CONTRIBUTION
Suite à la sortie de l’ancien Premier ministre, Mamadou Lamine Loum, qui affirmait l’existence d’une tension financière au niveau de l’Etat, le ministre du Budget est monté au créneau pour annoncer que l’économie et la trésorerie se portent très bien.
L’Etat aurait même, d’après lui, une manne financière qui dépasserait ses besoins, mais qu’il ne peut dépenser à cause des règles rigoureuses de gestion budgétaire et de finances publiques. Pardi ! On l’aurait presque pris pour un pince-sans-rire s’il ne s’agissait pas d’une chose grave et sérieuse pour notre pays. Il est de notoriété publique que le ministère des Finances fait tout pour maquiller les comptes de l’Etat, en manipulant souvent sans retenue les données statistiques sectorielles et en gonflant le taux de croissance pour se donner l’illusion de la richesse et promouvoir des objectifs politiques.
Il y a, certes, une relation de détermination réciproque entre l’économique et le politique. Et la bonne articulation des deux espaces dans la perspective d’un progrès durable et objectivement conduit, peut créer une économie politique vertueuse qui devient le moteur de la transformation structurelle ou de l’émergence, pour leur emprunter ce vocable qui leur est cher. Mais lorsqu’on laisse la politique envahir l’espace de l’économie et que l’on soumet les choix d’investissement, les options techniques comme les méthodes d’analyse des résultats aux seuls filtres de la politique politicienne, on crée une surdétermination de la politique sur l’économie qui génère tous les abus.
La présentation rigoureuse des indicateurs économiques est un événement important pour un Etat. L’énonciation du taux de croissance réalisé ou attendu, l’est tout autant, car c’est à partir de leurs paramètres que les acteurs économiques intérieurs et les investisseurs étrangers ajustent leurs plans d’affaires et leurs décisions économiques et financières. Lorsque les statistiques économiques sont fausses, tout le reste devint faux, et le miracle peut vite basculer vers le mirage.
La présentation de la situation économique et financière réelle du pays est, plus qu’une norme de gouvernance, un impératif économique. En dépit des contorsions sémantiques et des stratégies communicationnelles utilisées pour masquer la réalité financière de l’Etat, le gouvernement aura beaucoup de mal à nous convaincre, aussi longtemps que l’on entendra les complaintes des entreprises et des différents prestataires de services qui courent derrière l’Etat pour se faire payer. Il aura encore plus de mal à persuader des citoyens qui voient, sous leurs yeux et dans leurs quartiers, les dizaines de chantiers à l’arrêt, voire abandonnés partout dans le pays, au motif, disent les entrepreneurs, que l’Etat ne les aurait pas payés et qu’il n’ont pas, par conséquent, les moyens de poursuivre les travaux.
Dans de nombreuses villes du pays, des chantiers de bitumage des routes urbaines connaissent une lenteur inexpliquée ou sont arrêtés laissant des citées balafrées et perturbées. Rien qu’à Dakar, ce sont des dizaines de chantiers qui sont à l’arrêt, certains depuis plus d’un an. C’est le cas de la rue accolée à la Fédération sénégalaise de football à Ouest Foire, dans la commune de Yoff. Le bitumage de cette route, de moins de deux kilomètres, a commencé au mois de juin 2017, il y a donc un an, dans le cadre du projet Promovilles conduit par Agéroute.
Après son lancement, à quelques semaines des élections législatives de 2017, le chantier avait connu une accélération qui avait surpris plus d’un, avec des travaux de jour comme de nuit, ayant causé de nombreux désagréments et perturbé la circulation dans les quartiers environnants, sans compter l’insalubrité et les odeurs fétides qui s’échappaient des bouches des canaux d’évacuation des eaux usées endommagés par les engins. Ensuite, aussitôt l’élection passée, plus rien. L’entreprise remballe ses affaires et disparaît. Voulant éviter d’accréditer l’idée, largement répandue au sein de la population, selon laquelle le lancement du chantier à la veille des législatives avait des visées électoralistes et que celui-ci ne serait terminé qu’à la veille de la prochaine présidentielle, les responsables des travaux reviennent de temps à autre pour boucher quelques trous avant de repartir, affirmant eux-mêmes, que des problèmes financiers seraient la cause de l’arrêt de leurs travaux.
On a le même décor à Thiaroye Gare, à Fass Delorme, au rond-point Hlm 6, à Pikine Nord ainsi que dans des villes comme Gossas et bien d’autres. Les populations ont supporté stoïquement, avec beaucoup d’indulgence, tous les désagréments subis du fait de ces travaux, car elles croyaient que l’Etat traversait des difficultés financières passagères. Si le ministre du Budget nous dit aujourd’hui que l’Etat ne manque pas d’argent, alors qu’il aille aussi dire à tous ces citoyens, pourquoi l’Etat ne termine pas les chantiers dont ils supportent les désagréments depuis si longtemps. Il serait bien difficile de faire croire que des procédures de gestion financière, même anormalement rigoureuses, puissent justifier que le bitumage de rues urbaines, de quelques kilomètres seulement, puisse durer plus d’un an.
Nul besoin donc de grandes théories macroéconomiques pour démontrer la bonne santé financière de l’Etat. Il suffit de régler les petits problèmes du quotidien, à savoir payer les entreprises afin qu’elles terminent les petits chantiers, rembourser les charges supportées par les hôpitaux sur la Couverture maladie universelle et payer les bourses des étudiants à date échue. Cela vaut mieux que mille discours.
Docteur Cheikh Tidiane DIEYE