Les Américains manquent-ils d’espace et d’argent pour trouver dans leur territoire un petit coin tranquille convenant admirablement bien à Salem Ghereby et Omar Abu Baker ? Depuis qu’il est question d’accueillir ces ex de Guantanamo, le Sénégal s’enfonce dans une controverse tentant de cerner l’opportunité d’une telle décision. Pour beaucoup, le président Sall n’a pas su dire «Non» à son homologue américain, comme c’est souvent le cas avec «les puissants» de ce monde.
Pourquoi, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, le Sénégal, en bon samaritain, accepte-t-il d’accueillir des hommes qui en ont vu de toutes les couleurs dans les geôles américaines durant plus d’une décennie et très probablement revanchards ? Pendant que des pays voisins sont attaqués par des djihadistes, le Mali notamment, l’Etat du Sénégal ne s’expose-t-il pas en se prêtant au jeu des Américains ? La liste déjà longue des questions peut davantage s’étirer sans susciter un début de réponse en mesure d’apaiser les esprits déjà traumatisés à l’idée de cohabiter avec des ex de Guantanamo.
La sensibilité de la question ne semble pas échapper au gouvernement. En l’espace de 48 heures, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur se sont tous prononcés sur le même sujet. Et pour ces trois membres du gouvernement, si le chef de l’Etat a accepté d’accueillir ces deux hommes, c’est pour des raisons humanitaires. Et pour faire passer la pilule de l’acquiescement, le régime de Macky Sall indique, par le biais de Mankeur Ndiaye, que ces deux hommes ont été injustement emprisonnés.
Des justifications très vite battues en brèche par de nombreux observateurs qui trouvent ces arguments assez légers pour tenir la route. Si le Sénégal a des raisons humanitaires à faire valoir, son champ d’action peut être plus vaste qu’un continent. Et si les deux hommes ont été maltraités par le pays d’Obama, pourquoi le Sénégal devrait-il s’en mêler, quitte à s’attirer les foudres des organisations terroristes de plus en plus actives dans la sous-région ouest-africaine ? Une question et bien d’autres qui tendent à renseigner que, dans cette affaire, le président Macky Sall ne s’est probablement pas laissé le choix. Le «Non» qu’il a honni durant le référendum, n’a pas non plus prospéré quand il s’est agi de répondre à la requête des Américains.
Ce n’est pas la première fois que le président de la République accède à une demande controversée et plus qu’impopulaire au Sénégal. En effet, après avoir convenu avec les Saoudiens de l’envoi de 2 100 soldats sénégalais, les autorités se sont ensuite rabattues dans des explications se résumant pour l’essentiel à ceci : «Le roi a demandé». «Le président de la République a décidé (…) de répondre favorablement à une demande de l’Arabie Saoudite en déployant en terre sainte d’Arabie Saoudite un contingent de 2 100 hommes», avait expliqué le ministre Mankeur Ndiaye, devant les députés.
Cette ligne de défense du chef de la diplomatie sénégalaise s’étant révélée imperméable, le président Sall a jugé utile de l’accompagner d’une missive austèrement titrée : «Message du chef de l’Etat aux députés sur l’envoi de 2100 soldats en Arabie Saoudite». Le document, lu devant les députés, expliquait : «A l’occasion de la visite officielle qu’il a effectuée en Arabie Saoudite le 2 avril 2015, Son Excellence Monsieur Macky Sall, Président de la République et Sa Majesté le Roi Salman Ben Abdel Aziz Al Saoud ont longuement échangé sur la situation sécuritaire dans la région. A cette occasion, Sa Majesté le Roi Salman Ben Abdel Aziz Al Saoud a sollicité le Chef de l’Etat en vue d’une contribution de notre pays à la lutte commune menée par la coalition internationale dirigée par l’Arabie Saoudite.» Ainsi demandé, ainsi obtenu, l’étude des énormes répercussions et l’avis des autres Sénégalais relégués au second plan.
Si le roi d’Arabie Saoudite a sollicité le chef de l’Etat, le président Hollande, lui, n’a pas eu besoin de le faire. Dès que les crépitements des balles se sont estompés, Macky Sall a cherché l’avion présidentiel, déterminé à «être Charlie». Les langues auront beau se délier, condamnant énergiquement sa présence auprès des «pourfendeurs du Prophète(Psl)», rien n’y fera. Aussi impopulaire que fut sa démarche, le président Macky Sall s’était trouvé aux côtés du président français. Et pourtant, quand le Mali, le seul pays qui a une fois constitué avec le Sénégal un seul et même Etat, a fait face aux terroristes qui en voulaient à son intégrité, le Sénégal a longuement tergiversé avant de décider, sous l’impulsion de la France, d’y envoyer des soldats.
Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, disait, en substance, le général De Gaule. Si cette maxime de l’ancien président français se justifie, le président Macky Sall doit avoir à cœur d’indiquer à ses concitoyens où se trouvent leurs intérêts dans ces démarches aussi risquées qu’impopulaires.
Mame Birame WATHIE