CHRONIQUE DE MOUSTAPHA
Nous sommes entre les deux tours de la présidentielle de 2012. Le candidat Macky Sall tient une conférence de presse dans un hôtel de Dakar en présence des principaux leaders de l’opposition qui le soutiennent contre Abdoulaye Wade, président sortant. La journaliste Ndèye Awa Lô, alors reporter à Wal Fadjri, demande à poser une question. Elle interpelle Macky Sall sur ce que seraient les relations entre la classe maraboutique et son pouvoir, s’il devenait président. La réponse du challenger de Wade est sans équivoque : «Les marabouts sont de simples citoyens comme tous les autres.» Convaincu que c’était le meilleur moyen de s’assurer du soutien de la société civile, mais aussi des partis de gauche, Macky Sall va réitérer ses propos dans les colonnes du journal La Croix qui, soit dit en passant, s’est longtemps et ouvertement réclamé chrétien et catholique. «Certes, les chefs religieux jouent un rôle – social – très important au Sénégal. Sur le plan politique, toutefois, ce sont des citoyens comme tous les autres», avait indiqué le chef de l’Etat.
En fait, au sein de la société civile de l’époque, il ne manquait pas de personnalités qui visiblement avaient une dent contre les marabouts. Dans son livre, intitulé «Une démocratie prise en otage par ses élites, Essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal», le journaliste Abdou Latif Coulibaly écrit : «Le poids des chefs religieux dans le cours des scrutins électoraux reste assez marginal.» Dans le même ouvrage, l’actuel secrétaire général du gouvernement, alors un des plus grands pourfendeurs du régime de Wade, ajoute : «C’est la quête permanente de prébendes qui structure presque tous les discours des guides religieux musulmans qui offrent sans relâche leurs services. (…) Ils apparaissent comme des courtiers infatigables de l’Islam auprès des politiques, ils sont souvent des rentiers avides de biens de consommation.» Quel manque de respect !
Une fois au pouvoir, Macky Sall s’entoure donc de personnalités comme Abdou Latif Coulibaly, Aminata Touré, Penda Mbow… qu’on ne peut citer parmi les meilleurs alliés des marabouts. Ainsi, le président nouvellement élu se donne comme mission de remettre les marabouts (ou plutôt certains d’entre eux) … sur le droit chemin. Cheikh Béthio Thioune est envoyé en prison. Et le parquet qui obéit au ministre de la Justice Aminata Touré promet de lui faire payer jusqu’au bout. Des véhicules sont retirés aux chefs de village dont des guides religieux. La traque aux biens mal acquis est lancée et le pouvoir assure qu’aucune intervention d’un quelconque marabout ne pourra l’arrêter. C’est, sans doute, ce qui explique le désamour entre l’électorat de Touba et le pouvoir de Macky Sall.
Le chef de l’Etat avait-il raison de traiter les marabouts de citoyens comme tous les autres ? Oui si on reste dans l’espace républicain. Car dans une République, il n’y a que le citoyen. Seulement dans une société comme la nôtre, il y a des réalités qui dépassent le cadre de la République. La preuve : après avoir remporté la présidentielle de 2012, le chef de l’Apr a consolidé son pouvoir avec une large majorité à l’Assemblée nationale et les collectivités locales sont, pour l’essentiel, contrôlées par sa majorité. Malgré tout, le pouvoir fait preuve d’une grande nervosité dès la plus petite secousse. C’est qu’il manquait à Macky Sall, cette complicité avec la classe maraboutique qui permettait par exemple au pouvoir de Wade de sortir des situations les plus compliquées. Conscient de cela, le chef de l’Etat se (re) tourne alors vers les marabouts qui ne demandent certes pas un «statut particulier» mais qui sont loin d’être des citoyens comme les autres. Le pouvoir revient sur terre. A titre d’exemple : en plus de libérer Cheikh Béthio Thioune cité dans l’affaire du double meurtre de Madinatoul Salam, Macky Sall lui envoie une délégation ministérielle pour la célébration de son «Sante» annuel à Mermoz. Les marabouts sont consultés sur les grandes questions nationales. Et ce sont eux – notamment Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine- qui s’impliquent personnellement pour sauver l’année scolaire. Touba est aussi mis à contribution pour régler «à l’amiable» l’affaire Karim Wade. Fini donc le temps où le pouvoir faisait la sourde oreille face aux interpellations des familles religieuses pour la libération de Karim Wade. En un mot comme en mille, face à des citoyens pas si ordinaires que ça, Macky Sall, en plus de rétropédaler, s’est tout simplement déjugé.
A lire chaque mardi…
Moustapha DIOP
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