvoirs publics dans l’expansion du phénomène. A son avis, l’Etat devrait évaluer les répercussions potentielles des offres de jeux de hasard, de manière générale sur les jeunes et les élèves avant de les adopter, afin de réduire au minimum les dommages causés par de telles initiatives. M. Mbow estime que les conséquences des jeux de pari sur l’éducation et la formation des enfants sont incalculables, et que l’Etat ne devrait pas prioriser le profit. En effet, pour certains de ces jeunes, les paris sportifs sont devenus une drogue. Beaucoup ignorent le phénomène. Les rares qui vont voir un spécialiste ont déjà accumulé de nombreuses années de pratique pathologique dont ils ne parviennent pas à se défaire. Et, trouver un addictologue est souvent un véritable parcours du combattant. L’accompagnement pose problème.
La Lonase, sur son site internet, affirme disposer de spécialistes pour accompagner les joueurs addicts. Mais, le système ne fonctionne pas. «C’est juste une couverture pour donner l’apparence de prendre en considération la question», selon Idrissa Ba, addictologue au Centre de prise en charge intégré des addictions à Dakar (Cepiad). Contactée à plusieurs reprises, la Loterie nationale sénégalaise n’a pas donné suite à nos sollicitations d’interview. Le directeur exécutif et administratif de la Cosydep soutient dès lors, qu’il est nécessaire de disposer d’une gouvernance rigoureuse du secteur des jeux d’argent et de hasard. Il invite l’Etat à œuvrer pour un cadre normatif qui prend en compte les intérêts des élèves et un dispositif de régulation quotidienne. Pour lui, ce dispositif doit s’appuyer sur des moyens appropriés, pour permettre de recevoir des alertes, de limiter la publicité et de sanctionner sévèrement les fautes conformément aux lois en vigueur.
Pour bon nombre de ceux qui s’offusquent de la situation des paris sportifs au Sénégal, l’anarchie qui règne dans le secteur est à l’origine de tous les maux. En 2016, les salles de jeux qui poussent comme des champignons à Dakar, notamment dans la banlieue, avaient poussé l’Ong Jamra à alerter le préfet de Pikine afin que des mesures soient prises. «Nous avions interpellé Pape Demba Diallo, le préfet de Pikine sur la situation, en lui donnant des localisations précises où des salles de jeux de hasard étaient implantées à proximité de certains établissements scolaires: Yeumbeul Nord, Yeumbeul Sud, Djidah Thiaroye Kaw, Wakhinane Nimzat», raconte Mame Makhtar Guèye de l’Ong Jamra. «Le préfet avait fait une descente musclée à 2h du matin dans les endroits indiqués. Il avait visité une vingtaine de salles de jeux et de bars clandestins», ajoute-t-il. Cet «exploit» du préfet de Pikine avait conforté Jamra dans sa posture. Cependant, selon le président de ladite structure, la Lonase, consciente que l’Ong lui «mène la guerre, s’est érigée en donneur de mauvais exemple en mettant en place le projet pernicieux» des plateformes de jeux en ligne qui lui ont permis de gonfler son chiffre d’affaires de 16 milliards en 2022, ce que déplore M. Guèye. «La Lonase se vante de l’augmentation de son chiffre d’affaires. Ce qui est immoral. Parce qu’en amassant ces milliards, elle tue des jeunes, détruit des familles et déstabilise des ménages», souligne-t-il.
Les lanceurs d’alerte montent au créneau
L’ampleur prise par le fléau des paris sportifs n’inquiète pas seulement les acteurs de l’école. Cette situation préoccupe aussi les activistes qui, à travers les réseaux sociaux, élèvent la voix. Il s’agit, d’une part, de sensibiliser les parieurs sur les dangers et, d’autre part, inviter les autorités à prendre leur responsabilité pour une meilleure sécurisation du secteur. Pour rendre leur voix plus audible, un mouvement dénommé «Non aux paris sportifs» a été lancé au mois de novembre 2023. Selon l’initiateur dudit mouvement, la mise en place de cette structure vise une sensibilisation plus efficace. «Cela fait très longtemps que j’alerte à travers X (ex-Twitter) sur les ravages que sont en train de faire les paris sportifs, notamment les paris foot. Mais pour être plus pragmatiques, nous avons jugé nécessaire de mettre en place ce mouvement. Parce que nous avons noté que, de plus en plus, des influenceurs font la publicité de ces jeux à travers Facebook, Twitter, Instagram ou Tik Tok, tout en faisant des méfaits», a déclaré Seydina.
Des publicités racoleuses
En effet, ces annonceurs mettent en avant l’idée que les paris sportifs mènent vers la réussite sociale. Avec ces publicités racoleuses, les sites rivalisent d’imagination pour attirer les plus jeunes.
Pour prendre le contrepied des influenceurs des paris sportifs, «Non aux paris sportifs» compte ne plus limiter son action sur les réseaux sociaux. Le mouvement envisage de confectionner des affiches qui seront placardées au niveau des devantures des écoles et des universités, mais aussi des flyers et des prospectus qui vont être distribués pour sensibiliser les élèves et les étudiants sur les risques des jeux de hasard.
Seydina n’est pas seul dans le combat contre les paris sportifs. Bilo, très actif sur X (anciennement twitter), tente aussi de sensibiliser autant qu’il peut sur le danger que représente le phénomène de ces jeux de hasard. «Je fais des posts pour dire ce que je pense de la situation, dénoncer les dérives de ce fléau et sensibiliser sur ses conséquences», a-t-il expliqué. Il estime que si la situation a atteint son niveau actuel, c’est parce que les concepteurs de jeux ne mettent pas une sécurité maximale pour empêcher les plus jeunes, souvent influencés par l’environnement social, de jouer. Mais aussi et surtout selon l’internaute, parce que l’Etat n’a pas mis en place un dispositif pour veiller efficacement au contrôle de l’âge des joueurs.
Deux stars de l’arène sénégalaise en appoint
Les internautes qui alertent sur le fléau des paris fustigent l’attitude de certaines personnalités ou des influenceurs qui font la promotion des jeux de paris, tout en étant conscients des conséquences que ces jeux peuvent avoir sur la jeunesse, scolaire notamment. «Ce qui est regrettable, c’est le fait que des personnalités publiques font la promotion de cette chose, sachant qu’elles sont bien suivies par les jeunes qui les prennent pour exemples», déplore Bilo. En décembre 2022, Jamra s’était déjà attaquée à l’artiste chanteur, Pape Diouf et aux lutteurs Bombardier et Siteu qui faisaient la publicité de 1Xbet en arborant un T-shirt floqué du nom de la société de pari. Le président de l’Ong, en l’occurrence Mame Makhtar Guèye avait, par le biais d’une vidéo, appelé publiquement le leader de «Génération consciente» ainsi que les deux stars de l’arène sénégalaise à s’inspirer de Khalil Guèye, du nom de ce journaliste-animateur de la Radio télévision sénégalaise (Rts), qui avait refusé, dans les années 90, une offre très alléchante d’argent et une voiture qui lui avait été faite par une société de fabrique de tabac pour ne pas influencer les jeunes. Contacté, l’ancien présentateur de «Boulevard en musique» confirme avoir effectivement décliné ladite offre.
Si l’Etat du Sénégal tarde à entendre l’appel de la société civile qui l’invite à règlementer le milieu des paris sportifs, certains pays comme la Côte-d’Ivoire, où l’anarchie dans l’environnement des paris a commencé à prendre des proportions inquiétantes, ont pris des mesures allant dans le sens de réglementer le secteur.
La Lonase en mode «silencieux»

Nous avons essayé de rencontrer la direction de la Lonase afin de recueillir son avis sur la question et répondre à certaines accusations, en vain. Nous avons contacté le Directeur général qui nous a promis de nous mettre en rapport avec la cellule juridique de l’institution. Ce qui n’a pas été fait, malgré notre insistance. Nous nous sommes ensuite rendus au siège de la Lonase le 1er décembre 2023 pour nous entretenir avec la cellule de communication. Malheureusement, celle-ci n’a pas souhaité nous rencontrer.
Réalisé par Rémi Modou SOUSSO & Babacar NGOM