Le président des États-Unis Donald Trump a ordonné mercredi le retrait des troupes américaines stationnées en Syrie, estimant avoir vaincu le groupe État islamique (EI), une décision qui a provoqué la stupeur et une levée de boucliers dans son propre camp.
Cette annonce surprise, qui transforme en profondeur le rapport de force en Syrie, où la Russie est à la manoeuvre, a été faite dans une certaine confusion, renforçant l’image d’un président isolé sur ce dossier au sein de son administration.
Quelque 2000 soldats américains sont actuellement déployés dans le nord de la Syrie, essentiellement des forces spéciales présentes pour combattre le groupe État islamique et entraîner les forces locales dans les zones reprises aux djihadistes.
Ces derniers mois, de hauts responsables militaires américains ont multiplié les mises en garde contre un retrait précipité qui laisserait la voie libre en Syrie aux alliés du régime de Bachar al-Assad, à savoir la Russie, grande rivale des États-Unis, et l’Iran, véritable bête noire de l’administration Trump.
«Nous avons gagné contre l’EI, il est temps de rentrer», a lancé le locataire de la Maison-Blanche dans une courte vidéo postée sur son compte Twitter. «Nos garçons, nos jeunes femmes, nos hommes, ils rentrent tous, et ils rentrent tous maintenant».
Quel est le calendrier exact de redéploiement ? Toute la journée, la Maison-Blanche et le Pentagone se sont renvoyés la balle, sans fournir la moindre date.
«C’est un retrait total» qui interviendra aussi rapidement que possible, a simplement indiqué un responsable américain sous couvert d’anonymat.
Aucune information n’a été communiquée concernant l’impact de cette décision sur la campagne de frappes aériennes menées en Syrie depuis fin 2014.
«Trahison» pour les Kurdes
Cette annonce pourrait placer dans une situation très difficile la milice kurde YPG, qui se bat avec l’appui de Washington contre les djihadistes du groupe EI dans le nord de la Syrie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a une nouvelle fois menacé lundi de «se débarrasser» de cette milice si son parrain américain ne la contraignait pas à s’en retirer.
Ankara considère cette dernière comme une organisation «terroriste» liée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui livre une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.
Pour Rafee Ismail, commerçant dans la ville kurde de Qamishli, le retrait américain est «une trahison des principes humanitaires». Elle est «en contradiction frontale avec les engagements de Washington […] de protéger le peuple kurde qui a tant sacrifié pour lutter contre le terrorisme».
Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a déclaré qu’Israël, informé par avance par les États-Unis, allait étudier les retombées d’un retrait américain de Syrie mais «saurait se défendre» contre les éventuelles menaces venues de chez son voisin.
Israël a mené des dizaines de frappes en Syrie depuis le déclenchement de la guerre dans ce pays en 2011, contre des positions du Hezbollah et des intérêts iraniens mais aussi contre des convois d’armes destinés, selon l’État hébreu, au mouvement libanais.
Le Hezbollah et l’Iran, alliés du régime syrien, sont deux grands ennemis d’Israël.
Donald Trump l’a martelé sur les estrades de campagne : il estime que l’engagement des États-Unis au Moyen-Orient coûte des milliards de dollars qui seraient mieux dépensés au profit du contribuable américain, et qu’il faut laisser d’autres acteurs, notamment les pays arabes du Golfe, faire le travail sur place.
Mais plusieurs membres de son administration ont exprimé leur net désaccord sur ce dossier sensible.
«Énorme erreur»
La semaine dernière encore, l’émissaire des États-Unis pour la coalition internationale antidjihadistes Brett McGurk assurait que les Américains avaient vocation à rester encore pendant un bon moment en Syrie.
«Même si la fin du califat en tant que territoire est maintenant clairement à portée de main, la fin de l’EI prendra beaucoup plus longtemps», avait-il dit devant la presse à Washington, car «il y a des cellules clandestines» et «personne n’est naïf au point de dire qu’elles vont disparaître» du jour au lendemain.
À plusieurs reprises, le secrétaire à la Défense Jim Mattis a lui aussi mis en garde contre un départ précipité de Syrie, évoquant le risque de «laisser un vide qui puisse être exploité par le régime Assad ou ses soutiens».
Dans le camp républicain, nombre d’élus ont vivement regretté cet arbitrage soudain du 45e président des États-Unis.
«Les généraux du président n’ont pas la moindre idée d’où est venue cette décision», a souligné le sénateur conservateur Ben Sasse dans un communiqué cinglant.
Pour son collègue Marco Rubio, cette décision, prise en dépit de mises en garde «quasi-unanimes» de la part des militaires, est tout simplement une erreur «qui hantera l’Amérique pendant des années».
Lapresse