Alors que l’Etat a toujours foulé au pied le patriotisme économique à laquelle l’invité le secteur privé, il se désole aujourd’hui de sa faible contribution au butin pour la guerre contre le coronavirus. Pourtant, dans tous les pays, l’apport du secteur privé n’est que périphérique. Au lieu de transférer sa responsabilité aux entreprises qui croulent sous des difficultés en ces temps moyennement joyeux, l’Etat qui est centrale dans la lutte, devrait lui-même donner le ton, pas seulement dans le discours. Surtout que le Fmi et la Banque mondiale viennent de suspendre le service de la dette.
L’entreprise accusée d’être pingre dans le griotisme d’Etat. Le charmant tableau de donations des entreprises à l’effort de guerre contre la calamité publique qu’est le coronavirus semble courroucer le chef de l’Etat. Lequel s’attendait, sans doute, à des contributions records comme au royaume du Maroc où les grands groupes ont cassé leur tirelire, et non à l’aumône de 641 millions de francs de Cfa qu’aurait casqué le secteur privé sénégalais. Mais, s’il en est ainsi, c’est sans doute à cause du moral dans les chaussettes de nos patrons et des nombreuses difficultés dans lesquelles le bataillon sénégalais patauge. En effet, depuis quelques années, le débat économique sénégalais était animé par les problèmes de trésorerie de l’Etat, toujours démentis mais toujours plus actuels. Vrai ou faux, cela a en tous cas précipité l’arrêt de beaucoup de chantiers de l’Etat déjà inaugurés, comme le Train express régional par exemple. Et même provoqué de nombreux licenciements dans le secteur des Btp notamment. Un secteur où les entreprises locales ont perdu de gros marchés au profit des entreprises étrangères qui ont presque raflé les gros fromages dans le cadre des projets Ppp. Ce qui a fait que nos entreprises, qui ont une grosse peur des lendemains incertains, n’ont pas gagné beaucoup d’argent pour pouvoir, aujourd’hui que le pays a besoin d’eux, répondre à l’appel et faire un grand geste dans l’effort de résistance face à l’ennemi invisible qu’est le coronavirus.
Si avec des dons à hauteur de 641 millions de francs Cfa, le «Patron» a mis le masque en conseil des ministres, comme l’ont rapporté des confrères, l’Etat devrait d’abord s’en prendre à lui-même. Car, comme aux Usa, en Europe, au Maroc ou en Côte d’ivoire voisine, c’est l’Etat qui a donné le ton avec une très forte contribution avant que le reste ne suive. Mais au Sénégal, le Président a annoncé un fonds de 1 000 milliards de francs et des remises fiscales, sans trop de précisions. Ce, même si on annonce un paquet de pognon de 69 milliards pour l’aide alimentaire pour lequel on espère qu’il n’y aura pas, cette fois-ci, d’affairisme.
Ainsi, s’il veut une contribution plus forte des entreprises à l’effort de guerre, le gouvernement doit faire d’abord un geste. Surtout que le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale viennent de suspendre le remboursement de la dette des pays pauvres dont fait le Sénégal. Ce qui fait que l’Etat pourra mettre le gros pactole du service de la dette, qui avoisine les 37 % des recettes d’exportations, dans la lutte.
Cette soi-disant radinerie du secteur privé sénégalais peut également, comme nous l’avons déjà écrit, être due à l’organisation mal articulée de ces contributions. «Les entreprises ont toujours apporté leurs concours chaque fois qu’une catastrophe majeure affecte notre pays. Non seulement les chefs d’entreprise soutiennent les populations de leurs localités et au-delà, mais aussi ils font des appuis directs financiers, des appuis par la fourniture de matériels appropriés et des appuis logistiques. Dès le 18 mars 2020, nous avons fait un appel aux entreprises à apporter tout concours nécessaire à l’effort de solidarité nationale. Déjà des entreprises y ont répondu, et d’autres vont suivre en s’organisant. Par ailleurs celles qui sont déjà fortement impactées, vous comprendrez qu’elles soient très limitées dans leurs actions, car ayant le souci majeur d’accompagner leurs personnels à même d’être subitement mis au chômage technique», déclare Hamidou Diop, Secrétaire général du Conseil national du patronat du Sénégal (Cnp). Lequel précise qu’en de pareilles circonstances difficiles pour la nation, les contributions volontaires et cumulées des entreprises sont de l’ordre de plusieurs milliards de francs Cfa.
Il relève, par contre, qu’il faut désormais un guichet unique de réception des dons des entreprises. Cela, afin qu’il n’y ait plus de transparence et une meilleure comptabilisation des apports financiers. «Cependant il serait tout à fait normal et logique que les entreprises multinationales ayant contracté les plus grandes commandes publiques ainsi que celles qui sont dans des secteurs stratégiques de notre économie rendent public le montant de leurs contributions à l’effort de solidarité nationale. Quelques multinationales le font, mais il faut généraliser ce mode de gouvernance», ajoute M. Diop.
Seyni DIOP