Le 16 mai, la chaîne américaine CNN diffusait un communiqué de Facebook sur une entreprise israélienne : Archimedes Group. Celle-ci a tenté d’influencer l’opinion publique lors des élections présidentielles à travers des faux profils et pages, y compris au Mali.
Les révélations sur les tentatives d’ingérence des puissances étrangères lors d’élections nationales à travers des campagnes sur les réseaux sociaux pour influer sur le choix des électeurs se sont multipliées ces derniers temps. La récente annonce de Facebook concernant la suspension de 265 de ses comptes, pages et groupes appartenant à l’entreprise israélienne Archimedes Groups n’est pas une surprise. Mais à notre connaissance, c’est la première fois que certains de ces comptes visaient les populations de l’Afrique de l’Ouest, notamment les Maliens.
Faux comptes, vraies audiences
Selon le laboratoire de recherche en expertise digitale Atlantic Council’s Digital Forensic Research Lab, qui a collaboré avec Facebook, plusieurs pages qui visaient les Maliens étaient principalement gérée depuis le Sénégal.
La page « Peuple du Mali » comptait le plus grand nombre de fans, d’autres pages «IBK mon président», « Le Mali dit oui à IBK » se déclaraient clairement en faveur du président sortant donné vainqueur du scrutin de Juillet-août 2018. D’autres pages nommées « l’Afrique Cachée » révélerait des secrets trop bien gardés, comme ici, ci-dessous, des prétendus actifs de la compagnie Airbus dans la mine d’or de Kodieran gérée par l’entreprise Wassoul’Or.
Une autre nommée « C’est faux — les fake news du Mali » assurerait un travail de vérification et débusquerait les fakes news ou infox qui pollueraient les réseaux sociaux maliens. Là encore, on peut largement douter de la rigueur du travail journalistique réalisé autour de ces publications. Qui aurait pu se douter que ces comptes n’étaient pas gérés par des Maliens ?
Influencer pour quoi faire ?
Toutes ces pages ont aujourd’hui donc disparu, mais vous avez sans doute vu leurs posts passer sur vos écrans de Smartphone, car le montant alloué à la propagation de ces informations a dépassé les 800 000 dollars au niveau mondial. Dès lors, une question se pose : pourquoi une entreprise israélienne soutiendrait-elle IBK ?
Ou bien, le clan d’IBK aurait-il lui-même fait appel aux services d’Archimedes Groups pour améliorer son image auprès des jeunes maliens sur les réseaux sociaux ? Nous posons la question à Mahamadou Camara, ancien ministre de l’Économie numérique et Porte-parole du candidat IBK lors du scrutin de 2018, qui devrait nous répondre.
Cela est peu probable, en tout cas si l’on se fie au manque d’efficacité de cette stratégie au regard du désengagement des jeunes maliens lors des dernières élections, et surtout le peu d’engagement qu’ont suscité ces posts selon Atlantic Council’s Digital Forensic Research Lab.
Benbere a contacté Kanishk Karan, chercheur associé à Digital Forensic Research Lab Atlantic Council. A la question de savoir si des candidats comme Ibrahim Boubacar Keïta ont payé pour s’offrir les services de l’entreprise israélienne, il répond : « Malheureusement, c’est une chose que nous n’avons pas pu trouver en utilisant des méthodes de rapportage open-source. Par conséquent, nous ne pouvons pas faire de commentaire à ce sujet. » Ce qui est sûr, à en croire le chercheur, c’est que jusqu’au 16 mai, le site web de la société Archimedes Group vendait ses services en affirmant qu’il avait joué « un rôle important dans de nombreuses campagnes politiques, parmi lesquelles les campagnes présidentielles et d’autres projets de médias sociaux dans le monde entier ». « Selon leur propre description, il semble qu’ils aient des clients internationaux. Leur campagne de soutien à la candidature de Buhari pourrait être l’un de leurs projets pour les élections nigérianes. », ajoute Kanishk Karan.
Croire au complot, c’est ne plus croire à rien
Ces pages, qui semblent révéler ce qui serait caché par les media officiels en promettant de débusquer le vrai du faux induisent en réalité en erreur leurs lecteurs, et montrent à quel point la consommation d’information sur internet est un exercice d’équilibriste. Faut-il être expert pour analyser la véracité d’une information ? L’éducation, la connaissance générale permettent au jeune internaute de se défendre contre cette volonté de désinformer. Cette auto-défense devrait être introduite dans nos programmes scolaires … lorsqu’ils sont dispensés.
Certes, les médias reconnus nationalement et internationalement commettent des erreurs. Mais, au moins, nous pouvons connaître ceux qui produisent ces informations, les localiser et alors les interpeller.
En revanche, ces pages créées par des agences internationales ont pour ambition de faire en sorte que le jeune malien imagine partout l’ombre du complot et ne croit plus en ce qui lui est présenté comme étant la réalité. Une jeunesse qui perd définitivement confiance en ce que nous pourrions qualifier grossièrement d’institutionnel, n’est-ce pas le plus grand des dangers ?
Benbere