Le 04 décembre prochain, le Groupe WalFadjri se souviendra de son fondateur, décédé cinq années auparavant. Une occasion saisie par le Groupe, à travers son département Walf Editions, pour dédicacer l’ouvrage posthume et inédit de celui qui aura consacré une bonne partie de sa vie à l’écriture et à la méditation intellectuelle. Préfacé par l’éminent philosophe, Souleymane Bachir Diagne, le livre se veut une réplique aux grands penseurs Francis Fukuyama et Samuel Huntington qui avaient prédit la fin du monde avec la victoire du libéralisme qui, comme doctrine politique et économique ainsi que mode de pensée, allait prendre le dessus sur les autres. Sidy Lamine n’a pas répliqué pour le simple plaisir de le faire. Il y va avec forces arguments et anecdotes tirés de l’actualité internationale des dernières années. WalfNet vous livre, en exclusivité, les bonnes feuilles.
Le monde d’aujourd’hui, en déperdition, cherche une bouée de sauvetage dans une mer agitée. Certains ont cru, pendant un certain temps, à la solution matérialiste, convaincus qu’ils ont été que les errements et l’angoisse ont pour origine la pauvreté. Ainsi, les philosophes se sont livrés à un jeu d’enfants et, derrière eux, l’humanité se perd. Les discours sur le matérialisme dialectique et le matérialisme historique avec les thèses de Karl Marx ont pris de la place: on parle alors de société primitive, de féodalité, de capitalisme ou d’impérialisme. On répandra de telles thèses à travers la presse et La Pravda sera leur fer de lance. Des images et des voix ont fait le tour de la planète, d’est en ouest, jusqu’à ce que certains aient cru apercevoir de l’eau là où il n’y avait que mirage. Et l’on s’en est rendu très vite compte quand le mur de Berlin s’est écroulé. Le puissant empire soviétique s’effondra, ainsi que la muraille de Chine, tout comme les forêts de Cuba.
On parlera, alors, de la fin de l’histoire, car le monde n’est plus bipolaire. Le capitalisme triomphant de se vanter devant toutes les civilisations, comme étant la brique avec laquelle la construction du temple sera accomplie. Ainsi s’est répandue la chanson de la démocratie, du libéralisme ainsi que les anti valeurs et autres pratiques immorales afin que le monde devienne un monde sans valeurs, où les moyens et la fin en soi sont devenus le produit matériel et où il n’existe de lois que celle de l’offre et de la demande. Le matérialisme revient alors sous une autre forme, avec le phénomène d’une nouvelle presse et des moyens de communication, à travers le satellite, qui a transformé l’univers en un village planétaire, dans lequel, les voix, les images et les écrits voguent à travers le net, le satellite et le cellulaire. Et, une presse de propagande a cherché à transformer l’homme en un animal avide de proie et la matière en une bande dessinée attractive.
Mais, l’Amérique qui prétendait maîtriser la sécurité et le bien-être et qui s’érigeait en seul gendarme capable de sécuriser le monde, a vu les murs de Manhattan s’effondrer sous ses pieds, ainsi que ceux du Pentagone et de la Maison blanche. Depuis lors, l’Occident a peur et observe tout !
L’irréversibilité de l’aurore
Face à tout cela, s’est incrusté un flou entraîné par le fait que la solution est trop visible. C’est ce qui reste des valeurs et du bien qui constitue le secret sublime et le trésor caché.
Au début de la créature, la vie tournait autour de la recherche des valeurs cachées. Ainsi commença la tragédie de l’histoire. A cette époque, le diable avait cru au matérialisme et avait adoré le feu qu’il considérait comme une fin en soi. Ainsi, l’esprit fut négligé au profit du corps et du physique. Le mal eut droit de cité sur terre, la gabegie se répandit et le sang coula à flots. A l’opposé de la sublimation et de la sainteté, le diable avait trouvé refuge dans cette pratique jusqu’à obtenir le rang d’ange qui est plus proche de Dieu qui avait décidé de ce qu’il avait voulu décider. Et il se choisira un vicaire. Son choix aura surpris plus d’un, car étant porté sur l’argile noire qui va bénéficier de l’esprit qu’il lui insuffla en plus du choix de diriger. Ainsi, commença la confrontation entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal. Et ce qui sortira de cette confrontation sera le savoir : «Nous avons fait savoir à Adan tous les noms.»
Et ce fut l’annonce d’une vie difficile sur terre et d’une scène rude, mais exaltante. Survint alors le rôle des messagers, des prophètes et des saints qui se succédèrent jusqu’à ce qu’ils connaissent le salut. Le temps de l’observation et de l’attente commença et l’on se cramponna à la voie droite qui a vu cheminer «de grands hommes dont certains sont déjà passés alors que d’autres attendent encore, mais ne s’en sont jamais détournés».
Cette histoire se conjugue avec ses trois phases : celle des messagers, celle de la prophétie et celle des saints qui, tantôt s’associent, tantôt se dissocient. Car, chaque messager est prophète et saint en même temps, et chaque prophète est aussi saint et chaque saint reste saint ; et fort demeure le cordon ombilical reliant le donneur et le receveur. L’homme se loge ainsi dans un état d’esprit très élevé comme étant le serviteur : «Sublime soit-il, celui qui a fait voyager son serviteur !» A l’opposé, il y a l’histoire dialectique, avec ses hauts et ses bas, des mannes qui se transforment en catastrophes sur tous les échelons, de la crise vivrière à celle financière, en passant par celles économique et politique. Dès lors, où trouver refuge ?
La situation de l’humanité s’éclaircit chaque fois que l’aurore se rapproche et que le fil blanc se distingue du fil noir dans l’ultime phase de la nuit. La matière qui est accidentelle et éphémère ne peut pas être une fin en soi, comme la créature ne peut pas être créatrice en même temps. Les propagandistes n’ont pas raison, quelle que soit la grandeur de leur caisse de résonance et son développement, que leurs écoles de propagande se multiplient ou qu’elles se fondent sur des laboratoires qui expérimentent des animaux comme la thèse de Pavlov et celle de John Wayne. L’écriture et le discours ont pris une vaste place dans leur propagande et l’éloquence ressemble, à bien des égards, à la magie. Cependant, la monotonie et la répétition font perdre à la magie son pouvoir.
Or, pour que l’être humain puisse conserver sa dimension humaine, il faut que la demande se renouvelle. La soif d’une alternative qui fait revivre le cœur et qui élève l’esprit est un dénominateur commun, et la religion est devenue ce musée authentique qui fait que tout un chacun devient un gardien pour le patrimoine des anciens. Ce qui nous fait reprendre le verset coranique : «Nous avons trouvé nos ancêtres dans cette tradition, et nous les y suivons.»
L’apocalypse salvatrice, couronnement de la mondialisation
Il fut un moment où les connaissances devenaient de l’encre versée sur du papier et des villes de l’Orient étaient prises dans des embouteillages. Bagdad secouée, les sites de connaissances répandus partout, la vanité dans l’art et le savoir devenus le chemin menant à la célébrité et à la richesse, des hommes se bousculaient vers ce phénomène qui avait fini par couvrir tous les horizons. C’est dans cet environnement qu’un homme s’était distingué par son savoir intarissable et par son art élevé : l’Imam Ghazali. Et il partit pour une retraite spirituelle. Il s’est enfermé pendant une bonne dizaine d’années, avant de sortir avec l’aide divine pour annoncer la «revivification des sciences religieuses».
Le cri de l’Imam Ghazali a réveillé des dormeurs brusquement sortis d’un lourd sommeil. Il précéda donc l’Occident qui s’inspirera plus tard de sa pensée, c’est-à-dire de sa démarche vers le doute méthodique. De même, l’Occident plagia Haladji qui fut le premier à évoquer le moi et l’égo qui pose la responsabilité, et qui fut le point de départ de Descartes et de son cartésianisme qui est devenu un modèle à suivre pour la rationalité et l’objectivité. Et ce modèle est notre produit ; les empreintes que nous y avons laissées le démontrent.
L’histoire de l’Islam en Occident a démontré la vitalité de cette religion, où les hommes mystiques qui ont associé la foi et la raison, ont légué un patrimoine inestimable, plein de bienfaits pour l’humanité. Jabir Ibn Hayane, inventeur de l’algèbre, et Ibn Sina alias Avicens sont des hommes mystiques qui ont justifié la vivacité de cette voie mystique qui est synonyme d’humilité et de vie, et qui constitue un catalyseur qui transforme le fer en or et la pierre en diamant. Le message de l’apocalypse salvatrice est venu pour couronner le mysticisme ; ce qui était difficile est devenu facile et ce qui était rare est devenu abondant. Et il fait jour, les serrures ont sauté devant l’Ouvrant et le Sceau, devant le Victorieux et le Guide. On éleva des hommes sans qu’ils aient besoin d’observer une retraite. La volonté d’effacement et d’affirmation se retrouve. «Et on verra les hommes qui embrassent la religion d’Allah en vague.»
Le cri des opprimés a revivifié les cœurs et élevé les esprits. Car c’est la bonne parole dont les racines sont profondes et immuables. Si le contenant est en place, que la terre est préparée à cela, la sagesse et les modèles font le tour de la terre, il ne reste alors plus que la perle pour qui tout ceci a été préparé. Car le rapport de causalité l’exige.
Le développement technologique qui transforme le monde en un tour de main n’est pas le fait du hasard, ni une fin en soi, mais plutôt quelque chose que Jacob avait pressenti. Et j’abonde dans le même sens que l’écrivain El Hadji Mohamed Khalifa Niasse de Kaolack (Sénégal) qui disait à propos de la prière d’Ouvrant dans son livre Arme d’éclaireur : «On trouve des sentences à l’attente d’une cause et qui se retardent à l’affermissement de cette même cause.» (…)
Pour Samuel Huntington, la chute du mur de Berlin annonce le passage d’un monde caractérisé par des clivages idéologiques entre communisme et capitalisme, entre impérialisme et anti-impérialisme, à un monde marqué par des clivages culturels. «Pour la première fois dans l’histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multicivilisationnelle». A l’appui de sa thèse, il montre que la fin des idéologies s’est accompagnée d’une résurgence des sentiments identitaires, que ce soit dans le monde musulman avec le réveil de l’islam radical, ou en Asie ou encore dans les pays d’Europe orientale (comme la Pologne par exemple), qui ont fait leur révolution au nom de leur nation et de leur culture. Mais ce réveil identitaire ne s’affirme plus par le biais des nations, comme aux XIXe et XXe siècles, ni par celui des ethnies, mais à l’échelle civilisationnelle, du fait de la mondialisation des échanges. Or, pour Samuel Huntington, les civilisations ont toutes pour origine une grande religion qui en forme le socle moral et politique. Pour lui, on a, certes, assisté à la fin de la guerre des idéologies avec la chute du mur de Berlin. Cependant, la guerre culturelle, elle, est toujours de mise. Et elle fonde sa théorie du choc des civilisations qui a comme soubassement le choc des cultures. Parmi ces cultures, il s’est beaucoup appesanti sur l’Islam qu’il a considéré comme le plus sanglant. Une thèse qui sera renforcée quelques années plus tard par les attentats du World Trade Center, aux Etats-Unis d’Amérique, le 11 septembre 2001.
Ce que Fukuyama et Huntington ont semblé ignorer, c’est qu’avec la chute du mur de Berlin, le monde est devenu unipolaire, dominé par une seule puissance, celle occidentale. Une situation dont va profiter le messianisme auquel appartient le Président américain George W. Bush, pour émerger. Les messianistes commencent par préparer la venue du messie sur la terre promise qu’ils situent en Israël. Et, parallèlement, ils ont cherché à renforcer l’Etat hébreu en vue de le préparer à cette guerre qu’ils appellent Armageddon, et qui est considérée comme la fin des temps. Une guerre prise en charge par la Maison blanche jusque dans certaines dénominations, ainsi que le révèlera Grace Hersen dans son livre Prophecy in religion. Il en est ainsi quand l’administration américaine classe la Libye, l’Irak et l’Iran dans «L’Axe du Mal» aux côtés de la Corée du Nord.
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Nous sommes, certes, dans un monde d’injustice et d’iniquité, et ce n’est pas nouveau. Nous avons connu toutes sortes de systèmes politique, économique et social. Mais des systèmes qui ont fini par connaître le chant du cygne parce que devenus oppressifs au point de franchir le rubicond. Seulement, aujourd’hui, avec la mondialisation, nous n’assistons plus à un changement dans un endroit du monde ou même dans un secteur, mais plutôt à un changement général. Nous sommes dans une globalisation où l’individualité s’efface au profit de la communauté. En s’attaquant à une seule personne, d’autres se sentent atteintes par ricochet.
L’illustration la plus parfaite en a été donnée en Tunisie, sur les bords de la Méditerranée, par le cas de Mohamed Bouazizi. Comme tout citoyen lambda, ce jeune Tunisien a fréquenté les bancs de l’école et en est sorti avec un très bon niveau. Dans son pays, la Tunisie, un pays du tiers-monde, il a cherché du travail, il n’en a pas trouvé. Puisque le système dans lequel il évolue, n’en a pas fait un privilégié. Il lui fallait plus que des diplômes, le bras long, pour faire droit à son droit au travail. Parce que, dans ce pays méditerranéen, on ne se prévaut pas d’un droit pour y accéder, on le quémande. Nous sommes dans un monde en crise, où tout n’est pas rose, certes. Mais, avec un minimum de justice dans la répartition des biens, avec une bonne gouvernance, il aurait été possible de donner un emploi à des hommes comme Bouazizi.
Mohamed Bouazizi n’est pas n’importe qui. C’est quelqu’un qui tient à ses principes, à sa dignité. Qu’a-t-il fait pour échapper au désœuvrement, au chômage endémique dans ces pays du tiers-monde où les passe-droits priment sur le droit ? Il est devenu marchand ambulant et a vendu des fruits et légumes dans la rue comme n’importe quel citoyen ordinaire tunisien. Il a accepté de faire le minimum pour survivre. Mais, même à ce stade, il n’a pas été épargné par l’injustice. C’est ainsi que son étal de fruits et légumes a été saisi le 17 décembre 2010 pour défaut de licence, par la police municipale de Sidi Bouzid, dans le centre-ouest de la Tunisie. Quand il s’est élevé contre cette injustice, il a eu droit à une gifle de la part d’un agent de police. Humilié et révolté, il a fini par s’immoler par le feu. Quand le président de la Tunisie, Zine El Abidine Ben Ali, en a été informé, il a répondu de but en blanc : «C’est son affaire». Il a banalisé ce drame, se demandant ce qu’il pouvait bien faire avec quelqu’un qui s’immole. Il n’a rien ressenti. Il en a même ri, puisque se disant que ceux qui s’immolent par le feu n’ont pas toute leur tête avec eux, ils sont fous. Malheureusement, telle est la réaction habituelle des hommes du système. Ce sont les explications qu’ils donnent quand des gens s’immolent. La même chose est arrivée avec Bouazizi.
Sauf que cette fois-ci, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Dès qu’il a succombé à ses blessures le 4 janvier 2011, nombreux ont été les Tunisiens qui se sont reconnus dans sa situation. Chacun s’est dit : «Moi aussi, je suis un Bouazizi, j’ai subi une injustice». Et c’est ainsi qu’est né un mouvement spontané qui s’est répandu à travers toute la Tunisie. Il est devenu une véritable lame de fond, aidé en cela par la mondialisation avec les nouvelles technologies de la communication, notamment l’Internet, Facebook particulièrement, qui ont alimenté ce mouvement de révolte. Des jeunes de 18 ans et plus se sont passé l’information, l’ont analysée à leur manière, avant d’exprimer leur ras-le bol. Et la révolution dite du Jasmin s’est mise en branle. Sous la poussée de la rue qui ne désarmera point, le chef de l’Etat tunisien est renversé le 17 janvier 2011 et s’enfuit en Arabie saoudite où il vit en exil.
Depuis lors, le monde arabe est en ébullition. C’est la révolution un peu partout. Quelquefois, les accouchements ont été faciles comme en Tunisie et en Egypte où le pouvoir a basculé rapidement. D’autres fois, ils peuvent être compliqués comme au Yémen où le face-à-face entre partisans et adversaires de la révolution perdurera ou, comme en Syrie, où une violente répression s’abattra sur les manifestants avec son lot de morts. Mais dans certains cas, comme en Libye, la révolution n’est pas partie du peuple, elle a été imposée par les Etats-Unis d’Amérique, la France et l’Angleterre, s’appuyant sur leur bras armé, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan). Tous ces pays arabes ont un dénominateur commun : les régimes contestés se réclament des différentes variantes du socialisme. Or l’année 2011 marque la fin du socialisme.
Trois de ces pays, à savoir la Tunisie et l’Egypte qui ont fait leur révolution entre le 14 et le 25 janvier 2011 ainsi que la Libye, au centre de la tourmente depuis le 17 février 2011, sont des pays africains. Et les autres pays du continent africain, à l’image de la Côte d’Ivoire qui a vécu des jours très sombres entre les mois de décembre 2010 et d’avril 2011 et du Burkina Faso où la soldatesque a pris en otage tout un système, ne sont pas à l’abri de tels soubresauts. Le Sénégal non plus. D’autant que, dans tous ces pays sous-développés, nous vivons la fin des partis politiques et des institutions républicaines qui ont perdu tout ou partie de leur crédibilité. Naguère, on pouvait parler de l’Assemblée du peuple, du gouvernement du peuple, de la justice du peuple parce que ces institutions tiraient leur légitimité de ce peuple. Plus maintenant. Avec une constitution taillable à souhait, un Parlement soumis à la volonté du Prince, une justice aux ordres et un gouvernement devenu un simple lieu de partage du gâteau, le peuple qui avait délégué ses pouvoirs à ces institutions a fini par leur tourner le dos. Il ne se reconnaît plus dans ces institutions et commence à leur arracher ce qui lui appartient. Pour quelle alternative ? La grande révolution. Et elle arrive avec ses effets dévastateurs et refondateurs en même temps. Comme quand de grandes révolutions, à l’image de celle française, sont venues faire table rase de systèmes millénaires. Liberté, fraternité et égalité étaient, alors, leur credo. Des mots aujourd’hui galvaudés, dont il s’agit de rétablir le sens originel, dans un monde en pleine mutation.