Depuis le 19 septembre, date à laquelle l’opposition congolaise a choisi de battre le macadam pour signifier à Kabila son ferme refus de le voir prolonger son bail à la tête de l’État au-delà des délais constitutionnels, l’atmosphère est devenue irrespirable, tellement elle est chargée de soufre. Bien malin celui qui dira avec exactitude quand elle va se dissiper.
Tout indique que Joseph Kabila est disposé à aller jusqu’au bout de sa logique de confiscation du pouvoir, et advienne que pourra. Il n’a aucun scrupule face aux morts qui sont en train de s’accumuler dans les morgues de Kinshasa et aux corps calcinés qui jonchent les rues.
C’est dans ce contexte que l’Église catholique a décidé de suspendre sa participation au dialogue politique national pour marquer sa solidarité et sa compassion pour les victimes de la violence digne de Néron qui vient de s’abattre sur la capitale congolaise. Le clergé conditionne son retour dans les pourparlers à l’engagement du pouvoir de respecter la lettre et l’esprit de la Constitution. Ce retrait de la très respectée Église catholique constitue un coup dur pour le dictateur.
L’esprit de La Baule
Sur le plan extérieur, des voix s’élèvent de plus en plus pour lui rappeler, avec véhémence, ce même impératif du respect de la Constitution. Au nombre de ces voix, on peut s’arrêter sur celle de l’Élysée.
Le 20 septembre dernier, François Hollande a qualifié d’“inadmissibles” les violences commises en République démocratique du Congo [RDC], où des élections doivent, selon lui, se tenir conformément à la Constitution. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces propos sont de nature à revigorer les opposants congolais dans leur détermination à empêcher Joseph Kabila et sa cohorte de Raspoutine de continuer à violer la loi fondamentale du pays.
On n’en attendait pas moins de la part de François Hollande, lui qui était aux côtés de François Mitterrand quand celui-ci, alors président de la France, n’avait pas craint de remonter les bretelles aux présidents africains qui se refusaient maladivement à arrimer leur pays à la démocratie. C’était en 1990, au sommet de La Baule. De ce point de vue, on peut dire que l’actuel locataire de l’Élysée est en phase avec l’esprit de La Baule, en ce qui concerne la situation politique du Congo et l’attitude de son président.
Un autre élément qui peut conforter cette perception est qu’en 2012, alors que le même François Hollande était en visite en RDC dans le cadre du sommet de la Francophonie, il n’avait pas eu besoin de porter des gants pour asséner à Joseph Kabila : “Nous ne transigerons pas sur les élections, leur date et le processus constitutionnel.”
Hier comme aujourd’hui donc, François Hollande ne s’est pas encombré de circonlocutions et autres tournures euphémiques pour signifier à Kabila que les délais constitutionnels sont sacrés et que, de ce fait, il avait l’obligation de les respecter. De ce point de vue, nul ne peut faire le reproche à François Hollande d’avoir été complaisant avec Kabila fils par rapport à ses velléités de tordre le cou à la démocratie pour s’accrocher au pouvoir. En revanche, et malheureusement, l’on ne peut pas dire que le président français affiche la même attitude en ce qui concerne les autres dictateurs africains.
Incohérences choquantes
Le cas le plus choquant est celui de Denis Sassou-Nguesso [président du Congo depuis 1997]. On se souvient, en effet, que lorsque ce dernier, après un cumul de pouvoir de trente ans, avait initié un référendum [octobre 2015] pour mettre en place une nouvelle Constitution taillée à sa mesure, François Hollande s’était fendu d’une déclaration que les démocrates congolais et africains ne sont pas prêts d’oublier. Il avait notamment dit que le président Denis Sassou-Nguesso était libre de consulter son peuple. Cette phrase assassine lui collera encore longtemps à la peau.
On peut ajouter à ce manquement grave le fait que François Hollande n’a éprouvé aucune gêne à dérouler le tapis rouge pour accueillir sur les bords de la Seine un des membres de la satrapie africaine. Ce lundi 19 septembre, il était en effet tout sourire, sur le perron de l’Élysée, avec l’un des membres les plus emblématiques de la confrérie, c’est-à-dire Yoweri Museveni [qui préside l’Ouganda depuis 1986], l’homme qui n’avait pas craint, on se souvient, de comparer l’Ouganda à sa bananeraie.
Tout cela traduit le manque de cohérence de François Hollande dans ses rapports avec les dictateurs africains. Notre intention n’est pas de plaider pour la cause du bourreau de la RDC que représente Kabila, même s’il s’est dit profondément touché par les événements du 19 septembre et a renouvelé son appel au dialogue. Une compassion qui s’apparente à des larmes de crocodile.
Pour que la France monte sur ses grands chevaux…
La grande leçon que tous les peuples, qui ploient encore sous le joug des dictateurs en Afrique et ailleurs, doivent retenir est la suivante : il y a deux situations devant lesquelles la France, pour ne pas dire la communauté internationale, peut monter sur ses grands chevaux pour traquer un dictateur. La première est quand la chute du dictateur est devenue imminente et irréversible, du fait de la colère populaire. La seconde situation est quand le dictateur a l’outrecuidance de s’attaquer aux intérêts de la France. Dans le cas du Congo de Joseph Kabila, l’on peut se risquer à dire qu’il se trouve dans les deux situations.
Cela dit, pendant que les autres sont en train de s’émouvoir de la tragédie qui se déroule actuellement au Congo et de s’en offusquer, celui qui devrait être le premier à sonner le tocsin, c’est-à-dire Idriss Deby Itno, en sa qualité de président en exercice de l’UA, n’en a pas daigné piper mot dans son adresse à la tribune des Nations unies. Il a préféré à cette actualité brûlante l’accommodante question de la lutte contre le terrorisme où il est visiblement plus à l’aise.
Le pays