Activité jadis génératrice de revenus et pourvoyeuse d’emplois, la pêche meurt de sa belle mort, dans le département de Mbour, depuis quelques années. Ceci du fait de la raréfaction des ressources et de la crise que traverse le secteur d’une manière globale.
En cette matinée, les premières pirogues parties en mer affluent sur le quai de débarquement de Mbour. Des centaines de pirogues sont arrimées et les prises sont débarquées. Il faut s’armer de courage pour parvenir à se faufiler dans cette foule hétéroclite où pêcheurs, mareyeurs, revendeurs de poisson, marchands de sachets en plastique, clients et autres acteurs qui vivent en marge de cette activité se bousculent.
C’est à croire d’ailleurs que c’est tout un maillon qui vit de la pêche. Le travail, telle dans une fabrique moderne, se fait à la chaine. Et chacun joue son rôle comme cela se doit.
‘’Dans ces lieux, il y a ceux qui vont en mer, ceux qui débarquent les prises et ceux qui se chargent de leur écoulement’’, confie, d’emblée, Abdoulaye Dione. Selon ce pêcheur, bon nombre de jeunes vivent des activités de la pêche. ‘’Cent personnes peuvent travailler sur une seule pirogue. Une pirogue, c’est un projet qui engage plusieurs personnes. Cela ne veut pas dire que tout le monde part en mer. Cinquante et plus peuvent aller en mer. Quand ils accostent, il y a une dizaine de personnes qui débarquent le poisson. Outre ces derniers, il y a aussi des porteurs et les vendeurs. C’est donc un travail à la chaine. C’est une société qui apporte beaucoup à l’Etat. Donc, il devrait nous soutenir plus, puisque nous participons à résorber le taux de chômage dans ce pays’’, déclare Abdoulaye Dione.
Sur ces entrefaites, un groupe de pêcheurs se rue vers une pirogue qui vient d’accoster. Dans un rythme régulier, les pirogues accostent à intervalle d’une trentaine de minutes. Tout autour, ça cafouille, ça marchande de temps à autre. Mais cette interaction cache mal une crise profonde qui mine le secteur depuis quelques années.
‘’La pêche d’avant était plus facile et plus simple qu’aujourd’hui. Auparavant, avoir du poisson n’était pas si difficile. Quelques décennies en arrière, la ressource était florissante, nos côtes étaient poissonneuses. La mer n’était pas gâtée, ni surexploitée. Mais maintenant, il faut faire le parcours du combattant pour avoir du poisson. On pouvait avoir beaucoup de prises et vendre moins. Aujourd’hui, la donne a changé. On a moins de poisson et on vend plus cher’’, déclare Moussa Touré, un jeune pêcheur originaire du Boundou.
Bien que rudimentaire, la pêche artisanale d’avant était plus florissante et garantissait la préservation de la ressource. Avec les matériaux utilisés à présent, le poisson se fait de plus en plus rare, parce que surexploitée. ‘’Les filets en caoutchouc qu’utilisent la plupart des pêcheurs ne participent pas à préserver la ressource. Ils détruisent même l’écosystème, parfois. On pêche même les petits poissons et on ne laisse pas le temps à la ressource de se reproduire. C’est cela qui fait que le secteur est aujourd’hui dans une profonde crise’’, soutient Moussa Touré. ‘’Il y a quelques années, nos prises étaient dix fois plus importantes qu’aujourd’hui. Maintenant, elles le sont de moins en moins. Tout le monde est maintenant dans le secteur. L’activité n’est plus l’apanage des pêcheurs. Toutes les couches de la société s’investissent maintenant dans le secteur. Ce qui a occasionné une certaine désorganisation’’, affirme Abdoulaye Dione.
Le ver, selon lui, est dans les comportements et dans le matériel utilisé. ‘’Auparavant, on ne mettait que cinq à dix hameçons sur le fil. Maintenant, on utilise un gros filet au bout duquel on appose une centaine d’hameçons. Dès qu’on le jette en mer, deux heures après, on a une grosse prise. Ce fil n’est pas destiné à faire des filets pour pêcher, mais juste à accrocher l’hameçon. Si on le perd en mer, il continue à ferrer des poissons et à faire des prises qui finissent par pourrir. Quand ça pourrit, l’odeur indispose les poissons qui se déplacent. Car le poisson n’aime pas la mauvaise odeur. Et les filets qui jonchent le fond de la mer sont nombreux. Cela n’existait pas auparavant. C’est la raison pour laquelle le poisson n’est plus facile à trouver dans nos eaux’’, décrie Abdoulaye Dione.
En plus des difficultés auxquelles elle fait face, la pêche artisanale, dans le département de Mbour, doit également faire face à la concurrence imposée par les chalutiers. Ces derniers utilisent des outils sophistiqués qui ne laissent aucune chance aux pêcheurs artisanaux qui se contentent de miettes parfois. ‘’Leur manière de pêcher n’est pas bonne. Ils ont un armement qui peut écraser de grosses pierres. C’est un panneau en fer renforcé par un triangle, dès qu’il écrase la roche, les poissons quittent leurs nids pour se sauver. Et ils sont tous capturés par les filets. Nous n’avons pas ces moyens et ça nous pénalise’’, déplore-t-il. Il poursuit : ‘’Les ressources diminuent avec l’avènement de la pêche industrielle. Les ressources étant surexploitées, le niveau de prise étant supérieur à la capacité de reconstitution. Certaines espèces n’arrivent pas à se reproduire.’’
Modernisation des pirogues
Face aux chalutiers, la bataille est perdue d’avance, pour les pêcheurs artisanaux, si jamais on ne limite pas la délivrance des permis de pêche aux bateaux étrangers. Mais aussi et surtout, s’il n’y a pas une modernisation du secteur. ‘’Nous en sommes conscients. Nous savons pertinemment qu’il nous faut impérativement aller vers la modernisation du secteur ou disparaitre tout simplement. Mais les moyens font défauts. Déjà, nous rencontrons beaucoup de difficultés avec nos pirogues. Malgré leur petite taille, il y a beaucoup de dépenses derrière. Ce n’est pas facile alors de trouver un chalutier. C’est impensable, nous n’avons pas ces moyens. Aussi, nous ne pouvons pas travailler avec une autre matière que le bois. Il fut un temps où certains pêcheurs avaient commencé à utiliser des pirogues faites à base de caoutchouc. Mais l’efficacité des pirogues en bois n’est pas pareille. Même les pirogues en fibre de verre ne peuvent pas nous donner satisfaction’’, explique Abdoulaye Dione.
Pour sa part, Ndiaga Diop indexe la signature des accords de pêche qui ne participent pas, selon lui, à préserver la ressource. ‘’Le gouvernement devrait permettre aux pêcheurs d’assister aux signatures des accords de pêche. Cela nous permettrait de donner notre avis là-dessus’’, soutient le pêcheur originaire de Kafountine.
Selon lui, l’autre problème rencontré dans le secteur est la mauvaise qualité des machines subventionnées. ‘’La matière est de mauvaise qualité. On achète un moteur à 3 600 000 F Cfa. Après neuf à dix mois, il se gâte. Il est temps qu’on en parle. Nous déplorons la qualité des moteurs et le monopole donné à la Cfao qui a une mainmise sur les moteurs de marque Yamaha. C’est cher et c’est de très mauvaise qualité’’, fulmine-t-il. Avant d’ajouter : ‘’La pêche ne nourrit plus son homme, au Sénégal. Tout le monde le sait. Mais le gouvernement continue toujours de signer des licences avec des bateaux étrangers qui pillent nos ressources. C’est incompréhensible. Nous allons vers la privatisation de notre domaine de prédilection, avec la découverte du gaz et du pétrole. Des périmètres entiers sont tracés, alors que la mer constitue notre seul source de revenu, notre seul moyen pour nous de nourrir nos familles.’’
EnQuête