Pour le gouvernement et les partisans du chef de l’Etat sénégalais, les milliards de promesses des bailleurs de fonds, lors du 8ème groupe consultatif de Paris, est une prouesse. Cependant, les populations ne sont nullement emballées en entendant cette mobilisation financière qui n’est ni plus ni moins qu’une dette que les générations futures devront encore rembourser.
Les bailleurs de fonds ont promis à la délégation de l’Etat du Sénégal avec à sa tête le chef de l’Etat, Macky Sall, d’octroyer une dette de 7 356 milliards de francs Cfa. Ce, dans le but de financer les projets et programmes de la seconde phase de mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse). Si pour le gouvernement, de telles promesses sont une preuve de confiance, pour les populations, c’est pour mieux sucer l’économie du pétrole et du gaz dont l’exploitation s’annonce à grand pas. D’ailleurs, pour certains citoyens, le Groupe consultatif de Paris n’est ni plus ni moins que le groupe des prédateurs financiers qui lorgnent le pétrole et le gaz du Sénégal. Car, ils sont conscients que les bailleurs de fonds qui prêtent ne sont pas des enfants de cœur. Il va falloir que les générations futures du pays remboursent l’intégralité des dettes encaissées par le régime en place. En attendant le retour du chef de l’Etat et de ses hommes à Dakar, certains concitoyens interrogés fustigent ce mécanisme de financement qui ne repose que sur un endettement effréné du pays.
Ainsi, ils plaident pour une utilisation efficace de ces dettes qui plombent le développement économique du pays depuis l’indépendance. Comme à l’accoutumée, les pauvres sont les premiers à se lever du lit pour chercher quoi se mettre sous la dent et subvenir aux besoins quotidiens de la famille. Et, en cette matinée lumineuse où le soleil, pas du tout clément, darde ses rayons sur les allées des deux voies de la Route du Front de terre, la fraîcheur matinale semble marquer une trêve.
Dans cette ambiance presque inanimée, vendeurs, laveurs de voitures, cireurs de chaussures s’affairent à leurs étals en attendant l’arrivée des clients qui peinent à se manifester. Pour ces débrouillards, les temps sont de plus en plus durs. Selon eux, l’argent ne circule plus dans le pays depuis plusieurs mois. Car, depuis quelques temps, ils peuvent rester toute la moitié d’une journée sans vendre un seul article, faute de clients qui cherchent à tirer le diable par la queue. Interpellé sur les milliards mobilisés auprès des bailleurs de fonds, Moussa Ndiaye ne semble pas être intéressé par cet évènement. Vendeur à la sauvette, il semble tourner le dos à l’Etat qui ne fait que rien pour aider les populations pauvres du pays. A l’en croire, le Groupe consultatif de Paris n’est pas un évènement. Au contraire, il estime que c’est juste pour encore grever les caisses de l’Etat qui souffrent déjà de la folie dépensière du régime en place. «Ce que vous dites ne m’intéresse pas du tout. Je ne sais même pas de quoi, il s’agit. Depuis sept ans, je suis dans la même activité et je n’ai senti aucun changement dans mon pouvoir d’achat. Donc, c’est évident que ces milliards n’apporteront rien à mon quotidien comme évolution. On a l’habitude d’entendre des milliards tous les jours. Au moins, si cet argent impactait sur nos quotidiens, on allait applaudir des deux mains. Mais, nous savons que ces milliards ne sont pas pour la population», clame-t-il avec la dernière énergie.
Les populations pas du tout emballées
Comme Moussa, ils sont nombreux à ne rien comprendre de ce qui se dit sur ces milliards mobilisés auprès des partenaires techniques et financiers. Un jeune homme au teint noir, Ibrahima Diagne, écouteurs bien vissés aux oreilles, installé confortablement sur son siège, attire l’attention. Il ne supporte pas la tentation des pouvoirs publics d’aller à l’extérieur pour s’endetter afin de financer les projets et programmes. «Pourquoi continuer à s’endetter lourdement auprès des partenaires extérieurs pour financer l’économie ?», s’interroge-t-il. Avant d’exploser son ras-le-bol sur l’autoroute à péage et le Train express régional (Ter) qui, a-t-il fustigé, reposent sur un mode de financement préjudiciable aux populations.
Toujours est-il qu’Ibrahima trouve déjà suffisant cette accumulation de dettes qui, à son avis, risque de compromettre les générations futures. «Il est inconcevable que le financement de nos projets repose sur l’endettement. Il faut des mécanismes alternatifs à défaut d’une utilisation efficace de la dette», dénonce-t-il. En effet, depuis deux ans, les institutions financières internationales tirent la sonnette d’alarme sur le niveau d’endettement du pays. La dernière mission du Fonds monétaire international (Fmi) avait déploré une augmentation sans précédent de la dette du Sénégal. La mission avait noté que la dette publique à fin décembre 2016 est plus élevée que prévue. Un endettement qui s’explique selon les experts du Fmi, par le dégonflement des soldes créditeurs des comptes de dépôts et des avances que le gouvernement apporte au groupe La Poste depuis plusieurs années.
En plus, le Fmi avait précisé qu’une croissance exclusivement tirée par l’investissement public ne peut en effet être soutenable. Ainsi, pour Fatou Ndiaye, une dame la trentaine à peine révolue, le Sénégal doit renforcer les capacités d’intervention du Secteur privé national. Ce qui permettra, selon elle, au pays de financer l’économie au lieu de compter éternellement sur les partenaires extérieurs qui négocient toujours en leur faveur.
Inquiétudes
Abondant dans le même sens, Khadim Guèye est convaincu que quand on emprunte au nom des populations, on doit l’investir dans l’intérêt général. Tout en estimant qu’il n’y a pas de mal à aller rencontrer des partenaires extérieurs pour chercher à financer ses projets. «Comme notre pays n’a pas assez de moyens face à l’immensité des ambitions, déployer toute son énergie pour mobiliser des partenaires afin de réussir des promesses de financement, n’est pas une mauvaise chose. Ce qui est attendu de Macky et de ses hommes, c’est la détermination de l’ordre de priorités», prévient-il.
Par ailleurs, il a été identifié des opérations financières hors budget, des subventions inutiles et le maintien inutile de certaines agences de l’Etat qui asphyxient les finances publiques. Sans compter un retard considérable dans la mise en œuvre effective de certaines réformes. En réalité, plusieurs économistes ont relevé la nécessité de maitriser l’hémorragie des dépenses et des opérations financières hors budget de l’Etat. Les craintes pour certains, de voir cet argent détourner à des fins politiques avec la campagne présidentielle qui se pointe à l’horizon. C’est le cas de Mame Diarra Diop, vendeuse de son état. Pour cette mère de famille, les populations doivent s’inquiéter de l’utilisation de cette manne financière avec un régime qui cherche à rester au pouvoir par tous les moyens. «Ils ont attendu la veille des élections pour aller chercher de l’argent. Ce qui est très inquiétant. Parce que, si cet argent n’est pas injecté pour soulager nos souffrances, il faut s’attendre à des lendemains difficiles. Amadou Ba en personne avait reconnu que les caisses de l’Etat sont vides devant tout le monde», relève-t-elle. Poursuivant, elle estime que les populations doivent redoubler de vigilance sur les finances publiques. Car, insiste-t-elle, cela ne sert à rien d’endetter le pays pour utiliser l’argent à d’autres fins. En attendant le retour de la pléthore de la délégation gouvernementale, les populations vaguent à leurs occupations et attendent de voir ce qui sera fait de ces financements.
Adama COULIBALY & Ciré BA (Stagiaire)