Les personnes atteintes d’albinisme vivent le calvaire au Sénégal. Solitude, insécurité, douleurs atroces, mysticisme, discrimination et exclusion sont les difficultés récurrentes auxquelles sont confrontées les albinos. Dans tous les cas, le cœur se serre à entendre Mouhamadou Bamba Diop, président de l’Association nationale des albinos du Sénégal (Anas) raconter l’existence chaotique de ses semblables au Sénégal et en Afrique.
Les mille problèmes de l’albinisme
Les populations ignorent tout de l’albinisme, une maladie génétique. Pour cela, des mères d’enfants albinos sont congédiées par leurs maris, du moins selon Mouhamadou Bamba Diop, président de l’Association nationale des albinos du Sénégal (Anas). Pour ce dernier qui a fait face à la presse, vendredi dernier, en prélude à la journée mondiale de l’albinisme du 13 juin prochain, «l’écrasante majorité de la population associe l’albinisme à une malédiction divine». La vérité, selon lui, est que l’albinisme n’est le propre d’aucune race ou ethnie. Pourtant, l’acceptation de l’albinos pose problème au Sénégal. «A cause des plaies qu’ils ont sur le corps, des albinos sont privés de manger dans le même bol avec le reste de la famille. Quand ils boivent dans une tasse, les autres ne le prennent pas. On les isole dans un abri provisoire avec une natte ou un matelas; avec leur maladie, leur peau est collée au couchage. A leur mort, on les enterre avec le matelas ou la natte», soutient, amer, M. Diop qui dit avoir été témoin de ce traitement cruel, inhumain au Sénégal, à Thiès. Les pratiques mystiques étant très répandues au Sénégal, nombreux sont ceux qui pensent que les personnes souffrant d’albinisme sont porteurs de pouvoirs super naturels. «Pour obéir à un rituel ou à un sacrifice humain, des albinos sont enlevés avant d’être tués», affirme M. Diop.
Alerte à la transmission du Vih
Les idées reçues sur l’albinisme pourraient saper les efforts de lutte contre la propagation de maladies infectieuses comme le Vih/Sida. Au moment où le Sénégal, à l’instar de la communauté internationale, mène le combat pour zéro transmission du virus, «des gens qui ont le sida cherchent à coucher avec des albinos parce que des guérisseurs traditionnels leur feraient croire que coucher avec un albinos peut les guérir de leur maladie». Une croyance qui ne milite point en faveur de la lutte contre la féminisation du Vih. Selon Mouhamadou Bamba Diop, «des charlatans font aussi croire que coucher avec une albinos apporte pouvoir et prospérité». Le président de l’Anas d’ajouter : «Il y en a ceux qui cherchent des cheveux d’albinos pour les glisser dans leur porte-monnaie ou dans des gris- gris pour prétendre à la richesse. Il y en a, pour les mêmes raisons, des personnes qui se lancent à la recherche effrénée d’organes d’albinos», alerte M. Diop. Ailleurs en Afrique, soutient-il, un albinos qui naît, est automatiquement, tué. Avant, en Côte d’Ivoire, confie-t-il, il arrivait qu’un guérisseur mette devant sa case les ossements d’un bébé albinos, arguant que cela allait attirer la lumière divine pour exaucer ses prières. «Une sœur du célèbre chanteur Salif Keïta a failli faire l’objet de sacrifice humain quand heureusement pour elle, des amis l’ont aidée à sortir de la Côte d’Ivoire pour retourner au Mali», renseigne le président de l’Anas. A l’en croire, dans une de ses récentes déclarations, Salif Keïta lui-même a dit qu’il a dormi dans un village africain où des gens ont tenté de lui couper les cheveux pour des rituels. «Des féticheurs ont déclaré au chanteur que, enterrer les cheveux d’albinos, rendait l’hivernage pluvieuse et les récoltes abondantes», rapporte Mouhamadou Bamba Diop selon qui, «les cheveux d’albinos sont commercialisés au Sénégal».
98 % des enfants albinos exclus du système éducatif
Malgré la promotion de l’éducation inclusive au Sénégal, 98 % d’enfants albinos ne fréquentent pas l’école. Des écoles tests en banlieue à Pikine et Guédiawaye n’enrôlent que les albinos qui résident à Dakar au détriment de leurs compatriotes des autres régions. «Des enfants ne veulent pas s’asseoir sur le même banc avec un albinos. Devant le tableau, un albinos est quasiment aveugle. Il ne peut pas voir clairement ce qui est écrit si on n’a pas de lunettes spécialisées. Sans crème solaire, les parents ont peur de laisser leurs enfants s’exposer aux rayons solaires à l’école», souligne Mouhamadou Bamba Diop. Selon lui, la conséquence de cette déscolarisation est que 3 albinos sur 10 sont illettrés et analphabètes.
Le centre de Thiès dans la léthargie
Face à ses difficultés liées à l’éducation et à la formation des albinos, l’Anas a engagé des discussions avec l’ambassade des Etats-Unis et l’Usaid dans le but d’avoir un centre communautaire de prise en charge des personnes atteintes d’albinisme au Sénégal. «Mais, fulmine M. Diop, ce centre, construit en 1997 à Thiès, est constamment envahi par les eaux de pluie à chaque hivernage». M. Diop dénonce l’enclavement de l’infrastructure qui a été érigée dans une zone non aedificandi. De sa construction à nos jours, le centre n’a reçu aucun soutien financier de l’Etat, déclare le président de l’Anas qui sollicite l’aide de l’Etat afin de redynamiser les activités de cet établissement avec un cursus scolaire complet du préscolaire à l’élémentaire en regroupant des enfants albinos et non albinos. Un bijou qui serait doté d’une bibliothèque, d’une infirmerie, d’une salle informatique et d’une salle de sport. Mais aussi d’un bus de ramassage pour ses pensionnaires. Pour l’instant, il n’y a qu’une garderie avec deux instituteurs recrutés par l’Etat.
En Casamance, les insectes se raffolent de la chair d’albinos
Et en Casamance, la présence de Culicoïdes (insectes appelés moutou-mout, en wolof) rend impossible l’existence des albinos à la naissance. «Dans beaucoup de villages en Casamance, un bébé albinos ne peut pas y vivre jusqu’à trois ans, à cause de ces bestioles. On m’a informé qu’il y a beaucoup de bébés albinos qui décèdent dans ces zones à cause de cet environnement», indique Mamadou Bamba Diop qui précise que les parents des victimes n’ont toujours pas l’information qu’à Dakar, il y a des pouponnières qui pouvaient accueillir leur rejeton. «Le droit à la vie est bafoué dans cette partie du Sénégal. On ne doit pas laisser les albinos mourir comme ça. L’Etat et les Ongs de soutien aux handicapés doivent nous assister», plaide M. Diop. A l’en croire, à cause de tous ces problèmes, il est rare de rencontrer un vieux albinos tellement leur espérance de vie est très réduite, n’excédant généralement pas 50 ans.
Et ailleurs….
En Tanzanie, révèle-t-il, le massacre des albinos est quotidien. «On y dénombre par jour, quinze à vingt parfois trente à soixante cas de meurtres. Ils sont tués pour servir d’appât aux poissons en mer. Les chercheurs de diamants achètent les têtes de cadavres d’albinos pour, prétendent-ils, démultiplier leur chance de trouver la pierre précieuse. Facilement, on voit dans les chambres une main, une langue ou un bras d’albinos», raconte M. Diop qui prépare son séjour dans ce pays à partir du 17 juin. Le gouvernement de la Tanzanie est très engagé dans le combat contre le «génocide» des albinos. C’est ainsi que Abdallah Morsi, un albinos siège dans le gouvernement pour aider à la sensibilisation, à l’arrêt de la discrimination et à la marginalisation auxquelles ces derniers sont confrontés et faire stopper le génocide. Mouhamadou Bamba Diop alerte sur le commerce intense d’organes d’albinos qui est en train de se développer en Afrique et qui pousse les Nations-unies à tirer la sonnette d’alarme. La Commission des droits de l’homme de l’Union africaine qui n’est pas en reste, a été la première institution à adopter une résolution le 5 novembre 2013 dédiée à l’albinisme pour demander aux Etats de prendre toutes les dispositions pour faire cesser les «génocides» que subissent les albinos sur le continent. Il arrive que le cadre de vie détermine l’espérance de vie d’une communauté d’hommes.
COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE : Les albinos laissés en rade
Le droit à la santé des minorités sociales est-il bafoué ? Tout porte à le croire si l’on tient compte de l’état de santé dégradant des albinos dont l’effectif au Sénégal ne dépasse pas 10 mille âmes. Selon le président de l’Association nationale des albinos du Sénégal (Anas), Mouhamadou Bamba Diop, cette couche de la population réclame à l’Etat une prise en charge dermatologique et ophtalmologique. En effet, fait-il remarquer, les albinos ne peuvent pas intégrer les programmes de filets sociaux que le gouvernement a mis en place comme la Couverture maladie universelle (Cmu) ou la carte d’égalité des chances, parce que des albinos naissent sans être déclarés à l’état civil. Ce, tellement leurs parents sont pauvres et illettrés, souligne M. Diop, d’après qui, trois albinos sur dix sont illettrés et analphabètes. «A Thiès, Tamba, Louga, Ranérou, Kolda, à la frontière avec la Guinée, on voit des enfants presque aveugles, avec des plaies sur la peau, sans aucun accès aux soins. Ces enfants ne prétendent même pas aller à l’école. Sans vêtements, ils sont exposés aux rayons solaires», indique-t-il.
Diop demande à l’Etat d’appuyer le centre communautaire de prise en charge des albinos basé à Thiès pour que la correction visuelle à l’âge de 2 ans puisse se faire à ce niveau. Selon lui, le bébé albinos ne voit rien jusqu’à sept mois parfois. Il commence à développer sa vision à partir de 2 ans et a besoin d’une rééducation visuelle. Il souligne, par ailleurs, que dans certaines régions, l’inexistence d’un dermatologue rend impossible la délivrance du certificat d’invalidité, un document exigé pour prétendre à la carte d’égalité des chances. En outre, les séances de chimiothérapie pour traiter le cancer de la peau coûtent en moyenne 170 mille Fcfa, la séance par semaine. Un montant que les albinos n’ont pas pour se soigner correctement, avertit M. Diop. «Chaque année au Sénégal, des albinos meurent du cancer de la peau, d’infections et de malnutrition», dit-il. Pour prévenir cette maladie, dit-il, les albinos ont besoins de la crème solaire, de lunette de soleil, de loupe, de crème anti-brûlure, de baume à lèvres. Mais, affirme-t-il, seuls 10 % de la population albinos au Sénégal ont accès à ce produit, tellement il est coûteux. «Le tube de crème solaire pour deux jours d’application est vendu à 16 mille Fcfa. Les ordonnances peuvent coûter entre 150 et 200 mille Fcfa par mois, imaginez le coût du traitement par an», interpelle-t-il. Mouhamadou Bamba Diop déclare que depuis 2012, les partenaires ont décidé de ne plus envoyer de conteneurs de crème solaire parce que l’Anas n’avait pas les moyens financiers de les payer. Le seul brin d’espoir qu’ils ont, c’est que la société Valdafrique en partenariat avec la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) est sur le point de concevoir des crèmes solaires qui pourront être subventionnées par l’Etat.
Réalisé par Abdoulaye SIDY