CONTRIBUTION
Un front unitaire pour la sécurisation du scrutin du 24 février 2019 est en train de prendre forme. Cette initiative du président du mouvement citoyen «Senegal Bou Bess», mérite attention et soutien pour plusieurs raisons.
En 2012, les Sénégalais avaient décidé d’élire à la magistrature suprême un homme qui semblait donner des gages d’intégrité par son discours et par l’aura de martyre qu’il dégageait, tant il avait été laminé et malmené par le régime inique qui l’avait sécrété et formaté. Dans un élan de profonde sympathie, que seuls le dépit ou le dégoût profond peuvent engendrer, les Sénégalais confièrent les rênes du pays à cet homme, convaincus qu’il pouvait hâter une catharsis collective pour exorciser les ravages d’un règne de pourvoyeurs de prébendes qui a duré douze longues années.
En très peu de temps, Macky Sall se révéla sous ses vrais habits. Il s’accorda une rallonge de deux ans de son mandat ; il utilisa ses séides à l’Assemblée nationale pour forcer le passage de la loi sur le parrainage sans débat ; il réussit à faire lever l’immunité parlementaire d’un député malgré la décision de justice de la Cedeao ; il réussit à dévier et à river le regard des Sénégalais sur l’accessoire par un matraquage incessant servi par les moyens de communication de l’Etat et par des charlatans du verbe, pour la plupart ses pourfendeurs d’hier ; il réussit à instrumentaliser la loi en se réfugiant derrière un Conseil constitutionnel aux ordres ; il réussit surtout à imposer sa volonté et ses désirs à tout un peuple face à une opposition paralysée par la division, lui dont on disait que le parti n’était ni structuré ni majoritaire. La déception, dit-on, ne vient jamais des autres ; elle n’est que le reflet de nos erreurs de jugement. C’est ce désir de corriger notre erreur de jugement sur cet homme qui sous-tend la démarche et l’initiative de Mame Adama Guèye.
A quelques encablures de l’élection présidentielle, Macky Sall, désormais, convaincu de sa capacité à faire accepter aux Sénégalais tous ses plans et entourloupes, se prépare à organiser les élections selon les règles du jeu qu’il a fixées et qu’il n’est pas prêt à changer. A rappeler que Bby avait obtenu 1 637 761 sur 3 337 494 votants, soit 49,47 % lors des dernières législatives. Or le fichier est estimé aujourd’hui à 6 219 446 inscrits ! Que représente cette faible moisson électorale par rapport au nouveau fichier alimenté surtout par des primo-votants ? Macky et son clan savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas s’en sortir si les élections se passent de manière démocratique en amont comme en aval. C’est ce qui justifie leurs gesticulations pour endiguer la volonté populaire et embourber la démocratie dans les dédales de futilités institutionnelles comme le parrainage et les décisions de justice arbitraires.
Notre sentiment est qu’il doit rencontrer, cette fois-ci, une détermination tout aussi forte, sinon plus forte. Toutes les forces vives de notre pays doivent s’unir pour faire de 2019 un tournant décisif dans la manière de faire la politique au Sénégal. Les partis politiques, la société civile, la majorité silencieuse doivent faire front commun pour empêcher cet homme de continuer son entreprise d’infantilisation de notre démocratie.
A qui appartiennent ces milliers de cartes d’identité de la Cedeao qui sont stockées dans les mairies ? Où sont les pièces d’identité de ces milliers de jeunes qui viennent chaque jour dans les collectivités locales chercher leur sésame ? Comment expliquer que des jeunes déjà en âge de voter découvrent dans leurs pièces d’identité la mention «n’est pas inscrit sur les listes électorales» ? Qui et qu’est-ce qui nous garantit que ces millions de pièces en souffrance dans les collectivités locales ne seront pas volées, utilisées d’abord pour le parrainage et ensuite pour le vote ?
Seuls l’honneur et la dignité pourraient dissuader des politiciens de métier d’utiliser de tels subterfuges et ces funestes combinaisons pour se tirer d’affaire. Or les gens qui nous gouvernent, ont suffisamment prouvé qu’ils n’en sont point pourvus. Ces gens qui nous gouvernent, aiment le pouvoir plus que leur foi : ils ont créé une surenchère qui a coûté la vie à une quinzaine de personnes rien que pour accéder au pouvoir (la preuve ils ont fait pire que ce qu’ils prétendaient combattre). Nous ne devons donc pas être crédules au point de croire qu’ils hésiteraient à marcher encore sur des cadavres pour s’accrocher au pouvoir. Ils ont saboté en amont le processus électoral par une série de pénuries organisées et entretenues à dessein.
Sous ce rapport, la démarche et l’initiative de Mame Adama Guèye reflètent une lucidité et un patriotisme remarquables. La loi sur le parrainage a été déjà la plus grande imposture de l’histoire politique du Sénégal : un président de la République qui proclame solennellement qu’il veut trois millions de parrains alors que la loi fixe un minima de 0,8 % et un maxima de 1 % de l’électorat. Autrement dit, Macky Sall demande à ses partisans de violer la loi qu’il a fait voter à l’Assemblée nationale ! Ce président qui montre tous les jours qu’il ne sait pas pourquoi il a été élu, joue ainsi avec la loi sans aucune forme de pudeur.
L’appel de Mame Adama Guèye mérite non seulement d’être soutenu par tous les démocrates et patriotes de ce pays, mais encore il doit être vulgarisé pour que les citoyens sénégalais, les partis politiques et les partenaires de notre pays soient suffisamment informés des graves enjeux d’une élection qui se tiendrait sur la base d’un processus électoral aussi biaisé. Nous devons, et dans l’urgence, informer et communiquer sur l’impérieuse nécessité de mettre en place un dispositif de maillage du territoire pour superviser le déroulement du scrutin, le moment venu. Tout cela requiert une grande coordination et une mutualisation des ressources. Ceux qui sont dans la campagne de parrainage sont tous intrigués par deux faits : d’abord la présence abondante de l’argent dans les quartiers, les mosquées, les groupements féminins ; ensuite le nombre impressionnant de militants primo-votants qui sont déclarés non électeurs sur leur carte.
Il semble qu’une militante Apr a été condamnée à Mbour pour vol de cartes d’identité ! Et bien, elle est la seule voleuse au monde qui mérite vraiment des félicitations et des hommages. En fait, son acte est une forme de dénonciation des pratiques sournoises et des manquements du régime de Macky Sall. Comment un Etat qui se respecte peut-il être dans l’incapacité de délivrer à ses citoyens des pièces d’identité et se morfondre dans un état si lamentable d’amateurisme ? Cette militante de l’Apr a montré par son geste que, dans ce pays, l’Etat est désacralisé et asservi aux débauches les plus extravagantes des responsables et militants du parti. Comment pouvons-nous continuer à laisser ce spectacle indigne se dérouler dans notre pays sans rien faire ?
La démarche de Mame Adama Guèye est d’autant plus pertinente que l’homme est lucide, crédible et sans arrière-pensée politicienne. Quelqu’un d’autre aurait initié une telle démarche, et on lui aurait rappelé un passé réel ou imaginaire et certains l’auraient accusé d’être manipulé par un politicien pour le mettre en mauvaise posture. Mais les fanatiques de Macky Sall n’ont rien trouvé d’autre à lui opposer que son incapacité à réunir le nombre de parrains requis. Or une telle remarque est sans esprit : d’abord parce qu’il aurait accepté de jouer le jeu de l’achat des consciences, MAG aurait dépassé le nombre de parrains requis ; ensuite parce que si vraiment c’est par esprit vindicatif qu’il a initié cette démarche, la solution la plus simple, la moins onéreuse et la moins ingrate aurait été de soutenir un candidat contre Macky Sall. Nous pensons que MAG a fait preuve de dignité et de générosité en acceptant de déblayer un chemin qu’il est sûr de ne plus être celui devant le mener au pouvoir en 2019.
Le virulence des critiques des fanatiques de Macky Sall contre MAG s’explique par la conscience qu’ils ont que la voie tracée par ce dernier est la seule capable d’annihiler les velléités de fraude en amont et de confiscation mécanique du suffrage.
Alassane KITANE
Professeur de Philosophie
Falilou DIOUF
Auditeur-Conseil