En déclarant, au procès Mamadou Diop, qu’il ne défend pas les deux policiers incriminés, mais seulement l’Etat du Sénégal, l’agent judiciaire de l’Etat a foulé au pied l’article 16 de la loi 61-33 du 15 juin 1961, portant statut général de la Fonction publique. Il lui impose un devoir de protection vis-à-vis des fonctionnaires de l’Etat et d’en réparer le préjudice matériel ainsi causé, à l’occasion de l’exercice de la fonction.
C’est un principe élémentaire dans une République : «L’Etat a un devoir de protection vis-à-vis de ses agents et fonctionnaires». Point besoin d’être un spécialiste du droit pour en comprendre la quintessence. Lors du procès Mamadou Diop, l’agent judiciaire de l’Etat a estimé ne pas défendre les deux policiers et qu’il allait, seulement, représenter l’Etat du Sénégal dans cette affaire. Occasion choisie par les flics pour demander le renvoi du procès pour, disent-ils, «commettre des avocats». Et au juge d’ajourner le procès, pour la cinquième fois consécutive, jusqu’au 26 novembre 2015. L’acte ainsi posé par le représentant de l’Agence judiciaire de l’Etat est perçu comme une désolidarisation d’avec «ses» éléments qu’il est censé défendre et représenter devant les cours et tribunaux et en toute circonstance.
En effet, cette attitude est aux antipodes de l’article 16 de la loi 61-33 du 15 juin 1961 portant statut général de la Fonction publique. Lequel dispose : «les fonctionnaires ont le droit, conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, à une protection contre les menaces, outrages, injures ou diffamation dont ils peuvent être l’objet». La même disposition précise que «l’Administration est tenue, en outre, de les protéger contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice matériel qui en est résulté dans tous les cas non prévus par la réglementation sur les pensions».
Certains spécialistes du droit interprètent cette loi ainsi qu’il suit : l’Administration est tenue de protéger les deux policiers incriminés et de réparer le préjudice matériel né de leurs actes. Autrement dit, à l’occasion de l’exercice de la fonction, l’Etat est tenu de réparer les dégâts matériels causés par ses agents et fonctionnaires. S’il en est ainsi, c’est parce que «ce sont des règles communes applicables à tous les fonctionnaires pour qu’il n’y ait pas discrimination», soutient-on au temple de Thémis. «L’agent judiciaire de l’Etat avait le devoir d’intervenir dans cette affaire», analyse une source qui ajoute que «sa présence au procès serait nulle s’il (l’agent judiciaire de l’Etat) ne défend pas les policiers incriminés».
Violation du Code Cima
Cette affaire a clairement fini de démontrer que la preuve que la gestion du Parquet n’a rien à voir avec celui de l’Agence judiciaire de l’Etat. Aux yeux de certains analystes de la chose judiciaire, cela signifie que l’on peut être «excellent parquetier rompu dans la procédure pénale» et un «mauvais agent judiciaire de l’Etat». A preuve : l’Agence judiciaire de l’Etat est bondée de magistrats du Parquet pourtant réputés «excellents procéduriers». N’empêche, les erreurs se multiplient dans la conduite de plusieurs dossiers judiciaires. Avec notamment les affaires Karim Wade, Aïda Ndiongue, Mamadou Diop ainsi que le cas des 690 élèves-maîtres pour lequel le ministre Serigne Mbaye Thiam a perdu la bataille contre les enseignants qu’il avait d’office et d’autorité radiés sous prétexte d’une fraude qui, juridiquement, n’existe pas pour défaut de constatation par voie judiciaire.
Tout n’a pas été dit dans l’affaire Mamadou Diop car, les erreurs de procédure vont au-delà des aspects évoqués ci-haut. En effet, des spécialistes de la procédure pénale rappellent que «le Code Cima impose, en matière d’homicide involontaire, une transaction préalable avant toute procédure judiciaire contre l’Etat». Or, à ce jour, aucune preuve d’une «transaction infructueuse» n’est rapportée par les différentes parties prenantes au procès, que ce sont les avocats de partie civile, ceux de la défense, l’agent judiciaire de l’Etat et le procureur de la République.
Pourquoi la famille a craché sur l’argent de l’Etat
Pourtant, dans l’affaire Mamadou Diop, il y avait un début de transaction interrompu par un manque d’entente sur le montant, selon des sources de Walf. C’est ce qui a constitué la source du désaccord entre les deux parties : l’Etat et la famille du défunt étudiant tué lors violences préélectorales de 2012. Au final, celle-ci a craché sur l’argent de l’Etat en préférant se déployer sur le terrain judiciaire, rapportent nos informateurs. Voilà qui allait éviter un procès pénal car, selon un juriste qui s’est entretenu avec Wal Fadjri sur le sujet, «en matière de transaction entre l’Etat et un tiers, la signature de la clause de renonciation est synonyme de désistement qui traduit une renonciation à toute action contre l’Etat». En clair, réclamer une indemnisation et vouloir ensuite exiger un procès pour ensuite demander le paiement de dommages et intérêts constitue, au regard de la loi, un «enrichissement sans cause». Ce qui semble vouloir le beurre, l’argent du beurre et la fille du berger…