Qui va arrêter Macky Sall ? Si la réponse est personne, alors où est-ce que le chef de l’Etat va s’arrêter ? Après avoir installé le pays dans une campagne électorale permanente, le démocrate de Fatick est en phase de se choisir ses propres adversaires, en doublant certains par la nationalité. Face à Karim Wade et à Abdoul Mbaye, le leader de l’Apr n’hésite pas à donner des coups au-dessous de la ceinture.
Certains disaient qu’il était Burkinabé et qu’il n’avait pas à participer à une présidentielle ivoirienne. Aucune cour n’ayant réussi à départager les protagonistes, les armes s’en sont mêlées. Et ce fut le chaos. La Côte-d’Ivoire qui resplendissait jusqu’alors sombra une guerre civile. Les Ivoiriens qui étaient, sous le président Houphouët Boigny, présentés comme de généreux pacifistes vont, pendant plusieurs années, s’entretuer avant que la communauté internationale ne daigne réagir. La locomotive de l’UEMOA, pansant ses blessures, restera longtemps à la remorque, avant que des élections ne viennent définitivement sceller le sort de Laurent Gbagbo et consacrer Alassane Ouattara président de la République.
Comme en Côte-d’Ivoire, la question de la nationalité est en train de polluer les débats. Elle est en phase de monter les uns contre les autres. Les Sénégalais, «à part entière», pourraient bientôt commencer à épier leurs compatriotes de teint clair se demandant s’ils ne sont pas Guinéens, Cap-verdiens, ou même Mauritaniens. Et comme chez Houphouët Boigny, ce sont les politiciens qui risquent de culbuter la pirogue, comme disent Pape et Cheikh.
Benoit Sambou, inaudible depuis qu’il a été laminé à Ziguinchor et défenestré du ministère de la Jeunesse, sort du grouillant palais de la République, où il s’était retranché, pour affabuler tout le monde avec un sinistre projet de loi. La Constitution sénégalaise en son article 28 règle définitivement cette question en stipulant que « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle». Mais, il fallait que le politicien y ajoute un alinéa de la discorde et remettre en cause la cohésion nationale tant psalmodiée. Pour Benoit Sambou, renoncer à son autre nationalité pour garder exclusivement celle sénégalaise ne suffit pas. Il faut, pour se présenter, avoir renoncé 5 ans avant l’élection présidentielle pour laquelle on est candidat. 5 ans, la durée d’un mandat présidentiel. Ainsi, pour les binationaux qui n’ont pas abandonné leur autre nationalité en 2014, la prochaine présidentielle est 2024. Une hérésie destinée à écarter de la course à la présidence des candidats. Dans la ligne de mire des tenants du pouvoir, il y a Abdoul Mbaye, qui a fondé son parti politique et Karim Wade qui a été mis sur la ligne de départ par le Parti démocratique sénégalais (Pds). Et paradoxalement, tout le monde peut douter de leur « sénégaleité » sauf Macky Sall. Le premier a été nommé Premier ministre par Macky Sall qui ne pouvait le faire sans avoir au préalable scruté son dossier. Le second, Karim Wade, a été, du temps de l’Anoci, un de ses proches collaborateurs. Mais, comme la girouette mouvant au gré des vents, Macky Sall, dont-on dit qu’il avait nommé un Allemand dans le gouvernement du Sénégal en la personne d’Abou Lo, est en phase d’oublier les décrets qu’il a signés et de présenter des adversaires politiques comme des Sénégalais de pacotille ne méritant aucunement la confiance de leurs compatriotes. Plus qu’un croc-en-jambe, cette volonté d’écarter des adversaires de la course est perçue par les principaux concernés comme un coup de pied dans le ventre. Réagissant à cette tentative de modification de la loi électorale qui vise son fondateur, l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (Act) s’interrogeait : « Y’aurait-il un ou plusieurs candidats potentiels, binationaux par ailleurs, qui font si peur au Pouvoir en place ? ». Avant de trancher : «Cette proposition est un coup de poignard dans le dos de la diaspora sénégalaise ». Même son de cloche du côté des libéraux. «C’est regrettable de le dire, mais notre pays est aux abois. La peur a poussé l’APR à lancer ce débat sur la double nationalité mais c’est peine perdue. Si Karim WADE n’est pas candidat en 2019, il n’y aura pas d’élections au Sénégal », menace Mayoro Faye. Poursuivant le porte-parole adjoint du parti de Me Wade, déclare «Que les choses soient claires dans la tête de tout le monde et que le débat soit clos, le PDS n’a pas de plan B et son candidat est Karim Wade. Que cherche Macky Sall ? Il ne cherche rien si ce n’est que vouloir changer les règles du jeu. Ni Senghor, ni Diouf, ni Wade n’ont commis l’incurie de diviser les Sénégalais». Et tout est dit.
Mame Birame WATHIE