Bictogo, Petit Bube, Frank Timis… : Les mauvaises fréquentations de Macky
Adama Bictogo, Frank Timis, Petit Bubé. Ces hommes d’affaires, à la carte de visite trouble, ont la particularité d’avoir, un moment, traité avec le gouvernement du Sénégal. Des relations d’affaires qui se révéleront de gros scandales.
S’il y a une affaire dont se serait bien passé le gouvernement, c’est bien celle impliquant cet homme d’affaire nigérien au pedigree douteux. L’affaire met en scelle l’ancien ministre de l’Environnement, Abdou Karim Sall, et l’ancien ministre des Finances, Abdoulaye Daouda Diallo. Lesquels auraient favorisé la conclusion d’un contrat d’armement d’une valeur de 45,3 milliards Cfa. Ce, sans appel d’offres ni publicité. Ce qui rend le contrat d’autant plus suspicieux, selon le rapport du réseau de journalistes Occrp, c’est que le fameux «Petit Bubé» est déjà mis en cause dans des affaires de détournement et de corruption évaluées à des centaines de millions de dollars de contrats d’armement, au Nigeria et au Niger.
«Petit Bubé», gros truand ?
Dans le document, apparaît une somme globale de 77 millions de dollars. Un budget qui, selon des experts contactés par les auteurs de l’enquête, dépasse de loin les besoins du ministère de l’Environnement pour équiper les gardes forestiers. Aucun détail sur le prix des différents types d’armement et de services mentionnés : pistolets semi-automatiques, munitions, fusils d’assaut ou formations au pilotage de drones. Ce qui renforce, selon ces mêmes experts, les soupçons de surfacturation.
A la veille de la Présidentielle de 2012, le pouvoir crépusculaire de Wade signe un contrat d’exploration et d’exploitation de ressources naturelles avec Frank Timis. Arrivé au pouvoir, Macky Sall en hérite dans le dossier de passation. Le nouveau Président met en branle l’Inspection générale d’Etat pour savoir quelle conduite tenir avec l’Australo-Roumain dont la sulfureuse réputation est connue dans le monde des affaires.
Timis, le crépuscule de la bonne gouvernance
Malgré l’avis contraire de l’Ige, le gouvernement prend la responsabilité de poursuivre le deal. Rusé comme un sioux, Timis recrute dans l’entourage immédiat du président de la République, Macky Sall. Aliou Sall, cadet du chef de l’Etat, est, en effet, choisi comme représentant-pays du sulfureux homme d’affaires australo-roumain qui rafle deux contrats gaziers. Avant de se barrer après avoir fait une grosse plus-value sur la vente du business à British Petroleum (BP). BBC vend la mèche. Selon la chaîne britannique, une société dirigée par Aliou Sall a touché en 2014 un pot-de-vin de 250 000 dollars. L’affaire fait les gros titres de la presse sénégalaise et provoque des manifestations à Dakar, jetant une ombre sur le début du deuxième mandat de Macky Sall. La justice sénégalaise ouvre une enquête qui, depuis lors, est à l’état de mort clinique.
Ce scandale a des implications internationales, le géant pétrolier britannique BP ayant accepté en 2017 de verser 250 millions de dollars à Timis Corporation pour obtenir une participation dans les gisements de gaz naturel. BP a assuré avoir pris toutes ses précautions avant de signer le contrat. Timis nie toute malversation. Aliou Sall, qui dément avoir accepté un pot-de-vin, a dénoncé dans un communiqué une campagne de dénigrement visant à faire de lui «l’ennemi public numéro un». Ce qui ne l’empêche pas de démissionner de son poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
Bictogo, Big business
Nouvellement élu, le pouvoir Sall multiplie ce que l’on pourrait appeler des «erreurs de jeunesse». Outre la rupture du contrat avec Arcelor Mittal, le gouvernement Sall entreprend de mettre sur pied des visas biométriques. L’affaire est confiée à l’homme d’affaires ivoirien, Adama Bictogo. Elle se révèle, quelques temps plus tard, un coup dur pour le tourisme qui bat de l’aile. Le pouvoir rétropédale et rompt la relation avec le ministre d’Etat d’Alassane Ouattara. Mais, non sans y laisser des plumes. Bictogo s’en tire, en effet, avec un joli pactole de 12 milliards Cfa. Dans un communiqué de presse, le gouvernement détaille les raisons et les conditions de l’indemnisation de la société de l’Ivoirien Adama Bictogo, Snedai Sénégal. Les services d’Amadou Bâ, alors ministre de l’Economie, des Finances et du Plan du Sénégal expliquent que «suite à l’annulation de la taxation de l’entrée au Sénégal, le marché de confection des visas biométriques, attribué à Snedai, devenait sans objet. Et se basant sur la loi n° 65-51 du 19 juillet 1965 portant Code des obligations de l’Administration et sur la loi 66-70 du 13 juillet 1966 des contrats spéciaux du Code des obligations civiles et commerciales, le gouvernement du Sénégal a remis 12 milliards à la Snedai (de Bictogo, Ndlr)…à hauteur du montant des travaux et prestations déjà préfinancés et du préjudice subi dans la mesure où la cause de la non-continuation, par la société, de l’exécution de ses obligations était le fait de l’Administration sénégalaise».
Ibrahima ANNE