CHRONIQUE DE WATHIE
« Le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou »
Le leader de l’Alliance pour la république (APR) a jaugé son bilan à la tête de l’Etat, six ans après son élection, et l’a qualifié de « très positif ». Il n’est pas question de dire qu’il est fou ou qu’il a complètement perdu le nord et le sens de la réalité. Ce serait un commentaire subjectif traduisant l’incompréhension de son action qui n’est pas forcément axée sur le Sénégal. Il s’est certes, cette fois-ci, exprimé à travers les ondes d’une radio privée sénégalaise, mais Macky SALL ne s’adressait guère à ses compatriotes. Il ne peut tout de même pas les diriger et les traiter de demeurés.
Il y a six ans, jour pour jour, Macky SALL était élu à la tête de l’Etat. Contrairement aux années précédentes, il n’a attendu personne juger son bilan. La presse écrite qui, à l’occasion consacre de nombreuses lignes disséquant l’œuvre du chef de l’Etat, est prise est dépourvue. De Kigali, au Rwanda, où il se trouve, Macky a pris tout le monde de vitesse, et s’est attribué le graal. « Je pense que le bilan est globalement très positif », dit-il. Pour ce 25 mars 2018, à quelque onze mois de la prochaine présidentielle que Macky SALL prépare depuis qu’il est élu, il n’est pas question de laisser la presse et les empêcheurs de tourner en rond se tailler le costume de juge du régime. Tout le monde au front, au service de la propagande. Il faut d’autres 25 mars à célébrer.
Il n’est pas interdit de penser ou d’abuser des adverbes mais il n’est pas permis de spéculer sur les conditions de vie des Sénégalais ou de rappeler que le front social est en totale ébullition. Macky SALL, loin de sa Radiodiffusion Télévision Sénégalaise (RTS), ouvre le bal et oriente la danse. « C’est d’abord la croissance économique et surtout les politiques d’inclusion sociale, le soutien aux populations démunies ». Ainsi, au rythme des 7,1 ou 2 % de taux de croissance, la chorégraphie s’enchaine. Macky, les deux pieds en avant, entraîne Boun Abdallah DIONNE sur la scène que ce dernier finit de faire une arène au milieu de laquelle il plante un tambour, décidé à danser le « mbarass ».
Qui peut lui en tenir rigueur ? Dans un tel contexte électoral, il est plus que conseillé de tenter d’orienter le débat en sa faveur, en mettant en exergue ce que l’on pense être positif. Seulement, même en tirant exagérément la couverture sur lui-même, Macky SALL ne réussira pas à faire croire au Sénégalais qu’il a fait ou qu’il est sur la voie de faire ce qu’il avait dit. Les questions que lui et ses amis de l’APR tentent d’éviter, il les a explicitement formulées. Ou, à défaut, il a donné les éléments permettant de les constituer. Si la croissance économique était matérielle pourquoi avoir besoin d’accentuer les politiques d’inclusion sociale ? Si elle est réelle, pourquoi renforcer le soutien aux populations démunies ?
Ces questions qui ont déjà été soulevées et qui attendent toujours réponse renseignent de l’orientation politico-économique de Macky SALL. Il n’est plus à démontrer que la croissance dont le régime se gargarise, est tirée par les entreprises étrangères, pour ne pas dire françaises. Après la SONATEL, la SENELEC, c’est la SONES qui est en passe d’échapper totalement au contrôle des Sénégalais. Comme presque tout ce qui est indispensable du genre manger (Auchan), communiquer (Orange), boire (Sde, Veolia ou Suez), s’éclairer (Solairedirect, Senergy Suarl, Eiffage…), se déplacer (Eiffage, Total)… Et pendant que ces étrangers se font des milliards sur le dos des Sénégalais, ceux-ci ramassent les miettes faites de restes que Macky SALL appelle Bourses de sécurité familiale gérées au niveau de la Présidence dont les caisses ne sont jamais vides. Du point de vue économique, si des affaires sont reluisantes, elles ne sont pas sénégalaises. Le secteur privé national est devenu un sous-secteur avec des patrons de la sous-traitance.
L’autre aspect, que Macky SALL a occulté en dressant son bilan et qui montre encore une fois que quand il dit que c’est « très positif » il ne s’adresse pas à ses concitoyens, c’est la bonne gouvernance, l’Etat de droit. Ils sont à la fois si lointains et si proches les temps où il fredonnait sa fameuse tirade « gouvernance sobre et vertueuse ». « Ma première mission n’est pas de construire des routes, autoroutes et ponts, mais de reconstruire l’Etat de droit. Or l’Etat de droit, on va l’apprécier de façon immatérielle. L’Etat de droit, ce sont des valeurs, des principes ; c’est l’égalité des citoyens devant la loi, la lutte farouche contre la corruption (…) L’assainissement de l’environnement des affaires et la lutte contre la corruption et la concussion me tiennent particulièrement à cœur ». Ainsi s’était solennellement adressé Macky SALL au Peuple sénégalais. C’était en Avril 2013. Entretemps, Karim WADE, dont le procès a mobilisé pendant des années toute la République, a été gracié ; Nafi NGOM KEITA éjectée, avant l’heure ; Ousmane SONKO radié ; Abdoul MBAYE jeté en pâture ; Khalifa SALL embastillé… Pas besoin de rappeler les plus calamiteuses élections jamais organisées au Sénégal, le référendum improvisé. Que dire de la création du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) avec ses 150 membres, du Conseil économique social et environnemental (CESE) et ses 141 membres ; du nombre de députés en hausse, de la Commission nationale du dialogue des territoires (CNDT), du Haut conseil du dialogue social (HCDS) … ?
Si ce sont les Sénégalais qui sont chargés de juger son bilan, il ne peut passer entre les mailles du filet sans être interpelé sur tous ces engagements qui sont partis en fumée. Le président SALL le sait d’autant plus qu’il n’agit pas comme quelqu’un qui va se suffire de son bilan pour rempiler. Si celui-ci était « très positif » aux yeux des Sénégalais, il n’aurait pas besoin d’un Aly Ngouille NDIAYE ou du système de sélection des candidats qu’est le parrainage.
Par Mame Birame WATHIE