Dimanche 15 décembre 2019, peu avant 10h. En me connectant à Facebook, je lis cette info en gros caractères : «Décès au Maroc du journaliste Abdrahmane Camara de WalFadjiri». Non, disais-je ! J’ai mal lu ! Une seconde relecture, puis une troisième finissent de me convaincre : c’est pourtant ce qui est bien écrit.
L’information, plutôt la nouvelle est terrifiante ! Je ne suis pas triste, mais abattu : «Camou s’en est allé comme ça?» Je parcourais rapidement les autres sites d’information, en commençant par celui de l’Aps. Puis, je m’interrogeais encore : qui pour m’en dire plus sur cette nouvelle affligeante ? J’ai trouvé la réponse sur le site d’E-media. Dans une confusion totale, car, Camou était un AMI.
Nous nous étions connus au début des années 80. Il était encore étudiant au Cesti. Il aimait me rappeler son origine Soninke de Sélibaby, en Mauritanie, moi aussi Soninké du Sud. Depuis, nos relations se sont consolidées, renforcées, pour aboutir à une certaine complicité professionnelle. De l’éphémère «Takusaan» à WalFadjri (de sa création, en 1984 à 2019), nous ne manquions pas d’occasion pour échanger sur tel ou tel autre sujet. Durant les années de «braise» du Pds, nous avons tout partagé! Les risques du métier surtout. Je me souviens de l’après-midi du 4 avril 1987, en couvrant à la Place de l’Obélisque (maintenant Place de la Nation), une manifestation du Pds, quelques heures après le défilé de la Fête nationale. Après avoir contourné les barrières, la police se jeta sur lui, l’empoignant. Quand il voulut sortir de sa poche sa carte de presse, les policiers l’en ont empêché, lui ont tordu le bras, estimant qu’il sortait une arme…
Son engagement dans la lutte contre l’injustice était à la hauteur de sa conviction. Il l’a prouvé quelques mois plus tard en prenant fait et cause pour le Pds, lorsque ses dirigeants ont été interpelés, arrêtés, incarcérés, jugés, avant d’être libérés, suite aux troubles post-électoraux de février 1988. «Le vide du dossier», affichait en page une, WalFadjri, hebdomadaire à l’époque, dont il était le rédacteur en chef.
Deux ans plus tard, en décembre 1990, Dakar accueillait un Sommet de l’Oci (Organisation de la conférence islamique). Alors que les dirigeants et représentants des pays membres de l’Organisation s’acheminaient vers la clôture nocturne, un incident ! Yasser Arafat, le leader de l’Olp claquait la porte. En larmes, il boudait les travaux, et rejoignait sa suite de l’hôtel Méridien-Président. Omar Bongo (Ondimba) du Gabon, en toute vitesse, se mit à sa poursuite pour le rattraper, le calmer et le faire revenir en salle. Camou, François Xavier Harispe (Afp) et moi courrions derrière. C’était la bousculade entre forces de sécurité et journalistes, surpris par cet évènement spectaculaire. Renseignements pris : le Président Abdou Diouf qui présidait la séance aurait refusé une nouvelle fois de donner la parole au Président de l’Olp, qui serait déjà intervenu une première ou plusieurs fois….
Je n’oublie pas les nombreux meetings, marches, conférences et autres manifestations politiques (du Parti socialiste ou de l’opposition) de l’époque que nous couvrions ensemble, entre Colobane, Niary Tally, Avenue Général de Gaulle (Centenaire). Quand Me Ousmane Ngom était de la partie, cela donnait une autre dimension à nos conversions. C’étaient des moments de retrouvailles pour nous, puisque nous n’avions pas le temps de nous rendre visite.
Après l’alternance au Sommet de l’Etat, en 2000, Abdourahmane Camara et moi aimions souvent rire avec ce mot : le Pds nous a fait du tort ; il nous a privés d’activités !
Un jour, il me faisait une confidence. C’était sa rencontre inattendue avec le Président Wade, un dimanche après-midi. «J’étais sorti de chez moi. A mon retour vers 13h-14h00, on m’a informé qu’un certain Monsieur Wade a appelé, et laissé un numéro pour que je le rappelle, dès mon retour. Il avait insisté. Quand j’ai rappelé, a-t-il poursuivi, celui que j’ai eu au bout du fil s’est présenté comme étant son garde de corps, et m’a répondu : c’est le Président Wade qui vous a appelé, je vous le passe». «D’emblée, il m’a demandé : tu es où ?» «Je suis chez moi, lui ai-je répondu. Il m’a ensuite invité à venir le voir immédiatement. Ce que je fis». Quand il m’a reçu, il s’est étonné du fait que pendant tout le temps qu’il était au pouvoir, je ne me sois jamais manifesté à lui. «Après un moment de discussions faites de reproches, il m’a proposé de venir rejoindre son Cabinet, indiquant qu’il avait besoin de moi à ses côtés», a encore rappelé Camou. Et de poursuivre : «Prenant la parole à mon tour, je l’ai remercié, mais, ai poliment décliné son offre, en lui rappelant que je suis journaliste, et que je le resterai jusqu’à ma mort. Je ne me vois pas ailleurs que dans ma salle de rédaction.» A l’évidence, cela s’est avéré, servant de belle leçon de conviction, de modestie et d’humilité que nous (ses enfants et la famille de la presse) de Camou, si tant est que nous soyons tentés par l’appât du gain ! Il nous a montré la capacité de résister aux tentations, à l’argent facile !
Dors en paix pour l’éternité, mon ami !
Que la terre de ta Saint-Louis natale te soit douce et légère !
Ibrahima Cissé
Directeur de la publication
& rédacteur en chef
Reflets Suisse-Afrique