CHRONIQUE DE WATHIE
«Aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur »
Le 20 août 1960, les autorités sénégalaises prenaient une décision qui marquera à jamais l’histoire de la République dont elles venaient d’annoncer la naissance. La décision était aussi décisive que risquée. Mamadou DIA et Léopold Sedar SENGHOR, qui travaillaient main dans la main, en étaient conscients. Dakar, capitale de la Fédération du Mali, fut placée sous couvre-feu, l’état d’urgence décrété. A la place d’une grande manifestation commémorant un événement historique, les Dakarois eurent droit à un dispositif de sécurité aussi inhabituel qu’impressionnant. L’armée, constituée de fantassins que les colons avaient bien voulu former et mettre à la disposition des gouvernants comme garde républicaine, était massivement déployée. D’énormes changements étaient intervenus durant la nuit, il fallait consolider les acquis. Le palais devenait présidentiel ; l’Assemblée législative devenait l’Assemblée nationale ; la radio Mali devenait radio Sénégal avec deux entités. Les bâtiments administratifs étaient fortement sécurisés par des soldats sur le qui-vive fortement armés. Qu’est-ce qui se passait ? Ce 20 août 1960-là, vers 2 heures du matin, le Sénégal avait proclamé son indépendance.
A la lecture de ce premier paragraphe, certains seraient tentés de dire : mais qu’est-ce qu’il raconte. D’autres demanderont : Et le 4 avril alors ? Pourtant, les questions qui devraient sauter aux yeux, ce sont : pourquoi cette date ne suscite aujourd’hui aucun souvenir ? Pourquoi des événements aussi importants sont passés par pertes et profits, totalement oubliés. Mais, comme à chaque que c’est historiquement important, seule une poignée de personnes comprend. «L’histoire est écrite par les vainqueurs», écrivait Robert Brasillach. Ni le Mali ni le Sénégal n’ayant gagné, d’autres se sont chargés de rédiger cette histoire que les programmes scolaires ne prennent qu’accessoirement en charge. Il est en de même pour le massacre de Thiaroye. Des tirailleurs sénégalais, des miraculés d’une guerre qui ne les concernait pas, revenant du front, manifestaient le 1er décembre 1944 réclamant le paiement de leurs indemnités qui tardaient depuis des mois. En guise de remerciements pour leur bravoure, pour les sacrifices qu’ils avaient consentis en exposant leur vie et à en prenant d’autres, ils reçurent de mortelles balles tirées par des gendarmes français. Le président François Hollande, en visite au Sénégal, en octobre 2012, arrêtait, 68 ans après, le bilan à 35 morts. Au moment où les quelques historiens courageux font état de plus de soixante-dix morts. Hollande donnait l’impression de démentir son prédécesseur à l’Élysée qui avait soutenu, quelques années plus tôt, à l’Université Cheikh Anta Diop, que «l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». En feignant de corriger Sarkozy, il poussait davantage l’homme africain hors de l’histoire, en escamotant les faits. Mais, si le président français s’est permis une telle liberté, c’est comme ce qui s’est passé le 20 août 1960, l’histoire n’a rien gardé de précis concernant ce massacre. Aucun livre scolaire n’en rend véritablement compte. Une omerta étatique totalitaire.
Sur bon nombre de faits aussi importants, c’est le même traitement. L’histoire de Cheikh Ahmadou Bamba est à peine relatée dans les manuels scolaires. Il en est de même pour les histoires des autres fondateurs de confréries. Ce que les Sénégalais savent de ces guides qui singularisent le pays, c’est à travers des récits oraux discutables et exagérés qu’ils s’en sont imprégnés. Les pages de notre histoire ont été rigoureusement sélectionnées, occultant tout ce qui pourrait être exaltant. Les quelques leçons d’histoire du Sénégal enseignées à l’école sont bourrées dans la tête de collégiens loin de comprendre le début des enjeux. Des apprenants qui peinent à comprendre comment El Hadji Oumar Tall a pu disparaitre dans les falaises de Bandiagara.
Si Cheikh Anta Diop a mis autant de temps à démontrer que les Egyptiens étaient des Noirs, c’est en grande partie parce qu’il comprenait mieux que beaucoup l’importance de l’histoire qui a le don de cimenter un peuple. En niant, ou en falsifiant l’histoire d’une nation, on mine ses fondements, rendant difficilement réelle sa grandeur.
A lire chaque samedi…
Par Mame Birame WATHIE