Il est en finale du Mondial-2018 : Luka Modric peut se retourner sur la route empruntée pour y arriver, là où ne restent que les ruines calcinées d’une maison du village de Modrici, détruite durant la guerre d’indépendance de Croatie.
Située sur les pentes du massif de Velebit, qui surplombe l’Adriatique, c’était le gîte de son grand-père, un autre Luka Modric, tué par les forces serbes dans les premiers mois de ce conflit (1991-95) qui devait faire quelque 20.000 morts. Tout près, un panneau «Danger ! Mines !» rappelle ce passé. Alors âgé de six ans, Luka Modric fuit avec sa famille à 40 kilomètres, dans la ville côtière de Zadar. C’est là, dans le fracas des bombes qui s’abattent sur le petit port, que va éclore l’un des plus grands talents contemporains du football européen, qui deviendra capitaine de la Croatie. «J’avais entendu parler d’un petit garçon hyperactif qui, dans un couloir d’hôtel ne cessait de taper dans un ballon et dormait avec», se souvient Josip Bajlo, alors entraîneur de l’équipe fanion du NK Zadar. Le talent du garçon apparaît comme une évidence : «Il était une idole pour ceux de sa génération, un leader, un chouchou. Les enfants voyaient déjà en lui ce que nous voyons aujourd’hui», poursuit l’entraîneur aujourd’hui âgé de 74 ans. Le phénomène éclot dans une ambiance terrifiante : «C’est arrivé des millions de fois que les bombes se mettent à tomber alors que nous allions à l’entraînement, nous forçant à courir vers les abris», se souvient Marijan Buljat, un camarade de Luka Modric, également formé au NK Zadar.
Entre Skoblar et Subasic
Lui-même ancien professionnel, Buljat, 36 ans, est convaincu qu’en lui forgeant une grande force de caractère, les rigueurs de cette période furent «un des facteurs qui ont contribué (…) à ce qu’il devienne un des meilleurs joueurs du monde». Aujourd’hui en troisième division, le NK Zadar est un club réputé pour sa formation. Josip Skoblar, le légendaire buteur de l’Olympique de Marseille, ou encore les actuels internationaux Sime Vrsaljko et Danijel Subasic, en sont sortis. Mais aux yeux des supporters, Luka Modric (32 ans) a un statut à part, même s’il n’a jamais porté le maillot de l’équipe professionnelle : il est parti au Dinamo Zagreb, le grand club croate, alors qu’il avait 15 ans. «Pour Zadar, Luka est un Dieu du football», dit Slavko Strkalj, un métallurgiste retraité de 66 ans. Son immense popularité en Croatie a toutefois été ternie par un scandale de corruption qui ébranle le football croate. Il est soupçonné d’avoir livré il y a un peu moins d’un an un faux témoignage lors du procès de Zdravko Mamic, accusé de malversations sur des transferts dont celui de Modric du Dinamo Zagreb au club londonien de Tottenham en 2008.
La rédemption grecque
Sa déposition semblait de nature à partiellement disculper Mamic, honni de nombreux supporteurs croates qui l’accusent d’avoir mis le football de leur pays en coupe réglée. C’est pour marquer leur aversion de Mamic que des supporteurs ont provoqué des violences lors de l’Euro en France en 2016. Luka Modric est inculpé de faux témoignage, délit passible de cinq ans de prison. Mais le joueur du Real Madrid a effacé en un match le ressentiment qui pouvait commencer à apparaître chez ses supporters. Alors que la Croatie avait souffert le martyre en phase de qualification, sa performance contribue à faire craquer la Grèce en match de barrages pour envoyer sa sélection au Mondial (4-1). Et le scandale n’a pas affecté pendant le Mondial russe le «petit prince» croate, «une personne sensible», selon les mots de Slavko Strkalj. «C’est un garçon qui sait ce qu’il veut, la vie lui a enseigné ça, il a vécu des choses bien pires quand il était enfant», dit Svetko Custic, actuel dirigeant du NK Zadar, qui connaît Modric depuis l’enfance. La Croatie a pour l’heure fait aussi bien qu’au Mondial-1998, quand la bande de Davor Suker et de Slaven Bilic avait atteint les demi-finales. Il faut maintenant faire mieux.
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