La confrontation s’annonce rude entre Etat et greffiers. Ces derniers comptent resserrer les rangs, pour mieux organiser la résistance.
Ils ne veulent pas démordre. Les travailleurs de la justice décident d’emboîter le pas à ceux des secteurs de l’éducation, de la santé, du nettoiement, aux ex-travailleurs des sociétés liquidées (Sotrac, Air Afrique, Sias, Communauté urbaine, Hamo-Sa, etc.) et à l’opposition. Le seul syndicat de la justice, dont les revendications sont d’ordre indemnitaire et statutaire, décide d’aller en grève. Pour les greffiers et autres, la radicalisation s’impose, face aux promesses non tenues du gouvernement. «Cette situation d’entrave à l’adoption des différents textes résulte de la flagrante résolution de plusieurs hauts fonctionnaires, à différent niveau de l’Administration, de faire obstacle à la volonté politique manifestée par le gouvernement dans le sens de mener à bien ces réformes», soutiennent-ils. Mais cette grève qui augure des jours tumultueux dans le secteur en question ne sera pas sans conséquences, car pouvant bloquer le fonctionnement du service public de la justice. Voilà qui risque de perturber la tenue des grands procès en cours, comme celui du maire de Dakar, Khalifa Sall, qui prend fin cette semaine. Mais également celui des 32 présumés terroristes dont l’imam Ndao dont le jugement reprend le 14 mars prochain et d’autres juridictions comme la Chambre criminelle dont les audiences sont permanentes et le Tribunal du commerce, qui sera inauguré le 23 février 2018.
Le préavis déposé depuis le 27 novembre 2017 est arrivé à expiration sans qu’aucune suite ne soit donnée aux doléances. Pis, l’audience demandée au nouveau ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, qui n’est préoccupé que par ses activités politiques à Rufisque, n’a pas non plus connu la suite attendue. C’est l’incompréhension générale entre les deux interlocuteurs. De sources sûres, les responsables du Syjust ont, sensibilisé le Garde des Sceaux sur le dilatoire entretenu par certains hauts fonctionnaires, mais sans effet. Idem pour le ministre de la Fonction publique qui demeure inaccessible.
Ce que revendiquent les greffiers
Pourtant, entre août et novembre 2016, après dix huit jours de grève menés à travers six plans d’actions de 72 heures chacun, le gouvernement s’était engagé à satisfaire huit revendications des travailleurs de la justice. Parmi lesquelles figurent : la régularisation du régime indemnitaire des Administrateurs de greffe (Adg) ; le verrouillage de l’accès au corps des Adg exclusivement réservé aux greffiers par voie de concours professionnel ; le reversement des greffiers ayant une ancienneté de 10 ans ou plus dans le corps des Adg après une formation de 12 mois ainsi que le reclassement du corps des greffiers à la hiérarchie A3. A cela s’ajoutent d’autres doléances comme le relèvement jusqu’au niveau de la licence du diplôme exigible au concours d’entrée au Centre de formation judiciaire (Cfj) pour la formation menant à l’obtention du diplôme de greffier ; l’instauration d’un concours interne professionnel d’accès au corps des greffiers exclusivement réservés aux agents du ministère de la Justice. Et enfin la création du corps de la hiérarchie B2 des Assistants des greffes et parquets (Agp) devant permettre l’intégration des agents non fonctionnaires du ministère de la Justice dans le cadre particulier des fonctionnaires de la Justice ; l’instauration d’un concours interne professionnel d’accès au corps des Agp exclusivement réservés aux agents du ministère de la Justice.
L’Administration bloque les directives présidentielles
Les blocages sont imputables à trois niveaux. Pour mettre en œuvre ces engagements, le gouvernement a impulsé une série de réformes qui devait se matérialiser par l’adoption de projets de décrets conjointement élaborés par le ministère de la Justice, celui de la Fonction publique et le département en charge de l’Economie et des Finances et le Sytjust. D’abord, le ministère de la Fonction publique qui doit étudier le «Projet de décret modifiant le décret n° 2010-707 du 10 juin 2010 portant organisation et fixant les règles de fonctionnement du Centre de formation judiciaire (Cfj)» et le «Projet de décret modifiant le décret n° 2011-509 du 12 avril 2011 portant statut particulier des fonctionnaires de la Justice». Le premier texte a été envoyé en 60 exemplaires au Secrétariat général du Gouvernement par la Chancellerie, en vue de son adoption en Conseil des ministres. Le second décret évoqué attend l’avis du Conseil supérieur de la Fonction publique qui s’est réunie le 18 janvier. A cette réunion où des membres du Sytjust, représentant la centrale syndicale l’Unsas ont siégé, l’examen du texte n’a pas eu lieu à cause d’observations formulées par les représentants du ministère de la Fonction publique. Sur ce, la réunion a été renvoyée avec la ferme promesse du secrétaire général de la Fonction publique de tenir une autre réunion avant quinzaine, c’est-à-dire avant le 2 février 2018. Mais à ce jour, la promesse n’a pas été respectée.
Le deuxième niveau de blocage, c’est le ministère de la Justice qui doit diligenter deux textes déviés du chemin de l’adoption : le «Projet de décret fixant le mode de répartition des sommes versées au titre des droits de délivrance des actes en matière civile, commerciale, criminelle, correctionnelle, de simple police, des sommes retenues sur paiements effectués dans le cadre des saisies-rémunération et d’apposition de la formule exécutoire sur les ordonnances de contrainte en matière sociale» et le «Projet de décret fixant les droits de dépôt et de délivrance des actes en matière civile et commerciale, et d’apposition de formule exécutoire sur les ordonnances de contrainte en matière sociale».
Enfin le secrétariat général du gouvernement qui doit diligenter le «Projet de décret modifiant le décret n° 2014-769 du 12 juin 2014 abrogeant et remplaçant le décret n° 91-490 du 8 mai 1991 fixant les conditions d’attribution et d’occupation des logements administratifs». Ce texte qui devait octroyer une indemnité représentative de logement aux administrateurs de greffe, conformément à la hiérarchie A1, a été transmise, depuis plusieurs mois, au Secrétariat général du Gouvernement pour adoption en Conseil des ministres, après avis de non objection du ministère des Finances. Mais cela bloque toujours.
Pape NDIAYE