(OPINION) En annonçant, ou plus exactement en faisant annoncer, qu’il prend acte du verdict rendu par le Conseil Constitutionnel retoquant le décret par lequel il renvoyait de dix mois la tenue des élections présidentielles et en proclamant sa ferme résolution de le respecter, le Président de la République avait arrêté (momentanément ?) la dangereuse glissade qui menaçait de conduire notre pays dans le désordre et la violence.
Il aurait pu faire mieux, plus clair et plus vite.
On rêvait que, quelques heures à peine après la publication de la décision du Conseil constitutionnel – (dont il a probablement pris connaissance bien avant tout le monde) -il prenne solennellement la parole devant ses compatriotes, comme il l’avait fait pour annoncer son décret contesté, respectant au passage le parallélisme des formes. Pourquoi essayer la taille d’un boubou sur la souche d’un arbre quand son propriétaire est présent ,dit un proverbe pulaar qu’il ne peut pas ignorer ? Pourquoi confier le soin de transmettre une information de cette importance et à laquelle toute la nation est suspendue à un vague conseiller, en tout cas très loin dans l’ordre hiérarchique, alors que le moment était historique et que le président de la République c’est, dit-on, la rencontre d’un homme et d’un peuple ? Plutôt que le « porte-parole » on eût préféré celui qui porte légitimement la parole, plutôt qu’un communiqué, on aurait souhaité que le président de la République nous regardât les yeux dans les yeux, afin que nous puissions tenter de juger sa sincérité à travers son ton sa voix et son regard !
Bien entendu lorsqu’un chef d’Etat s’exprime, dans un moment aussi solennel, ce ne peut être que pour réaffirmer des principes et prendre des décisions car gouverner c’est d’abord décider. Nous vivons sous un régime hyper présidentiel, les compétences du président sont nombreuses et parmi elles, il y a celle que lui a rappelée le Conseil constitutionnel qui est de fixer le calendrier électoral. On ne peut pas avoir été un impérieux Jupiter pendant douze ans et se muer subitement en un simple mortel paterne envers ses contempteurs et soumis à leurs humeurs. Le président de la République aurait pu ainsi faire l’économie d’une conférence de presse improvisée et dont le format et le casting donnent l’impression d’une cérémonie préalablement scénarisée. Tout le monde sait que ce n’est pas en lisant le journal Le Soleil ou en écoutant et en regardant la RTS qu’on est le mieux informé sur ce qui se passe au Sénégal et les questions que posent les représentants de deux organes de presse embedded au pouvoir ne peuvent être qu’une pale émanation de celles qui agitent les Sénégalais.
Et qu’aurait pu dire le président de la République, dès le 15 février, et qu’aucune autre autorité ne pourrait dire à sa place et que quelquefois il a esquissé sans en tirer les conséquences ?
Qu’il est, comme le chante depuis des années un célèbre « communicateur social », le gardien de la Constitution et qu’à ce titre il s’est fait le devoir d’être le premier à la respecter. Qu’il a fait son mea culpa, mais que s’il a pu se tromper, il était de bonne foi, exclusivement préoccupé par le souci de restaurer l’équité et de conforter les institutions, même si cela doit se faire au détriment de sa réputation. Que s’il a tenté de modifier le calendrier électoral, son engagement de quitter le pouvoir à la fin de son mandat est ferme, définitif et irrévocable. Ce n’est d’ailleurs pas une concession de sa part, c’est une exigence républicaine.
Beaucoup parmi nous auraient applaudi, d’autres sans doute auraient encore continué à douter de sa bonne foi, mais sa démarche aurait sauvé ce qui pouvait encore être sauvé. Quand le premier citoyen d’un pays reconnait une erreur et affirme, publiquement et avec force que ses intentions étaient pures, on ne peut pas rester indifférent. Quand il ajoute que pour sa part il respecte la constitution et qu’il invite ses adversaires à en faire autant, à toutes les occasions, c’est comme s’il leur lançait un défi. Quand il poursuit sa péroraison en disant que c’est précisément parce qu’il respecte la Constitution, dans sa lettre et dans son esprit et qu’il n’a nulle intention de remettre en cause la date de la fin de son mandat, il peut se permettre d’appeler ses adversaires à consentir, à leur tour, à des sacrifices, notamment d’ego, à accepter des compromis, qui pourraient être, notamment, la réduction de la durée de la campagne électorale, l’engagement de la rendre moins folklorique et plus paisible en témoignage de solidarité envers les deux communautés religieuses du pays qui seraient alors confrontées aux rigueurs du carême, à respecter les institutions et à combattre la violence d’où qu’elle vienne…
Quand enfin, pour conclure, il rappelle que pour arriver au but il faut faire le chemin, que ce chemin s’achève le 2 avril, qui pourrait trouver à redire si, comme il l’avait fait librement quelques mois auparavant, il proclame un calendrier électoral exclusivement fondé sur cette exigence ? Il aurait ce faisant fait l’économie d’un dialogue aux contours indéfinis et auquel beaucoup ne croient plus et ne pas promettre plus que ce qu’il peut tenir. Il aurait pu achever son mandat sans être peut-être auréolé de gloire, mais il aurait respecté ses engagements et sauvé ce qui lui reste d’honneur !
Mais, plus important que sa personne, il aurait restitué au peuple le pouvoir souverain de choisir ses dirigeants…