2023 aura été une année noire pour les activistes, les opposants et les journalistes sénégalais. Convocations, arrestations, garde à vue, inculpation, mandat de dépôt, citation directe ou verticale… Des délits d’opinion et des accusations de droit commun les conduisent derrière les barreaux, entre janvier et décembre. Plongée au cœur de l’actualité politico-judiciaire ayant marqué l’année finissante !
Leurs arrestations ont mis en branle toutes les unités de la Police judiciaire et des corps d’élite : La Sûreté urbaine, la DIC, la Section de recherches, la Brigade de recherches, la BIP, le GIGN, la BAG, la police de l’air et des frontières. Association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’Etat, terrorisme, appel à l’insurrection… Le délit et le crime n’ont pas d’âge chez ces prisonniers spéciaux, appelés «détenus politiques» ou «prisonniers d’opinion».
A la date du 4 septembre 2023, on comptait 13.185 détenus dans les 37 prisons sénégalaises. Les détenus provisoires, c’est-à-dire qui ne sont pas encore jugés, représentaient 7096, dont 53,82% de l’effectif global. Quant aux individus déjà jugés, ils étaient dans l’ordre de 6089 condamnés. Au dernier recensement dévoilé lors de la conférence annuelle des chefs de parquets, on compte 15 mille détenus dont 6000 en attente de jugement. Les détenus dits politiques représentent une part importante de cet effectif.
Au premier trimestre de 2023, le bilan des interpellations était établi comme suit : Dakar : 500 arrestations enregistrées et plus de 200 mandats de dépôt délivrés. Pikine-Guédiawaye : 15 arrestations dont 12 mandats de dépôt et 3 contrôles judiciaires servis aux manifestants. Saint-Louis : 50 arrestations impliquant 21 mineurs et 28 mandats de dépôt lancés. Axe Diourbel-Thiès-Mbour-Tivaouane-Mbacké : 69 arrestations contre 54 mandats de dépôt servis. Axe Ziguinchor-Kolda-Sédhiou : 106 arrestations, 64 mandats de dépôt et 32 mineurs remis en liberté provisoire.
Enseignants, imams, maires, cadres de l’Administration… au gnouf
On retrouve diverses catégories socio-professionnelles dans les rangs des détenus politiques. Des cadres de l’Administration tels que Bassirou Diomaye FAYE, Ndongo DIOP ou encore le contrôleur des impôts Mamadou DIOP. Des hommes de médias comme Modou NDIAYE (Bambey-Tv) et Maty SARR NIANG (Kewoulo). Des enseignants à l’image d’Alassane NDOUR, prof de Maths et PC au Cem de Méréto ; de Modou NDIAYE et du professeur Cheikh Oumar DIAGNE. Des maires parmi lesquels Djamil SANE des Parcelles-Assainies ; Mouhamed Bilal DIATTA de Keur Massar ; Amadou SANE de Diacounda ; Abdoulaye COLY de Suel et Alpha Bocar Khouma dit Pape SOW de Sangalcam, récemment libéré.
Des activistes dont Abdou Karim GUEYE (Nitou Dëg Valeurs), Tidiane DIA (Y en a marre) ainsi que les membres de FRAPP : Bentaleb SOW, Hannibal DJIM, Amadou Tom MBODJ, Sidy GAYE, Cheikh Tidiane GAYE, Beyna GUEYE et la Française Coline FAY. Des hommes religieux de la trempe de l’animateur Oustaz Assane SECK, Cheikh Omar Bamba DIOP et Ibrahima GUEYE Naye Leer. Des lutteurs, des anciens militaires, des élèves, des étudiants et même des étrangers sont passés par la case prison.
Ils sont répartis en 13 groupes, ventilés dans 15 prisons
Ces détenus spéciaux sont répartis en 13 groupes. Le plus ancien est la Force spéciale et ses 14 suspects. Viennent ensuite le gang de Commando Pastef, les victimes collatérales de Sweet Beauty, les manifestants du 16 mars arrêtés dans le cadre du procès pour diffamation Sonko-Mame Mbaye Niang, le groupe des prisonnières politiques, les fabricants de cocktails Molotov, les victimes de l’article 80, les complices présumés de Juan Branco, les bras financiers de Pastef ou encore les terroristes présumés.
Les détenus dits politiques sont incarcérés dans, au moins, 15 prisons distinctes. Le plus grand nombre se trouve à la prison centrale de Rebeuss. Parmi eux : Fadilou KEITA, Hannibal DJIM, Yarga SY, Azoura FALL, Toussaint MANGA, Pape Ousmane SECK, Ndongo DIOP, NITDOFF, etc. Au Cap Manuel, on retrouve Ousmane SONKO et son lieutenant Bassirou Diomaye FAYE. Et aussi Pr Cheikh Oumar DIAGNE et Aliou SANE. A la prison de Ziguinchor, il y a 32 détenus politiques dont 6 mineurs. Parmi eux Amadou Tom MBODJ alias «Dommi rewmi». Mais également le maire de Diacounda, Amadou SANE et l’adjoint au maire de Suel, Abdoulaye COLY. A la prison de Tambacounda, sur les 500 pensionnaires, il y a 30 détenus politiques dont 10 femmes. Fatima Zahra WAGUE en fait partie.
Tous les manifestants arrêtés à Touba, à Mbacké et environs ont été détenus à la Maison d’arrêt et de correction de Diourbel. Sur les 54 individus incarcérés depuis février 2023, il n’en reste que six en détention. Bassirou THIAM a été cloué entre quatre murs le 02 mai 2023, lors des manifestations à la sous-préfecture de Ndame. Quant à eux, Babacar SEYE, Gora KA, Khadim NDIAYE, Mbeubou DIOP et Modou TOURE ont tous été mis au gnouf le 1e juin, dans le cadre des remous nés du verdict de condamnation de Sonko dans l’affaire Sweet Beauty. Les autres ont été libérés en même temps que Serigne Assane MBACKE, son chauffeur (Serigne Abdou Lahat MBACKE) et sa secrétaire (Sokhna DIOP). Les uns ont été élargis à la veille du grand magal de Touba dernier, les autres au lendemain.
Les prisonnières politiques sont détenues, en majorité, à la maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6. On les retrouve également à Rufisque (Khadidiatou DIALLO et Ndèye Marie SAGNA) et dans d’autres pénitenciers. Tandis qu’Abdou Karim GUEYE et Oustaz Assane SECK se trouvent à la Maison de correction de Sébikhotane, le camp pénal de Liberté 6 accueille Ousmane Kabilline DIATTA et Kaba DIAKITE, tous accusés de faits liés au terrorisme.
Année de la traque des journalistes critiques
L’histoire retiendra et racontera que 2023 aura été une année charnière pour les hommes de médias. Les journalistes Pape Alé NIANG, Serigne Saliou GUEYE, Pape SANE, Babacar TOURE, Moustapha DIOP, Matar CISSE et les chroniqueurs Cheikh Bara NDIAYE et Thioro Mandella DIOUF ont payé un lourd tribut, au nom du devoir d’informer. Mais ils ne sont pas tous passés par la case prison. D’autres hommes de médias sont toujours en prison dont l’administrateur de Bambey-Tv Modou NDIAYE et Maty Sarr NIANG de Kewoulo.
Pas de liberté provisoire !
Toutes ces personnes qui restent encore en prison espèrent retrouver la liberté après l’élection présidentielle du 25 février 2024, à la faveur d’un changement de régime. Parce que des dizaines de demandes de liberté provisoire ne connaissent pas la suite favorable attendue. L’exemple par les affaires Bassirou Diomaye FAYE, Cheikh Oumar DIAGNE, Abdou Karim GUEYE, Hannibal DJIM, Fadilou KEITA, Pape Mamadou SECK, Pape Abdoulaye TOURE. D’autres requêtes portant le même objet sont, cependant, en cours d’examen.
Pour ces détenus spéciaux, la remise en liberté est conditionnée à des critères stricts, selon leurs avocats. La personne «doit être régulièrement domiciliée». Sa libération ne doit ni porter entrave au bon déroulement de l’enquête, ni occasionner un trouble à l’ordre public, encore moins susciter une entente préalable avec les témoins. Bref, ils doivent présenter des «garanties sérieuses de représentation en Justice».
Cascade de libérations, entre septembre et décembre
Les derniers mois de l’année ont été marqués par une vague de libération. La dernière cohorte a été les 17 pro-SONKO relaxés par le tribunal de Dakar dont Yarga SY qui reste tout de même en détention, parce que détenu pour autre cause. Auparavant, Birame Souley DIOP, Diop Taïf, Falla Fleur, Maïmouna DIEYE, Pascaline DIATTA, Fatou Kiné DIAGNE, Aïssatou SANE, Mame Bineta DJIBA, Adji Dialika NDAO, Amy Collé BABENE ainsi que les 15 femmes du bois sacrés ont été élargis. El Malick NDIAYE, l’avocat Babacar NDIAYE et Assane DIOUF ont échappé à la prison. Plusieurs libérations sous contrôle judiciaire ou bracelet électronqiue sont notées au premier semestre de l’année.
La liste des «exilés politiques» s’allonge
A ce jour, nombreux sont les Sénégalais qui préfèrent fuir que d’être les otages d’un régime politique. A la première loge des exilés politiques (volontaires ou forcés ?) se trouvent le greffier Ngagne Demba TOURE, la maire de Golf-Sud Khadija Mahécor DIOUF, la Patriote Mame Diarra GUEYE, le président de l’ASRED Ibrahima SALL et autres.
Ils sont tout aussi nombreux ces Sénégalais bloqués à l’étranger, sous peine d’être envoyés en prison dès qu’ils rentrent au pays. Cités dans l’enquête sur la Force spéciale, Aliou Dounkhaf, Ousmane DIOUF, Khadim NDIAYE, Babacar BA, Ousseynou SECK alias Akhenaton et Max Killuminati en font partie. Ils sont tous sous le coup de mandats d’arrêt qui leur contraint de rester loin de leurs familles.
Des accords de coopération judiciaire sont signés entre le Sénégal et plusieurs pays dont la France, en vue de l’extradition des activistes de la diaspora. Akhenaton, Mamadou NIASS dit Mollah Morgun, Dji-Dji, Tounkara ou encore Lassana FOFANA alias Kayz Fof doivent bien surveiller leurs arrières.
Pape NDIAYE