Ecrire n’est pas chose facile. Et le paradoxe, c’est que Moustapha Diop est un journaliste formé dans le moule de la presse écrite. Walf Editions, le dernier né des supports du groupe, lui met le pied à l’étrier. Et lui permet de mettre en rayons un ouvrage de 121 pages, condensé d’expériences, d’anecdotes, d’analyses factuelles et de perspectives dont WalfNet vous livre, en exclusivité, les bonnes feuilles.
Le monde s’effondre : Sidy Lamine n’est plus !
Le mardi 4 décembre, on apprend la mauvaise nouvelle : le décès de Sidy Lamine Niasse. Comme pour dire que ce fut un tremblement de terre. J’avais ouï-dire que Sidy était alité. Quand je l’appelle pour prendre de ses nouvelles, il me dit : «Mustafaa man kay, danga jog ci lal bi rek ma remplacé la» (Je t’ai remplacé au lit). Parce que, quelques jours auparavant, je lui avais dit que j’étais malade. C’est en ce moment qu’il me dit qu’il avait fait un accident chez lui. Au téléphone, il me raconte comment ça s’est passé. Puis, me rassure : «Je vais bien en ce moment. Je pense même reprendre le travail très bientôt.» Il m’a même raconté comment il s’est rendu à Tivaouane pour animer une conférence, accompagné d’Oustaze Hady Niass, alors qu’il avait le bras immobilisé. Il me dit : «Quand Tivaouane me choisit pour faire un travail, je n’ai pas d’excuses à faire valoir, il faut que j’y aille.» Il ajoute : «J’avais décidé de partir avec Hady Niass à Tivaouane. Comme ça, si je n’y arrive pas, je laisse Hady faire la conférence.» Finalement, c’est lui-même qui a animé la conférence. Ensuite, il est rentré chez lui.
(…)
Le jour du décès, je me lève comme tous les jours pour déposer mes enfants à l’école. En rentrant, je passe par la Brioche dorée d’Ouest-Foire. Quand j’entre dans la boulangerie, je vois que les gens sont en train de regarder Walf TV. J’ai vu que c’est l’émission Petit-déj qui passait. Alors je rentre chez moi, je prends mon petit-déjeuner. Comme je dois travailler à 15 h, je me rendors, en prenant soin de mettre le téléphone en mode silencieux, pour ne pas être dérangé. C’est ce que je fais toujours. C’est un peu un mode de vie chez moi ! Vers 9 h, quelqu’un sonne à la porte avec insistance. J’entends ma belle-mère demander à ma femme : «Où est Moustapha ? Où est Moustapha ?» Ma femme lui dit que je suis en train de dormir dans la chambre. J’entends ma belle-mère répéter : «Est-ce qu’il est au courant ?» C’est en ce moment que je suis sorti de ma chambre et ai demandé à ma tante ce qui se passe. Elle me dit qu’on a annoncé à la radio Walf FM (pendant l’émission Questions aux auditeurs) que Sidy Lamine est malade. Et tout de suite, je réalise qu’il est décédé. Parce que «Sidy Lamine est malade», on ne l’annonce pas à la radio. Je regarde mon téléphone et je vois qu’il y a eu au moins 97 appels en absence.
Donc, au moment où je dormais, tout le Sénégal m’appelait, en fait. Ce fut comme un tremblement de terre. Sidy Lamine, avec tout ce qu’il représente pour nous, le groupe Wal Fadjri et pour le Sénégal… Tu n’es pas préparé à ça – surtout que tu lui as parlé au téléphone quelques jours auparavant. Alors, je sors de chez moi pour aller à Walf.
Ce qui m’étonne, c’est que, jusque-là, je n’ai pas versé une seule goutte de larme. Partout où je passe, je vois que les gens ont le transistor collé à l’oreille. Et quand j’arrive au groupe, je remarque qu’il y a déjà un monde fou devant les locaux. Je prends les escaliers et je croise Lamine Diawara qui est aujourd’hui le président du fan-club de Wal Fadjri. Il me serre de toutes ses forces et commence à pleurer comme un enfant. C’est en ce moment que j’ai pleuré. Car je commence à mesurer la gravité de la situation. J’entre dans le studio, participe à l’édition spéciale. Ma mère m’appelait avec insistance. Quand je sors, elle me dit qu’elle est sous tension et qu’elle pleure depuis 8 h 30-9 h. Elle n’avait pas la bonne information. Parce qu’elle était en train de suivre l’émission Petit-déj et subitement la dame qui animait l’émission a dit : «Nous sommes obligés d’arrêter l’émission parce qu’il y a une mauvaise nouvelle qui vient de tomber.» Sans jamais dire laquelle. Et ma mère, puisqu’elle appelait avec insistance et que je ne répondais pas, a appelé ma femme. Ne parvenant pas à l’avoir, elle commence à se poser des questions. Et c’est tardivement qu’elle a su que c’est Sidy qui est décédé.
Mais, je crois que Sidy Lamine nous avait préparés à cela. Parce que dès qu’il a vu que la radio a commencé à décoller un peu, il a convoqué une réunion et nous a dit : «Il faut qu’il y ait une permutation des équipes. Moustapha va diriger l’équipe de la télé ; Ousmane Sène va aller à la radio.» Je lui ai dit que je ne me voyais pas faire ce travail. Car ceux qui dirigeaient l’équipe de la télé, à savoir Ousmane Sène et son équipe, s’y connaissent mieux, sont plus talentueux et ont plus d’expérience que moi. Donc, je ne vois pas ce que je pouvais faire à leur place. Mais Sidy Lamine y tenait beaucoup, il a insisté et finalement il l’a fait. Avant qu’il ne tombe malade, Sidy m’a, un jour, parlé de Walf des années à venir. Il m’a dit : «Je ne souhaite pas qu’il m’arrive ce qui est arrivé à Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niass et consorts. Je ne veux pas diriger Walf au-delà de 70 ans.» Et ce jour, je me souviens, il me présentait le diplôme d’avocat de son fils Cheikh Niass. Je lui ai dit : il faut penser à Cheikh Niass pour la relève. Il m’a répondu : «Moustapha, ce que je veux, c’est mettre Wal Fadjri entre vos mains.» Quand il dit «vos mains», il parlait de nous tous qui travaillions déjà avec lui. Pour lui, c’est cette génération qui devrait continuer le travail, il ne pensait pas à ses propres enfants.
Après le décès de Sidy Lamine, on a passé des jours extrêmement difficiles au groupe Walf. Et c’est en ces instants je loue le courage de Cheikh Niass. Il est rentré de Paris, il a participé aux funérailles et tout. Il a ensuite pris son courage à deux mains. Je me souviens, il avait participé à une réunion présidée par feu Abdourahmane Camara. Il a dit : «Il faut que Walf continue à vivre.» Il est devenu administrateur général du groupe et a dit : «Mon premier chantier, c’est de faire en sorte qu’aucun employé ne dise qu’il n’a pas reçu son salaire parce que Sidy n’est plus parmi nous.» Et il s’est donné les moyens d’y parvenir. D’autres ont préféré partir, mais l’essentiel de ceux qui travaillaient avec son père est resté et le groupe Walfcontinue à bien vivre grâce surtout à l’intelligence managériale de Cheikh Niass.
Gestion de l’après-Sidy
Après son décès, c’était extrêmement difficile pour le groupe Wal Fadjri, mais aussi pour sa famille. Il y a eu une polémique entre les enfants de Sidy – Cheikh Niass en tête – et la famille du défunt à Léona Niassène, avec Ahmed Khalifa Niass. Le dernier camp cité voulait que Sidy, en tant que membre de la famille religieuse, soit inhumé à Léona. Et les enfants de Sidy souhaitaient, eux, que leur père soit enterré à Yoff, parce qu’ils estimaient que Sidy Lamine était le «Sidy de tous les Sénégalais». Et ces derniers auraient plus accès à sa tombe pour se recueillir s’il était enterré à Dakar.
Le jour où l’on a programmé la levée du corps à l’hôpital Principal de Dakar pour la première fois, on est arrivé à la morgue. Il y avait un monde fou. Mais ce qui m’a un peu choqué, c’est que ni le président de la République, ni le Premier ministre, ni le ministre de la Communication n’étaient présents à la cérémonie. Pour quelqu’un comme Sidy Lamine Niass, avec ce qu’il représente et avec tout ce qu’il a fait pour le Sénégal, qu’aucune personnalité de l’État ne soit présente à la cérémonie était incompréhensible.
(…)
Devant cette situation, nous nous sommes rendus directement au cimetière de Yoff. On s’était dit que peut-être, il y aurait bientôt entente et que le corps arriverait. En cours de route, nous avons appris sur Walf FM que les autorités ont pris leurs responsabilités et ont interdit l’enterrement pour ce jour, afin de permettre à la famille de poursuivre les pourparlers afin de trouver un consensus.
C’est d’ailleurs l’occasion de rendre un hommage mérité à Abdourahmane Camara qui s’était personnellement impliqué dans toutes les discussions. Je me souviens, la nuit où Ahmed Khalifa s’était déplacé à Sacré-Cœur pour rencontrer les enfants de Sidy, Abdourahmane m’a demandé de venir avec un cameraman pour prendre la déclaration qu’Ahmed Khalifa devait faire au nom de la famille. Et c’est en ce moment que j’ai senti que la situation commençait à se décanter. Les jours qui ont suivi, un compromis a été trouvé. Il a finalement été décidé que Sidy soit enterré à Léona. Le préfet de Dakar, devenu plus tard gouverneur de Saint-Louis (Alioune Badara Samb) avait joué un rôle important dans l’encadrement de la famille de Sidy, en mettant à sa disposition un dispositif sécuritaire important qui a accompagné la dépouille de l’hôpital Principal à Léona, en passant par les locaux du groupe Wal Fadjri où le corps devait faire un dernier tour. Je me souviens de l’émotion des Sénégalais… C’était vraiment extraordinaire.
«Voix des sans voix», la ligne qui dérange
Walfadjri a connu, depuis le décès de Sidy, l’expérience malheureuse des coupures à répétition de son signal. Je crois que ces situations auraient été beaucoup plus faciles à régler de son vivant. Quand il y a eu la première coupure de trois jours, en mars 2021, c’était difficile parce que c’était nouveau pour nous. On s’est demandé comment gérer cette situation. On s’est dit alors qu’il ne faudrait pas que nos programmes s’arrêtent, il faut que l’on continue à travailler.
Venu nous rendre visite dans nos locaux, Bougane Guèye Dany, patron du groupe D-Médias et ancien de Walf, nous met la puce à l’oreille. Il nous a, en effet, suggéré de renforcer la chaine YouTube de notre télé. Ce que nous avons fait. Et cette semaine de coupure nous a permis de faire des bonds extrêmement importants sur YouTubequi nous rémunère. Je ne donnerai pas de chiffres, mais avec YouTube, Walf est aujourd’hui à plusieurs millions et cela a commencé avec les évènements de mars 2021.
En février 2023, il y a eu une autre coupure de sept jours. Nous étions en train de couvrir, à Mbacké, un meeting de Pastef, un parti avec lequel on avait un contrat pour un direct. Le meeting est interdit et il y a eu des affrontements. J’ai alors dit à notre correspondant : «Laissez les gens de Pastef tranquille et faites votre travail de journaliste !» Autrement dit, couvrir les affrontements dans les rues de Mbacké. On fait une édition spéciale sur les manifestations. Babacar Diagne du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) m’appelle et me dit : «Mon frère, j’ai appelé Cheikh Niass pour que vous arrêtiez le direct, car vous êtes en train de montrer des adolescents qui se battent avec des policiers et la loi ne vous le permet pas.» J’ai appelé Cheikh Niass qui m’a demandé de continuer de faire notre travail de journaliste. Il dit : «Si Babacar Diagne le veut, il n’a qu’à couper le signal.» Et effectivement, le président du CNRA a pris ses responsabilités et a coupé le signal.
Ensuite, il y a eu la suspension de juin 2023, qui m’a quelque peu surpris. Car une personne m’a dit que, du côté du pouvoir, qu’ils pensaient que Walf s’est entendu avec Ousmane Sonko et son parti pour aller l’interviewer à Ziguinchor. Je lui ai dit que ce n’est pas vrai ! Ça ne s’est pas passé comme ça. Il y a eu des manifestations à Ziguinchor. Notre reporter qui était là-bas n’avait pas tous les moyens nécessaires pour faire correctement son travail. On a dépêché Pierre Édouard Faye pour la couverture. Lors de notre émission Petit-déj, Pierre a fait une incursion pour nous faire une description de la situation à Ziguinchor. La présentatrice de l’émission lui a dit : «Pierre, il faut tout faire pour interviewer Ousmane Sonko.» Pierre a répondu : «Je profite de l’antenne pour dire à Ousmane Sonko que nous sommes à Ziguinchor et s’il est intéressé, nous pouvons venir le prendre.» Vers 16 h, le secrétaire national à la communication de Pastef, El Malick Ndiaye, m’appelle : «Il parait que vous êtes à Ziguinchor.» Je lui réponds que oui. Il me dit : «Est-ce que vous êtes intéressés pour une interview de Ousmane Sonko ?» Je réponds en rigolant : qui ne voudrait pas d’un entretien de Sonko, dans ce contexte-ci ? Je pense que même CNN ou France 24 ne déclinerait pas cette proposition. Nous sommes preneurs. Il me dit : «Dis à Pierre que je lui enverrai un numéro de quelqu’un qui peut venir le prendre et l’emmener chez Ousmane Sonko.»
Je pense que le pouvoir n’a pas compris comment ça s’est passé et nous aussi, on n’a pas expliqué le modus operandi. Ils ont cru que nous nous sommes entendus avec la communication de Pastef pour envoyer une équipe aller interviewer Ousmane Sonko à Ziguinchor. Et cette affaire, ils ne nous l’ont jamais pardonnée.
Quelques jours après, le leader de Pastef, qui quittait Ziguinchor pour rallier Dakar, a été arrêté et ramené chez lui. Il y a eu des violences à Dakar et on faisait une édition spéciale. J’étais chez moi. Babacar Diagne m’appelle et me dit : «J’ai entendu tes gars dire que le CNRA a coupé le signal de Walf TV, mais dites-leur que ce n’est pas vrai. Moi, je rentre comme ça d’une réunion du CNRA, mais je ne suis pas au courant d’une quelconque décision de suspension de votre signal. Je suis le président du CNRA, je sais ce que dis. Il faut appeler les autorités.» J’appelle à la radio pour leur dire que le CNRA n’a pas suspendu le signal. C’est certainement dû à un problème technique. Quelques heures plus tard, on se rend compte que le signal a été effectivement coupé. Le problème, c’est qu’on n’avait pas d’interlocuteur, ni le ministre de la Communication ni le préfet. Parce que, d’après la nouvelle loi, le préfet a la prérogative de le faire. On attend quatre-cinq jours, il n’y a aucune réaction. J’ai même appelé le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome, il ne décroche pas. Je lui laisse un message ; il n’a pas répondu jusqu’ici. Mais, en tout cas, j’ai fait ce que j’avais à faire.
Dans mon bureau, confortablement assis, mon jeune collègue Issa Tine vient, me tend le téléphone : c’est le ministre de la Communication Moussa Bocar Thiam. Il me dit : «Moustapha, tu sais, on te connait. On sait que tu es très mesuré, tu ne diras pas certaines choses. Mais il faut parler avec tes gars.» Je lui dis : «Mais attends, moi je fais mon travail. Je n’impose pas à Pape Ndiaye, Pape Matar Diallo ou Mame Birame Wathie d’avoir le même tempérament que moi. Ce sont des chroniqueurs comme moi et chacun à sa façon de parler et son tempérament.» On a discuté pendant pratiquement une dizaine de minutes, mais il ne m’a pas dit qui a coupé le signal de Walf.
Après une semaine de suspension et toujours pas d’interlocuteur, je rappelle Babacar Diagne qui me demande d’appeler Nafissatou Diouf de Télédiffusion du Sénégal (TDS). Je l’appelle. Elle me dit à son tour n’être au courant de rien. On a alors décidé d’organiser un sit-in. Il est interdit et on l’a tenu à l’intérieur de la maison (siège de Walf). Au cours de ce sit-in, Cheikh Niass dit : «Jusqu’ici, il n’y a aucune explication par rapport à la suspension de notre signal.» C’est après qu’on a reçu, le 9 juin, une notification du ministère de la Communication datée du 1er – je ne sais pas comment ils ont fait – nous reprochant d’avoir tenu des propos subversifs et montré des images violentes alors que, dans l’émission en question, il n’y avait même pas d’images. Dans ce genre de situation, vous vous dites : qu’est-ce qu’il faut faire ? Parce que, du vivant de Sidy Lamine Niass, il y a eu des contentieux très lourds avec le gouvernement de Wade, mais son gouvernement n’est jamais allé jusqu’à suspendre le signal.
(A suivre)